Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre.
La terre était sans forme et vide, il n’y avait que ténèbres à la surface de l’abîme,
et l’esprit de Dieu soufflait au-dessus des eaux.
Dieu dit « que la lumière soit ! » ; et la lumière fut.
Genèse, 1, 1-3
Ces phrases, qui comptent probablement parmi les plus célèbres du monde, renvoient à la cosmogonie chrétienne, originale puisqu’elle pose en son coeur le Verbe divin, originelle puisqu’elle est à la base de l’histoire de l’homme. Ouvrant la Bible, la Création divine fascine en profondeur l’homme médiéval, pour qui créer revient toujours à rejouer, imiter ou questionner le geste divin. Il s’agit toujours de faire la lumière dans un univers livré au chaos et à la faute : créer, c’est au moins autant façonner du neuf qu’ordonner l’existant – à l’image du Verbe de Dieu, formulé à l’impératif. Créer, c’est tirer du néant, tout comme « procréer » signifie donner naissance ; c’est donner du sens, et une pièce de théâtre « se crée » et « s’interprète » à la fois. D’ailleurs, le théâtre médiéval met souvent en scène des mystères divins : la création touche de près à la croyance. Et c’est peut-être en espagnol que ce lien se manifeste le mieux, où créer se dit crear, et où creer signifie croire.
L’unicité se décline toutefois au pluriel, l’action supposant des créateurs, des créations et parfois des créatures. Ce thème, volontairement très ouvert, permettra ainsi d’interroger conjointement le rapport du Moyen Âge au faire, à la fabrication, et au neuf, à l’innovation. Pierre Bourdieu se demandait qui avait créé les créateurs : cette journée d’études sera l’occasion, espérons-le, de souligner que c’est le Moyen Âge qui, en réfléchissant sur la Création, a inventé notre créativité.
Quatre axes de réflexions se dégagent dès lors.
La pensée et la représentation de la création. Qu’est-ce que créer veut dire pour la mentalité et la pensée médiévale ? Quel sens est donné à l’acte créateur ? D’Abélard à Nicolas de Cues, philosophes et théologiens posent une question fondamentale : l’homme, créature, peut-il légitimement créer sans usurper le rôle du Créateur ? L’articulation de la perfection de la Création divine, sans cesse représentée dans les arts figurés, à la possibilité de la création humaine, n’a de cesse d’interpeller penseurs et artistes. Seront donc bienvenues ici des communications portant tout d’abord sur la pensée, philosophie ou théologie de la création, ou sur les différentes cosmogonies ayant cours dans les espaces et les temps du Moyen Âge. L’on pourra également s’intéresser avec profit aux représentations du geste créateur ou des créatures, telles qu’elles sont mises en scène dans les œuvres (iconographiques, littéraires, musicales etc.), ou, à l’inverse, sur l’impossible représentation de celles-ci : de Byzance, marqué par la querelle de l’iconoclasme, au monde musulman où la représentation d’êtres animés est en théorie interdite.
La création à l’œuvre. Comment crée-t-on ? Si la mentalité médiévale affectionne comme modèle la création ex nihilo, il n’empêche que les œuvres renvoient le spécialiste à des conditions matérielles précises. Il s’agira ainsi d’appréhender le versant le plus concret de la question, en ayant à cœur d’éclaircir les interactions entre ces pratiques créatrices et la pensée de la création. On pourra avec profit se pencher sur les instruments dont use le créateur, mémoire, artes en littérature, modèles artistiques ; mais aussi sur les techniques, obéissant à de multiples dynamiques telles que la mode, les phénomènes d’échanges géographiques et d’influences culturelles. Les techniques de traduction, ou de réécriture, le phénomène du réemploi, la pratique de la glose et du commentaire empêchent-ils la création ? Afin de s’interroger sur les dynamiques à l’œuvre dans la créativité médiévale, on se montrera particulièrement attentif aux processus d’innovation, ou aux manifestations de désuétude : que ce soit dans le domaine artistique ou dans les fondations d’ordres religieux aux spiritualités novatrices.
Acteurs, auteurs, créateurs. Qui sont les acteurs de la création médiévale et quel visage nous présentent-ils ? Fait-on une différence entre l’artisan et le créateur, la production et la création ? Dans cette perspective, on s’intéressera particulièrement aux manifestations témoignant de l’émergence de l’artiste et de l’auteur tout au long de la période. Comment se manifeste ou se met en scène le créateur dans des textes qui se caractérisent par une labilité fondamentale, par leur « variance », selon le terme de Bernard Cerquiglini ? Quels lieux investit-il et de quelles figures, mythologiques ou autres, se fait-il un masque ? Au delà, on cherchera à explorer la dimension fondamentalement collective de la création à travers la place et le rôle du copiste, tantôt interpolateur ou continuateur de l’œuvre, ou en réfléchissant sur le travail d’atelier. Jouant un rôle différent, le commanditaire n’en participe pas moins au processus de création, qu’il soit un noble mécène ou un ordre religieux. On s’efforcera ainsi de mettre en lumière l’ampleur et les modalités de son implication, entre simple commande et co-création.
Merveilleuses créatures. Parmi les créatures de Dieu, certaines détonnent et étonnent, qu’elles soient figures de perfection – les anges – ou reflets des peurs de l’homme – les monstres. Renvoyant tantôt à un autrefois, tantôt à un ailleurs, tantôt à un autre, les créatures merveilleuses hantent l’imaginaire de l’homme médiéval, habitent les marges des cartes et renvoient à tout à un imaginaire de la Création qu’il s’agira ici d’interroger. On pourra dans cette perspective s’intéresser aux nombreux êtres extraordinaires qui peuplent la littérature merveilleuse. En effet, le goût du médiéval pour le monstrueux ne manque pas d’interpeller ; les créatures permettent-elles de tenir un discours autre sur la réalité ? Quel est le statut épistémologique de ces créatures et de ces représentations : le Moyen Âge croyait-il à ses monstres ? Les importants débats théologiques qui se sont penchés sur les monstres ou les anges sont peu parlants pour nos regards de modernes, mais ces controverses permettaient de penser la société, l’homme, l’Église, et le monde.
Les communications de doctorants ou de jeunes chercheurs venus de toutes les disciplines sont les bienvenues, en particulier en histoire, littérature, histoire de l’art, philosophie, théologie, archéologie, musicologie et linguistique. Les communications ne devront pas excéder 25 minutes ; après soumission à un comité de lecture, elles pourront être intégrées aux actes de la journée d’études, publiés aux Presses Universitaires de Paris-Sorbonne.
Les propositions de communication, d’un maximum de 2 500 mots (merci de joindre un CV), sont à envoyer avant le 10 mars 2015 à Elise Banjenec, Florian Besson, Viviane Griveau-Grenest et Julie Pilorget, à l’adresse suivante : j.etudes.questes2015@gmail.com.
Journées d’études organisées le vendredi 5 et samedi 6 juin 2015 en Sorbonne par l’association de doctorants Questes (http://questes.hypotheses.org).
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