Appel à communication : « Anatomie du chantier urbain : construire la ville, de l’Antiquité à nos jours » (Tours, 1-3 avril 2026)

Appel à communication : « Anatomie du chantier urbain : construire la ville, de l’Antiquité à nos jours » (Tours, 1-3 avril 2026)

Société française d’histoire urbaine

Université de Tours – CeTHiS (EA 6298), Citeres (UMR 7324, équipe LAT). 26ème congrès de la SFHU. 1er, 2 et 3 avril 2026

 

Qu’ils soient ponctuels ou étalés dans le temps, localisés ou diffus, spectaculaires ou invisibles, les chantiers façonnent la ville autant qu’ils la révèlent, condensant des logiques multiples : techniques, bien sûr, mais aussi sociales, politiques, économiques, culturelles et environnementales. Le chantier a constitué un objet d’étude au cœur des renouvellements de l’histoire des techniques et de l’histoire environnementale, à l’image des congrès récents de la Société des historiens médiévistes (Shmesp) ou de l’Association francophone d’histoire de la construction (AFHC). Le 26ème congrès de la SFHU s’inscrit dans la continuité de cette dynamique scientifique en poursuivant l’analyse des chantiers depuis le champ spécifique de l’histoire urbaine. Le chantier représente ainsi, à la fois, un moment de transition pour la ville ainsi qu’un espace de cristallisation des potentialités et des dynamiques urbaines.

Pourquoi s’intéresser au caractère spécifiquement urbain des chantiers ? Car au-delà du processus de construction, l’étape du chantier incarne le moment transitoire par excellence dans la fabrique de la ville, d’abord en tant que concrétisation ultime d’un projet, mais aussi comme une source de réajustements face aux contraintes techniques, financières, réglementaires ou politiques. Sa mise en place impose des adaptations du métabolisme urbain, par la gestion de l’approvisionnement en matériaux, l’évacuation des déblais et la cohabitation avec les réseaux existants. La pratique du réemploi de matériaux, en général dans la ville même où ils sont récupérés, caractérise toutes les périodes de l’histoire urbaine. La démolition, programmée ou non, en temps de paix comme en temps de guerre, génère aussi ses chantiers. Par leur intrusion dans le tissu urbain, ces derniers perturbent ou suspendent le fonctionnement ordinaire de la ville. Ils sont parfois source de nuisances, surtout lorsque des retards prolongent son impact sur le quotidien des habitant.e.s, ou encore à l’origine d’engagements citadins lorsqu’on songe aux mobilisations opposées à certains équipements métropolitains (aéroports, centres commerciaux…).

Le chantier est, en outre, un espace d’action, de pratiques professionnelles et de mise en œuvre de techniques propres au secteur de la construction et de l’aménagement des villes. On y expérimente, on y adapte, on y improvise : les gestes des ouvrier.e.s, l’usage des machines ou des dispositifs de sécurité révèlent un monde de savoir-faire en constante évolution. Ces pratiques témoignent de l’incorporation progressive des normes urbaines, des innovations ou des procédés industrialisés qui façonnent la matérialité urbaine. La zone de chantier est aussi un espace de rapports de force, marqué par la pluralité des acteurs.trices et par des hiérarchies mouvantes. On y observe des tensions entre entreprises générales et sous-traitants, entre encadrant.e.s et exécutant.e.s, entre décisions administratives et logiques de terrain. Elle est aussi un lieu de conflictualité sociale, de négociation ou de mobilisation, notamment autour des conditions d’emploi, de sécurité ou de reconnaissance des métiers. À cela s’ajoute la présence du public – riverain.e.s ou usager.e.s – dont les attentes, les résistances ou les plaintes participent pleinement à la dynamique conflictuelle des travaux urbains.

