Appel à communication : « Dessin et ingenium : les voies de l’invention, du modèle à ses métamorphoses » (Lausanne, 23-24 nov. 2023)

Appel à communication : « Dessin et ingenium : les voies de l’invention, du modèle à ses métamorphoses » (Lausanne, Université de Lausanne, 23-24 nov. 2023)

Libération de l’esprit et de la main, le dessin esquisse ou parachève l’invention de multiples manières. Si ce processus a fréquemment été mis en lumière dans le cadre de la création directe, picturale notamment, il mérite d’être considéré dans le domaine bien plus large de l’interprétation et de la réinvention. Ainsi, alors que l’estampe est considérée comme une source première dans laquelle artistes et artisans pouvaient puiser leur inspiration, sa reprise n’est que rarement étudiée sous l’angle de l’aboutissement à un dessin nouveau, au service d’un dessein souvent différent. Pourtant, de leur appropriation à leur métamorphose, les modèles graphiques, gravés ou visuels servent avant tout de fondement à une réflexion comme à un geste qui deviennent autres. Une démarche qui est guidée par l’ingenium, qualité qui n’est pas réservée aux seuls « grands » artistes.

Faisant référence aux capacités innées dont serait doté un individu grâce à l’intercession d’une puissance d’engendrement (Dieu, Génie du lieu, Nature, etc.), l’ingenium (ingenio en espagnol, ingegno en italien) est un mot sans équivalent en français, qui est à l’origine des termes « ingéniosité », « ingénieur » ou encore « génie » et qui désigne une vivacité de l’esprit, une habileté à conjoindre, à comprendre pour inventer en formant un projet[1]. Plutôt que le seul talent, l’ingenium renvoie davantage à un processus de création[2]. Traditionnellement appliqué à un contexte littéraire (Cicéron, Érasme), il caractérise également, à partir de la Renaissance, l’artiste lettré inégalé, le génie créateur qui a marqué l’Histoire (Alberti, Dürer) et dont la figure de Léonard de Vinci serait l’un des archétypes. À l’instar du « véritable poète » porté par un « embrasement de l’âme », le dessin s’avère le témoin de la « fureur »[3] créatrice d’artistes capables – par leur bon jugement – de jeux de compositions et d’hybridations adaptés aux exigences de la convenance.

Dans ce sens d’une capacité à conjoindre ses sources dans le champ de l’invention, l’ingenium a été l’un des fondements de toute activité artistique[4]. En tant qu’instrument de discernement, de déduction et d’application, il caractérise tout savoir-faire fondé sur l’apprentissage et transcendé par l’ingéniosité, par des inflexions personnelles. Il existe ainsi à tous les niveaux des ateliers de l’époque moderne où, du maître à l’apprenti, il demeure fondé sur la pratique du dessin, par association de l’esprit et du trait quelles que soient les sources d’inspiration mises en jeu.

Parallèlement aux nombreuses publications de monographies, catalogues de musées ou d’expositions, plusieurs recherches ont montré le rôle primordial du dessin dans le processus de conception artistique mais aussi dans la valorisation du statut de l’artiste. Grâce à la conservation de nombreuses œuvres ou ébauches réalisées par des peintres, les travaux ont tout particulièrement concerné la production picturale du XVIe au XVIIIe siècle. Le dessin a été étudié en tant que pratique artistique au XVIe siècle, révélant alors la place essentielle de la copie et de la construction de la perspective. C’est également à travers la production architecturale, des XVIe et XVIIe siècles principalement, que son rôle dans le processus de création a été souligné. Des dessins de sculpteurs ont quant à eux été mis au jour grâce à des recherches concernant l’Italie d’une part et le cas français au XVIIIe siècle d’autre part. Enfin, des études ont été consacrées à la primauté de l’enseignement du dessin au XVIIIe siècle.

Dans la lignée des recherches précédemment citées, en associant le dessin dans des enjeux de re-création à l’ingenium perçu dans une dimension non élitiste, ce colloque souhaite mettre en lumière différents aspects de l’intention innovante et créatrice des artistes comme des artisans, perceptible à travers leur production graphique, du XVIe au XVIIIe siècle. La volonté est de considérer l’invention à travers le dessin, des origines d’un modèle aux phénomènes d’adaptation, d’interprétation, de simplification, d’enrichissement, de surenchère, etc. L’attention sera plus précisément portée sur les pratiques concrètes des ateliers en matière d’études de composition, de figure ou de décor. Les communications s’attacheront ainsi à croiser les champs de recherche entre le dessin et tout art visuel, du XVIe au XVIIIe siècle.

 

Les liens entre dessin et ingenium pourront être abordés selon les axes suivants (cette liste n’étant néanmoins pas exhaustive) :

– Hybridations et écarts du modèle ou de la règle : les expressions de l’ingenium

– Emprunts, déclinaisons, recompositions, de la source à l’intention

– Jeux et enjeux de l’adaptation

– Mettre en forme l’invention d’après un modèle : dessins d’atelier, dessins préparatoires, dessins de présentation…

– Les usages didactiques du dessin : copier, documenter, classer, transmettre

– La place du dessin d’interprétation dans l’enseignement artistique

– Discours autour de l’invention : reprise, plagiat, revendication

– L’histoire de l’art face au dessin : méthodes d’attribution et d’identification ; saisir les étapes de l’invention

 

Modalités pratiques :

Les propositions de communication (titre et sujet problématisé), d’une longueur de 2500 signes environ, accompagnées d’un CV (avec la liste des publications), sont à envoyer avant le 30 juin 2023 à Sarah Munoz (sarah.munoz@unil.ch) et Colin Debuiche (colin.debuiche@univ-rennes2.fr). Les communications dureront 25 minutes et pourront être proposées à plusieurs voix. Le résultat de cet appel sera communiqué avant le 15 juillet 2023. Ce colloque donnera lieu à une publication.

[1] PONS Alain, « De Inventione. L’invention chez Vico », Communication au Congrès international, tenu à Tokyo, en avril 1984, sur le thème « La deuxième Renaissance ». Document du Forum du Conseil scientifique MCX-APC, p. 1-5 [en ligne : www.mcxapc.org/docs/conseilscient/pons.pdf].

[2] VONS Jacqueline, « Les squelettes de Vésale », Jacqueline Vons (dir.), La fabrique de Vésale : la mémoire d’un livre [actes des journées d’étude, 21-22 novembre 2014], Paris, Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2016, p. 37-64.

[3] Cicéron, cité par BRIAND Michel, « L’invention de l’enthousiasme poétique », Cahiers des mondes anciens, n° 11, 2018 [en ligne : https://doi.org/10.4000/mondesanciens.2113].

[4] MARR Alexander, OOSTERHOFF Richard J., RAMÓN MARCAIDA José, Ingenuity in the Making: Matter and Technique in Early Modern Europe, Pittsburgh, Pittsburgh University Press, 2021.

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