Conférence : « Delacroix et les choses, se souvenir des impressions » par Dominique de Font-Réaulx (Paris, 5 octobre 2016)

eugene-delaxroix-juives-du-maroc-1832-chantilly-musee-condeEugène Delacroix (1798-1863), bien que lié à une des plus grandes dynasties d’ébénistes, les Oeben-Riesener, ne montra que peu d’attention, semble-t-il, aux objets qui l’entouraient. L’artiste ne fut pas collectionneur. Il eut même, comme il l’écrivit dans son Journal, « la hantise du capharnaüm ». Son inventaire après décès montre les possessions courantes d’un homme de son temps, sans ostentation, ni accumulation.
La seule exception notable fut  constituée par l’ensemble des objets qu’il rapporta de son voyage au Maroc en 1832. Il avait acquis sur place plusieurs objets fabriqués dans des ateliers artisanaux, objets de peu de valeur – faïences, babouches, vêtements, armes, cuirs – mais auxquels il attacha suffisamment de prix pour les conserver, d’atelier en atelier, jusqu’à sa mort en 1863. Il fut attentif à les transmettre, veillant à les léguer à son ami, le peintre Charles Cournault (1815-1904), dont il connaissait le goût pour l’Afrique du Nord et ses traditions. Pourtant, il semble que Delacroix n’exposât pas ces objets ; il les tenait cachés, à en croire les témoignages, dans un grand coffre présent dans son atelier.
Comme les aquarelles colorées qu’il réalisa lors de son voyage, comme les notes qu’il prit alors dans ses carnets, ces choses valaient moins pour elles-mêmes que pour la capacité qu’elles avaient à faire surgir, aussi intactes que possible, les impressions éprouvées par Delacroix, pendant son périple marocain, le seul grand voyage de l’existence du peintre casanier.  Il convenait ainsi que le peintre ne les regardât pas  trop souvent ; les transformer en un banal mobilier d’atelier aurait pu leur faire perdre cette puissante valeur mémorielle qu’il leur avait accordée. Delacroix avait une connaissance aigüe de sa propre psyché, que l’exercice littéraire du journal et de la correspondance avait accrue. Il savait le rôle essentiel de la mémoire, de la remémoration, dans la poursuite de sa création artistique.

Cette séance tentera d’analyser quelle place Delacroix donna aux objets dans son désir de garder vifs les souvenirs de ses impressions.  « Une foule de notes prises en courant me paraissent inintelligibles. En revanche, je vois clairement en imagination toutes ces choses qu’on n’a pas besoin de noter et qui sont peut-être les choses qui méritent d’être conservées dans la mémoire […]. » (Eugène Delacroix, Souvenirs d’un voyage dans le Maroc).

 

Dominique de Font-Réaulx est conservateur général au Musée du Louvre, directrice du musée national Eugène-Delacroix. Elle a été commissaire de nombreuses expositions, notamment, Le daguerréotype français, un objet photographique (Musée d’Orsay, The Metropolitan Museum of Art) ; Dans l’Atelier (Musée d’Orsay) ;  L’œuvre d’art et sa reproduction photographique (Musée d’Orsay) ; Gustave Courbet (1819-1877) (Galeries nationales du Grand Palais, The Metropolitan Museum of Art, Musée Fabre) ; Delacroix en héritage, autour de la collection Moreau-Nélaton (Musée Eugène Delacroix), Objets dans la peinture, souvenir du Maroc (Musée Eugène Delacroix), Delacroix et l’antique ( Musée Eugène-Delacroix), Une Brève histoire de l’avenir (Louvre) et  La Petite Galerie (Louvre).
Elle a  collaboré à de très nombreux catalogues et ouvrages ; elle a publié Peinture et photographie, les enjeux d’une rencontre, chez Flammarion, en 2012. Elle enseigne à l’École du Louvre et à Sciences Po. Elle est directrice scientifique  de la filière culture de l’École d’Affaires publiques.

Conférence dispensée dans le cadre du séminaire Arts & sociétés.
5 octobre 2016,  17h-19h

Merci de vous présenter devant le 56 rue Jacob, 10 mn avant le début du séminaire, munie(e) de papiers d’identité/carte de Sciences Po ainsi que du récépissé d’inscription.

Contact : artsetsocietes@gmail.com

Centre d’histoire de Sciences Po
Salle du Traité
56 rue Jacob
75006 Paris

Leave a Reply