Ce colloque propose de replacer le chantier au centre de l’analyse historique de la fabrique de la ville, en le pensant comme un objet en soi, avec ses rythmes, ses logiques, ses conflits, ses représentations. Il ne s’agit pas de l’aborder comme une simple étape dans un processus de construction ou comme un arrière-plan du projet architectural, mais bien comme un moment décisif, à la croisée des problématiques sociales, techniques, économiques, politiques et symboliques. Parce que le chantier n’est jamais neutre : il remodèle l’espace urbain, assigne des rôles, révèle des hiérarchies, fait surgir des protestations, génère des récits. Il constitue une scène où se rejouent des équilibres urbains parfois anciens, parfois inédits. Si les grands travaux emblématiques — percées, monuments, infrastructures majeures — attirent les regards, le colloque souhaite surtout concentrer l’attention sur les chantiers ordinaires : alignements de voiries, raccordements de réseaux, constructions ou réfections d’équipements urbains, aménagement de places, travaux entrepris par des particulier.e.s, interventions de maintenance et rénovation du bâti qui, à l’échelle du quartier ou de la rue, façonnent le quotidien urbain et racontent tout autant la fabrique de la ville.

En croisant les espaces d’études, les échelles (du chantier de trottoir aux grands travaux d’infrastructure), les périodes historiques (de l’Antiquité à nos jours) et les approches disciplinaires (histoire sociale et urbaine, histoire environnementale, histoire politique, économique et des techniques, géographie, sociologie, urbanisme, architecture), ce colloque entend faire du chantier un prisme pour relire l’histoire des villes.

  1. Chantiers habités : le cas des hôpitaux urbains

Parmi les chantiers urbains, ceux concernant les hôpitaux semblent particulièrement pertinents. La ville de Tours, où se tient ce congrès, fait figure de cas emblématique avec celui du Nouvel hôpital, qui vise à la restructuration du CHRU et qui s’appuie sur le programme Horizon 2030. Il s’inscrit aussi bien dans le temps long relatif à ce type d’équipement, que dans une ville dense et complexe, “habitée” comme l’est l’hôpital lui-même. Une place significative sera donc réservée aux hôpitaux urbains dans le programme.

Les hôpitaux et autres lieux d’accueil des malades (asklepeion, hôtel-Dieu, apothicairerie, léproserie, maladrerie, hospice, dépôt de mendicité, clinique, dispensaires locaux disséminés ou immenses hôpitaux universitaires centralisés…) constituent les organes importants d’une ville. La construction de ces lieux de secours et de salut pose la question de l’emplacement à la fois en marge et dans la ville, des accès qu’ils nécessitent de ménager et plus généralement de leur intégration dans le tissu urbain. Soulevant des problématiques liées à la prophylaxie, l’implantation des lieux de santé et plus généralement des hôpitaux amène également à questionner les choix et les politiques, leurs variations et leurs évolutions menées au gré des siècles en réponse aux croyances, théories et connaissances en usage.

L’étude des chantiers des lieux de santé suppose d’appréhender les cas de construction ex nihilo évidemment, mais aussi ceux des reconstructions et des agrandissements de structures qui exigent la gestion du continuum des soins. En ce sens, l’étude du chantier des lieux de soins permet de scruter la question du chantier habité, des contraintes et des exigences qu’ils imposent.

  1. Gouvernance et mondes sociaux du chantier : un laboratoire d’expériences urbaines

Lieu de frottement permanent entre institutions, entreprises et habitant.e.s, le chantier urbain, qu’il soit initié par des autorités ou organisé par des acteurs.trices privé.e.s, révèle la manière dont se nouent — ou se heurtent — les pouvoirs dans la ville. Aux côtés des grandes compagnies concessionnaires, des autorités religieuses ou civiles, locales ou étatiques, prend place une mosaïque d’acteurs.trices : entrepreneurs.ses généraux, artisans et sous-traitants, administrateurs.trices, comptables, ingénieur.e.s, architectes, ouvrier.e.s qualifié.e.s ou journalier.e.s. Il s’agira d’étudier les hiérarchies professionnelles, les formes de mobilisation collective ou de conflit qui émergent dans les espaces de construction. Marqués par des inégalités sociales et juridiques, les conditions de travail des chantiers sont souvent particulièrement précaires et difficiles, ponctuées d’accidents. Si l’espace du chantier au sens strict est souvent genré, ses effets urbains le sont moins, ou très différemment. Plus largement, il est possible de questionner ce que le monde social du chantier fait à la société urbaine. Il s’agit dès lors pour l’historien.ne de considérer le chantier comme un poste d’observation de la société urbaine et comme un laboratoire d’expériences sociales et politiques en ville.

