R. de Gourmont : « Le lieu commun est plus et moins qu’une banalité : c’est une banalité mais parfois inéluctable ; c’est une banalité mais si universellement acceptée qu’elle prend alors le nom de vérité. La plupart des vérités qui courent (les vérités sont très coureuses) peuvent être regardées comme des lieux communs, c’est-à-dire des associations d’idées communes à un grand nombre d’hommes que presque aucun de ces hommes n’oserait briser de propos délibéré ». Lieu commun – idée, sujet de conversation que tout le monde utilise, selon le dictionnaire. Visiblement, les lieux communs sont tout sauf des lieux physiques. Il s’agit avant tout de constructions mentales à partir d’idées qui ont fait leurs preuves, exprimées par le discours. On le sait, le lieu commun n’a pas bonne presse. Souvent utilisé comme synonyme pour un échange creux, une idée qui manque de toute originalité, il est pratiquement à l’opposé du geste artistique. Mais les choses sont plus complexes car, selon Sartre « ce beau mot a plusieurs sens : il désigne sans doute les pensées les plus rebattues, mais c’est que ces pensées sont devenues le lieu de rencontre de la communauté. Chacun s’y retrouve, y retrouve les autres ». Plus encore, un regard sur les pratiques contemporaines montre que depuis la fin des « grands récits », depuis l’ère des mythologies personnelles, de nombreux artistes s’intéressent à ces énigmes, dont on soupçonne qu’elles renferment des faits d’une terrible banalité, des petits drames de tous les jours, des bribes de récits suffisamment universels pour permettre à tous et à chacun de s’y identifier, assez spécifiques pour interdire au spectateur de pénétrer leur coquille fragile.
Mais, peut-être, faut-il croire Baudelaire qui prétend que le génie est d’inventer un poncif ?
Colloque organisé par le CIEREC, Université de Jean Monnet – Saint-Etienne, en collaboration avec le LARHRA, Université Lumière- Lyon 2, et L’INHA, sous la responsabilité scientifique d’Itzhak Goldberg.
Auditorium de l’INHA,
2 rue Vivienne
Paris, France (75002)
Programme
Jeudi 20 juin
Matinée 9h
Président : Laurent Baridon, Université Lumière Lyon 2/LARHRA
Introduction
- Nathalie Heinich, CNRS, CRAL-EHESS Lieux communs de la critique d’art contemporain
L’art contemporain entretient une relation consubstantielle avec le discours, pour des raisons qui tiennent à son ontologie. La distance que confère la perspective sociologique permet de repérer dans la critique d’art appliquée à ces oeuvres un certain nombre de topiques ou de figures récurrentes, dont la mise en évidence et l’analyse feront l’objet de cette communication.
- Pierre Buraglio, Artiste Faire avec …
Présentation de mon travail ancien et actuel selon ces deux axes :
- Comme fonds/lieu commun : le Musée occidental – d’où les «Les Dessins d’APRES …).
- Et, principalement le lieu commun confondu à la Vie quotidienne – d’où mes travaux AVEC les “Paquets de gauloises bleus”, les “Portières de 2CV”… Ainsi que le REEMPLOI de peintures faites de poncifs tels : le Sous-bois , le Clair de Lune …
- Christian Biet, Université Paris Ouest-Nanterre, IUF Le lieu théâtral comme lieu(x) commun(s) et comme espace hétérotopique
Aller au théâtre, c’est entrer dans un « autre » lieu, un lieu commun à d’autres, un lieu qui réunit une assemblée. Mais est-ce à proprement parler une réunion ? Si le fait d’être ensemble a pu être un objectif ou un idéal assigné au théâtre, on peut tout aussi bien remarquer que, le plus souvent au cours de l’histoire, la séance a été le lieu et le moment de la diffraction, de l’hétérogénéité, des contradictions voire des affrontements. Lieu particulier ouvert sur des espaces dramatiques, réels et imaginaires, le bâtiment de théâtre et l’espace scénique sont ainsi à la fois dans et hors de la cité, donnant lieu à la constitution d’une hétérotopie qu’il s’agira, ici, d’analyser.
