En 1953, Chris Marker et Alain Resnais ont montré que les statues avaient une histoire dans Les statues meurent aussi. Les recherches récentes, en histoire, en anthropologie ou en histoire de l’art, accordent une place grandissante à une approche biographique des choses (Kopytoff 1986), mais aussi plus spécifiquement à celle des images, à leur trajectoire dans les cultures dans lesquelles elles évoluent. Ce numéro d’Images re-vues, revue pluridisciplinaire et transversale, est dévolu aux destins des images, qui en changeant de contexte, de temps, de lieu, connaissent des changements d’usage, des re-sémantisations, des transformations de toute nature et réinterrogent ainsi le regard porté par ces objets issus de la culture matérielle.
Changements de supports d’abord. La réutilisation d’une image implique souvent l’usage d’un autre support. Quel sens acquiert cette image lorsqu’elle passe d’un support à un autre, lorsqu’elle est manipulée et investie d’un autre imaginaire, en dehors du lieu de sa production et loin de ses usages initiaux ? Les antiquités gréco-romaines découvertes au cours de l’époque moderne sont par exemple méthodiquement dessinées puis gravées dans des « musées de papier » destinés à leur analyse et leur conservation par des savants, invitant ainsi à d’autres usages. De même, Roger Chartier a montré dans ses travaux sur les sept vies du texte de Bartolomé de Las Casas que la migration et la réédition des textes et des frontispices signifient bien souvent une modification du sens porté à leur contenu initial.
Changements de temps, de lieu et de contexte ensuite. Vincent Azoulay dans Les tyrannicides d’Athènes. Vie et mort de deux statues a dévoilé tout l’intérêt d’une approche diachronique en analysant les discours et les images mettant en scènes les statues des tyrannoctones Harmodios et Aristogiton, de leur création au Ve siècle à Athènes jusqu’à leurs usages politiques au XXe siècle. Il a souligné l’importance d’appréhender ces reconfigurations à l’aune des contextes sociaux, politiques et artistiques qui les ont élaborées. De son côté, Marilyn Strathern propose de voir les artefacts comme des enactement of events, as memorials of and celebrations to past and future contributions (Stathern, 1990), irréductibles à des explications verbales qui les décoderaient, les systématiseraient et en expliqueraient définitivement le sens. Cette approche renouvelle ainsi l’appréhension à la fois des objets, mais aussi des événements, des performances et des relations telle qu’elle est traditionnellement traitée par les historiens, les anthropologues et les muséologues.
Changement de statut enfin. Comme la célèbre Laitière de Vermeer, d’autres images, moins connues lors de leur création, ont pu connaître un succès des siècles plus tard. La découverte de l’art africain par les cubistes ou encore la fortune de la désormais fameuse Vénus de Milo, maintes fois reproduite à des fins commerciales, sont à ce propos éloquentes.
Les catégorisations avec lesquelles les images sont étudiées – préhistoriques, antiques, médiévales, baroques, chinoises, sacrées, profanes, planes ou tridimensionnelles – apparaissent ainsi réductrices, voire erronées si on ne les considère pas sur la longue durée. L’étude de certains « cas d’école » pose donc le problème de la construction des catégories d’analyse, voire la nécessité de leur réagencement. Ainsi les images « marchent », les objets sont en « mouvement » (Joyce & Gillepsie 2015) : ils évoluent en fonction de leur contexte d’usage, d’utilisation, voire d’énonciation et de (re)formulation. Cette attention à la vie des images permet d’historiciser, de contextualiser, de déplacer des frontières traditionnellement associées aux productions matérielles et invite à porter un autre regard sur les contextes successifs dans lesquels elles apparaissent.
Les articles pourront porter sur des aires géographiques et des époques diverses, conformément aux axes d’Images re-vues (http://imagesrevues.revues.org/)
Les propositions d’articles seront étudiées à condition de comporter entre 10 000 et 12 000 signes (espaces compris) et d’être envoyées avant le 15 janvier 2017 (NB : l’acceptation d’une proposition d’article ne dispense pas de la soumission définitive de l’article au comité scientifique). Les articles (55 000 signes max., espaces compris) devront être envoyés avant le 15 avril 2017 à elise-lehoux@orange.fr et bgaillemin@gmail.com, accompagnés d’un résumé en français et en anglais (10/15 lignes) et de 3 à 5 mots-clés en français et en anglais.
Numéro coordonné par Bérénice Gaillemin et Elise Lehoux.
Bibliographie indicative :
AZOULAY Vincent, Les tyrannicides d’Athènes. Vie et mort d’une statue, Paris, Seuil, 2014.
BONNOT Thierry, La vie des objets : d’ustensiles banals à objets de collection, Paris, Édition de la Maison des sciences de l’homme, 2002.
BONNOT Thierry, L’attachement aux choses, Paris, CNRS éditions, 2014.
CARERI Giovanni, LISSARRAGUE François, SCHMITT Jean-Claude et SEVERI Carlo (eds.), Traditions et temporalités des images, Paris, Édition de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, 2009.
HÖLSCHER Tonio, La vie des images grecques : sociétés de statues, rôles des artistes et notions esthétiques dans l’art grec ancien [cycle de 5 conférences données en juin 2015 au Musée du Louvre], Paris, Hazan, 2015.
JOYCE Rosemary A. et GILLEPSIE Susan D. (eds), Things in Motion. Object Itineraries in Anthropological Practice, School for Advanced Research Press, Santa Fe, 2015.
KOPYTOFF Igor, « The Cultural Biography of Things : commoditization as process », dans Arjun APPADURAI, The Social Life of Things, CUP, 1986.
STRATHERN Marilyn, « Artifacts of history. Events and the interpretation of images », dans STRATHERN Marilyn, Learning to see in Melanesia. Masterclass Series 2, Manchester, Hau Society for Ethnographic Theory, p. 157-178 (http://haubooks.org/viewbook/masterclass2/appendix1.pdf)
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