Ces interactions sont d’autant plus vives que chaque opération s’inscrit dans des montages financiers complexes : budgets municipaux, adjudications, donations, évergétisme, concessions, emprunts, spéculations foncières. L’inachèvement d’une enceinte urbaine, d’un aqueduc ou d’un édifice de spectacles, l’arrêt brutal d’une ligne de tramway pour défaut de liquidités, l’échec d’une percée trop spéculative, le surcoût d’un réseau d’égouts ou la faillite d’un promoteur, voire les ruptures induites par les vicissitudes politiques endogènes ou exogènes, révèlent la précarité économique des travaux autant que leurs bénéfices potentiels pour certains acteurs. Les chantiers ordinaires — pavage d’une rue, pose d’un égout, alignement ou rénovation d’une façade — n’échappent pas à ces tensions : parce qu’ils touchent le quotidien, ils mobilisent rapidement riverains, commerçants et usagers qui négocient ou luttent contre les nuisances.

  1. Métabolisme du chantier urbain : du voisinage aux mobilisations environnementales

Parce qu’il ouvre le sol, coupe les rues et suspend l’usage ordinaire des lieux, le chantier met la ville à l’épreuve de son propre métabolisme. La fabrique d’un bâtiment questionne les lieux du chantier, les aires d’épure, l’approvisionnement, l’extraction de la pierre ou le débit du bois. En contexte urbain, il faut souvent acheminer des milliers de tonnes de matériaux, entreposer, évacuer déblais et gravats, reconfigurer les réseaux techniques, détourner les flux de circulation. De plus, les circulations des matériaux impliquent souvent une série de péages et le paiement de taxes et d’octrois. Il s’agit ici de réfléchir à la logistique du chantier : transport des matériaux, organisation de l’espace de travail, adaptation aux contraintes locales. Celle-ci ouvre sur des réflexions centrées sur les coûts environnementaux, les logiques de remploi de matériaux et les liens entre la ville et son arrière-pays où se situent souvent les ressources drainées par les constructions. Ces opérations génèrent bruit, poussière, vibrations, émissions de produits dangereux ou polluants et peuvent fragiliser les sols. Elles nécessitent en outre un afflux de main-d’œuvre extérieure, ouvrant sur différents phénomènes migratoires, et tout un maillage d’emprises temporaires : carrières plus ou moins proches, dépôts de matériaux, bases-vie, ateliers, baraquements, voies d’acheminement routières, ferroviaires ou fluviales qui transforment provisoirement rues, ports ou terrains vagues en hors-lieux de la ville ordinaire. Cette approche spatiale du chantier urbain pose également la question de sa clôture ou au contraire de son ouverture sur la ville. S’il fait la ville, le chantier la défait également : il peut ainsi représenter l’antimonde urbain, qu’il s’agisse des paysages ou des pratiques. Enfin, ces espaces interstitiels souvent dédiés au stockage ou au logement des ouvrier.e.s deviennent tantôt refuges pour des pratiques marginales, tantôt motifs d’éviction d’usages antérieurs.