- Laurence Tuot, Université Jean Monnet, Saint Etienne, CIEREC “Le stéréotype hollywoodien et ses fantômes : autour des « pièces touchées » de Martin Arnold”
Les vieux films hollywoodiens sont les matériaux privilégiés de Martin Arnold pour la réalisation de ses courts-métrages expérimentaux. Par un travail de mise en boucle et de répétitions épuisant sur le photogramme, le cinéaste autrichien exaspère le caractère stéréotypé des extraits qu’ils choisit de retoucher jusqu’à en exprimer, derrière le masque conventionnel, la moelle refoulée et parfois scandaleuse.
Après-midi 14 h
Président : Bertrand Rougé, Université de Pau et des Pays de l’Adour, CICADA
Introduction
- François Lecercle, Université Paris IV, Panthéon-Sorbonne, La réversibilité du lieu commun, d’Aristote à Léon Bloy
Le lieu commun a une longue histoire positive (en Grèce c’est une grille de questions qui, en programmant les arguments, assure l’efficacité de la parole publique). Au XIXe s. tout change : on compile les idées reçues pour fustiger la bêtise du bourgeois. On s’efforcera d’expliquer ce renversement en soulignant l’extraordinaire ambiguïté de ces collectes, notamment celles de Flaubert et de Léon Bloy.
- Laurent Baridon, Université Lumière Lyon 2/LARHRA, Un topique des architectes : “construire l’homme”
Le statut d’architecte a été fondé sur la maîtrise d’un savoir théorique, celui-ci étant fréquemment opposé aux compétences techniques et à l’habileté manuelle. Si les nombreuses sciences relatives à la construction ont toujours paru devoir figurer parmi les vastes connaissances requises, la capacité à répondre à une demande politique est souvent exprimée plus confusément. Elle rejoint d’autres lieux communs qui révèlent les non-dits de la relation entre ceux qui conçoivent l’architecture et ceux qui l’utilisent.
- Danièle Méaux, Université Jean Monnet, Saint Etienne, CIEREC, Narrative art : le parti pris du « lieu commun »
Le courant du « Narrative art » a interrogé, dans les années 70, les relations à même de se tisser entre photographie et récit verbal. Au moment de la remise en question des grands Récits tendus par l’idée d’un progrès, les petits récits ancrés dans le quotidien – que proposent ces artistes – se nourrissent tout particulièrement de lieux communs. La narration de l’intime peut paradoxalement apparaître comme l’espace privilégié de la formulation de lieux communs. Faut-il déceler là une relecture passionnante des formes narratives contaminant nos vies ou y lire une sorte de complaisance ?
- Muriel Bloch, Conteuse A t-on encore besoin de monsieur Propp ?
Transmettre aujourd’hui, il était une fois et une fois seulement… Variations et déroutes, où comment l’inventeur de la morphologie du conte, en débroussaillant la forêt de l’imaginaire sous l’angle unique des structures, a sacrifié au rituel de l’oralité subversive…
Vendredi 21 juin
Matinée 9h
Président : Bertrand Tillier, Université de Bourgogne, Centre Georges Chevrier
Introduction
- Ernest Pignon-Ernest, Artiste « Partager de l’espace et du temps »
«… je tente de faire de l’espace commun le lieu et le sujet d’un art éphémère qui en exalte la mémoire, les événements et les mythes »
- Rivka-Miriam, poète et écrivaine israélienne (l’intervention sera prononcée en anglais) Tu ne feras point de lieux communs
La démystification des lieux communs est devenue elle-même un poncif. L’intervention traitera de ce que l’on peut appeler la démystification de la démystification.
