Appel à communication : « Coping with copia » (Montréal, 14-16 mai 2015)

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Coping with Copia :
Surabondance épistémologique entre art et science
dans la première modernité
Colloque à Montréal, 14-16 mai 2015

Nous vivons dans une ère de débordement d’informations sans précédent.

Voilà un des lieux communs les plus fréquemment utilisés pour caractériser

ce début du XXIe siècle, à la fois dans le débat universitaire et dans l’imaginaire

collectif. Comme souvent dans le cas des lieux communs, celui-ci comporte une

part de vérité. L’ère d’Internet représente en effet, au moins d’un point de vue quantitatif,

la plus formidable multiplication d’informations disponibles que l’humanité n’ait

jamais vécue. Une grande partie de ces informations prend une forme visuelle :

nous avons à notre disposition toujours plus d’images et de diagrammes

représentant toutes sortes de choses, et nous souhaitons souvent – ce qui est

peut-être un phénomène anthropologique plus général – donner un aspect

visuel à des informations qui, à l’origine, ne s’adressent pas nécessairement

au regard.

Le caractère inédit du débordement épistémologique actuel mériterait cependant

d’être relativisé. En effet, certaines périodes du passé ont connu des situations

culturelles similaires si l’on considère, d’un côté, l’augmentation objective de la

quantité d’informations disponibles et, de l’autre, le sentiment subjectif de vivre

dans une époque de saturation épistémologique sans précédent. Un moment

emblématique où de telles conditions ont été réunies sont les XVIe et XVIIe

siècles en Europe, une période où l’expansion des connaissances

géographiques côtoyait une activité scientifique accrue menant à la

« Révolution Scientifique », concept aujourd’hui souvent contesté mais

toujours bien ancré dans l’historiographie; une période d’intenses

bouleversements esthétiques aussi.

À cette époque, tout comme aujourd’hui, l’optimisme quant aux perspectives

ouvertes par les nouveaux savoirs était inextricablement mêlé aux craintes

d’avoir « trop à savoir » (« Too Much to Know », pour reprendre le titre de

l’ouvrage fondamental d’Ann Blair) – ainsi qu’à la difficulté à comprendre,

sélectionner et organiser des informations en quantité constamment croissante.

À l’époque, comme aujourd’hui, les artistes et les chercheurs étaient

à la pointe de l’entreprise visant à digérer et à discipliner le savoir

– ou, à l’inverse, cherchant à dénoncer sa surabondance et

à exprimer l’inévitable échec humain à organiser tout ce que l’on

sait et à y donner un sens. À l’époque, comme aujourd’hui, les

artistes et les érudits contribuaient, souvent à leur insu, à cette

même copia qu’ils critiquaient si souvent.

Le débordement épistémologique est un défi constant pour ces personnes

dont la fonction sociale est de représenter différentes facettes de la

réalité. Les deux professions qui sont appelées le plus souvent à

fabriquer des représentations visuelles du monde – générales ou

spécifiques, systématiques ou aléatoires – sont probablement les scientifiques

et les artistes. Dans leurs univers professionnels, le plus souvent totalement

séparés, les acteurs de la science et des arts plastiques cherchent – et

cherchaient dans le passé – à donner forme et à organiser cette abondance

épistémologique qui les entoure. Il arrive aussi qu’ils cherchent, au

contraire, à représenter justement l’irreprésentabilité d’une réalité multiple

et ostensiblement inépuisable. Cela dit, les artistes et les scientifiques

sont loin d’être simplement réactifs vis-à-vis de la multiplication du savoir

disponible; ils sont parmi les responsables de l’existence même de ce

savoir, et ce rôle doit, lui aussi, être pris en compte.

Les différentes stratégies conçues pour la représentation visuelle du débordement

épistémologique seront au cœur de ce colloque organisé à Montréal en mai 2015,

et qui accueillera des historiens, des historiens de l’art, des historiens de la science

et des chercheurs de disciplines connexes. Si les propositions d’interventions

doivent traiter de la première modernité (XVIe-XVIIe siècles), les séances seront

quant à elles commentées par des répondants spécialistes de la science

contemporaine et de l’art actuel, soulignant ainsi la pertinence de l’exemple

historique pour les débats et la création à notre propre époque.

Dans le domaine artistique, les stratégies esthétiques et épistémologiques des

artistes contemporains et des peintres et sculpteurs de la Renaissance tardive,

du maniérisme et du Baroque offrent, en effet, un terrain fécond de comparaisons.

Si l’on peut raconter l’histoire de l’art à l’aube de l’âge moderne comme une série

de tentatives pour représenter visuellement du savoir et refouler la complexité

insupportable d’une telle entreprise – un récit que ce colloque cherchera à vérifier

et à approfondir – l’art autour des années deux mille est concerné par un défi

étonnamment analogue.

Quant à la science et à ses propres politiques visuelles, la prolifération des images

dans les sciences cognitives actuelles, parmi d’autres domaines, et les espoirs

liés à ces représentations visuelles, rappellent des phénomènes semblables

au sein de l’histoire naturelle aux XVIe et au XVIIe siècles ainsi que l’usage

toujours plus fréquent, à l’époque, de diagrammes afin de représenter et

d’organiser les savoirs. Des stratégies visuelles étaient utilisées à la fois

pour figurer des objets épistémiques et ainsi produire du savoir sur ceux-ci

et pour ordonner, classer et analyser ce savoir. Les questions autour du

« Big Data » dans la science de nos jours auraient, elles aussi, des antécédents

dans les tentatives d’assembler et d’analyser des informations sur toutes sortes

de « particuliers naturels » (Grafton & Siraisi), recueillies par les érudits de la

première modernité et propagées à travers leurs réseaux tentaculaires de correspondance.

Nous invitons des propositions d’interventions en histoire de la science,

histoire de l’art et d’autres disciplines proches. Envoi de propositions

(maximum 300 mots, titre compris) pour des interventions en français ou en anglais,

à Fabian Kraemer (Fabian.Kraemer@lmu.de) et

Itay Sapir (sapir.itay@uqam.ca) avant le 31 mai 2014.

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