Parce qu’il altère le cadre de vie et engendre des risques pour l’environnement urbain (incendie, explosion, pollutions à plus ou moins long terme), le chantier déclenche aussi des controverses locales. Qu’il y ait ou non expropriation, les riverain.e.s, commerçant.e.s, associations patrimoniales ou écologistes mobilisent pétitions, recours juridiques, expertise militante pour défendre santé, patrimoine ou encore qualité de vie, jusqu’au respect d’interdits religieux. À quelles échelles ces nuisances sont-elles pensées ? Protestations et nuisances sont évidemment à historiciser soigneusement : les ressentis, les prises en compte par les acteurs.trices et les modes d’action ne sont pas les mêmes depuis l’Antiquité. Dans un autre registre, les chantiers dédiés à des équipements urbains (stades, aéroports, centres commerciaux…) peuvent faire l’objet de mobilisations et de conflits politiques mobilisant des militant.e.s à des échelles nationales et internationales. Étudier ces oppositions, c’est comprendre les rapports de force entre pouvoirs publics, entreprises, expert.e.s et habitant.e.s. Quelles protestations suscitent-elles ? Comment les pouvoirs publics régulent-ils ces mobilisations ?

  1. Anamnèse : récits et imaginaires du renouvellement de la ville

Le chantier, parce qu’il expose à ciel ouvert la fabrique de la ville, devient un puissant enjeu de récits urbains. Inscriptions monumentales, fresques commémoratives, bas-reliefs de fondation, plans, journaux de bord, rapports administratifs, affiches, cartes postales, séries photographiques, reportages de presse, films documentaires, littérature ou posts sur les réseaux sociaux mettent en scène la cité en train de se faire. Que ce soit dans la littérature, la musique, ou dans les arts visuels, les représentations artistiques du chantier en ville offrent des visions concurrentes, entre célébration de la prouesse technique et dénonciation d’un désordre, entre la cité florissante en perpétuelle refondation, cité de l’avenir, innovante et rationalisée, et la cité sombrant dans la démesure, ville défigurée, livrée au bruit, à la laideur et à l’exclusion.

Le chantier met à l’épreuve les temporalités urbaines : annonces triomphales, retards interminables, accélérations dictées par l’urgence politique, interruptions laissant derrière elles des structures inachevées. Destruction de l’ancien, promesse du nouveau : discours officiels, orchestration de véritables chantiers-spectacles chroniques d’habitant.e.s ou communiqués d’entreprise mettent en récit ces rythmes dissonants et peuvent contribuer à forger l’image d’une ville perpétuellement « en chantier ». Le quatrième axe invite à interroger les manières dont ces narrations nourrissent l’imaginaire collectif et inscrivent – ou non – certains travaux dans la mémoire de la ville et dans les cultures urbaines : quels chantiers génèrent ses archives et/ou ses représentations matérielles ? Qui les produit ? Pour quels publics ? Avec quels codes visuels ou narratifs ? Que révèlent-elles des idéologies urbaines qui les sous-tendent ? Comment autorités publiques, entreprises, architectes ou mouvements citoyens mobilisent-ils images et discours pour légitimer – ou contester – un projet présenté comme “moderne” ?

Contacts

Les propositions de communication, en français, anglais, italien ou espagnol, sont à envoyer avant le 25 novembre 2025 par courriel en fichier joint à : Congres.SFHU@gmail.com

Elles comporteront un titre et un résumé d’environ 1500 à 3000 signes, de même que les coordonnées de l’intervenant.e (nom, prénom, fonction et rattachement institutionnel, courriel, numéro de téléphone).

Les réponses seront données mi-décembre 2025 sur avis du comité scientifique. Les collègues retenu.e.s pour le congrès seront invité.e.s à préparer une communication écrite pour faciliter un projet de publication.

Composition du comité d’organisation : Laurent Coudroy de Lille, Laurent Cuvelier, Charles Davoine, Lucie Gaugain, Paul Lecat, Virginie Mathé, Julien Noblet

Composition du comité scientifique :

En plus des membres du comité d’organisation : Florence Bourillon, Philippe Bernardi, Boris Bove, Natacha Coquery, Cédric Fériel, Jean-Pierre Guilhembet, Frederic Moret, Jean-Luc Pinol, Olivier Ratouis, Laurence Remy-Buchholzer, Diane Roussel, Stéphanie Sauget, Matthieu Scherman, Sylvain Schoonbaert, Mélanie Traversier, Jennifer Vanz, Céline Vaz

 

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