- Bertrand Rougé, Université de Pau et des Pays de l’Adour, CICADA La figure et le banal : esth-éthique des lieux partagés
La notion de topos, d’origine rhétorique, permettra de soulever la question de la nature rhétorico-esthétique de l’oeuvre d’art. Partant d’exemples divers de «lieux communs» de l’art, on s’interrogera sur la manière dont cette insistance sur le partage (des références, du point de vue, du lieu) souligne en fait une dimension indissociablement énonciative, rhétorique, esthétique et éthique de la relation à l’oeuvre d’art. Dans cette perspective, on tentera alors de décrire comment le lieu commun—c’est-à-dire souvent, mais pas exclusivement, le banal—devient le fondement nécessaire de l’élaboration de l’oeuvre comme figure (au sens rhétorique du terme).
- Bernard Lafargue, Université Michel de Montaigne Bordeaux 3 « Les hommes descendent de mars, les femmes de vénus ». Et si c’était vrai ?
C’est ce lieu commun, qui a été tissé par toute l’histoire de l’art et de la littérature, que je propose d’interroger. Plus précisément, cette communication relira, selon la perspective queer « artialisée » par le courant émanant de Duchamp/Rrose Sélavy, quelques oeuvres et monuments paradigmatiques : des vases grecs célébrant le jugement de Pâris ou la victoire d’Achille sur Penthésilée aux dernières chorégraphies de Vanessa Beecroft en passant par quelques Annonciations et chasses amoureuses de la peinture italienne, La Tempesta, le Déjeuner sur l’herbe, Belle du Seigneur, Femmes ou… le Taj Mahal, cet immense mausolée de marbre blanc sublime et morbide, qui est devenu un des plus hauts lieux, « unheimliche », de pèlerinage touristique.
Après-midi 14 h
Président : Bernard Lafargue, Université Michel de Montaigne Bordeaux 3
introduction
- Claude Imbert, ENS Le lieu commun est une hétérotopie
De Rothko accueilli par Betty Parsons (« je leur ai donné des murs » disait –elle ) au geste de Rauschenberg (Erased de Kooning ), le lieu de la peinture se révèle incessamment dépossédé et réapproprié , une reconquête et une affiche. Ce qui jette un nouvel éclairage sur le défi de l’exposition qui avait porté un siècle plus tôt, le modernisme pictural français. L’enjeu est une échappée hors d’un lieu commun saturé pour son réinvestissement transgressif . L’installation en donne aujourd’hui une formule particulièrement explicite . On proposera quelques conséquences liées à cette hétérotopie instable.
- Bertrand Tillier, Université de Bourgogne, Centre Georges Chevrier, Du bon usage des lieux communs : l’image de l’artiste posant dans son atelier
Entre le poncif éculé et le topos consensuel, le lieu commun ne peut guère exister positivement, menacé par la stérilité de l’identique et soumis à la répétition. De ce point de vue, l’image de l’atelier est un lieu commun qui n’a pas besoin d’être démontré. Pour autant, dès le XIXe siècle, les artistes ont éprouvé la nécessité de se mettre en scène dans leur atelier, jusque devant l’objectif des photographes, comme si le lieu commun de l’atelier, en dépit de sa banalité, pouvait participer de la promotion du statut de l’artiste.
- Lucile Haute, Université Jean Monnet, Saint Etienne, EnsadLab, Paris Subjectivations de l’avatar : Bimbo, Rambo et alternatives
La personnalisation de l’avatar dans les mondes vidéoludiques manifeste des références à différents imaginaires : publicitaire, héroïque-fantaisie, science-fiction… A partir d’un corpus de référence récolté sur différentes plateformes, nous proposons d’étudier comment les usagers manifestent leur imaginaire propre à travers la singularisation de leur avatar.
- Itzhak Goldberg, Université Jean Monnet, Saint Etienne, CIEREC La platitude du paysage : Lichtenstein
Il en va du paysage chez Lichtenstein comme du citron pressé. Plus qu’une représentation de la nature, cette image schématisée et désincarnée se réduit à un simulacre ironique d’un coucher du soleil et son inévitable aura romantique. Clichés de clichés, ces « ready-made » picturaux semblent tourner en dérision la notion même de l’originalité en matière d’art.
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