Virtuosités. Éthique et esthétique du geste technique du Moyen Âge au xixe siècle
Colloque international
14-15-16 Janvier 2021
Institut national d’histoire de l’art – 2, rue Vivienne 75002 Paris (salle Vasari)
Les savoir-faire et les gestes techniques ont déjà fait l’objet de travaux collectifs visant à les étudier dans leur dimension ethnologique, anthropologique, économique, technique ou sociologique [Bril 2002, de Beaune 2013b, Bouillon, Guillerme, Piernas 2017, Joulian, D’Onogrio 2006]. Les procédures industrielles pour les périodes les plus récentes ont bien été étudiées par les historiens contemporanéistes qui se sont notamment penchés sur leur constitution, leur diffusion et, plus largement, l’histoire technique ou culturelle de ces procédures industrielles [par exemple Baudet 2004 ou des périodiques tels que la Revue d’histoire de la sidérurgie publiée à Nancy depuis 1960]. Pour les périodes antérieures en revanche, la perspective le plus souvent adoptée par les historiens et les historiens de l’art pour aborder l’histoire des techniques depuis les années 1950 notamment a d’abord été celle d’historiens du travail et de la production [par exemple Coquery, Hilaire-Perez, Sallmann, Verna 2004]. Ils ont été peu nombreux à envisager les gestes techniques et les savoir-faire en tant qu’objets historiques, soumis à des régimes culturels variés.
Cette situation est d’autant plus dommageable que les évolutions disciplinaires récentes font une place croissante aux contraintes matérielles et physiques des processus de production. Cela est le cas de l’histoire de l’art médiéval au sein de laquelle le nombre grandissant de travaux se réclamant de l’archéologie du bâti ont contribué à reconfigurer le panorama historiographique de la discipline en introduisant – ou en affichant – un intérêt renouvelé pour les processus [Hartmann-Virnich, Boto-Varela, Reveyron 2012]. C’est tout autant le cas pour l’histoire de l’architecture des xviie et xviiie siècles dont les perspectives de recherche ont été élargies par le développement de l’histoire de la construction [par exemple Carvais, Guillerme, Nègre, Sakarovitch 2012]. Pourtant, en dépit de ces évolutions récentes et bien que les historiens de l’art ne peuvent que considérer nécessaire de convoquer les contraintes matérielles de la production artistique et artisanale, les travaux des historiens, des philosophes, des anthropologues ou des sociologues qui se sont intéressés au geste et à la raison technique sont peu pris en considération.
Le présent colloque vise donc à provoquer la rencontre et le dialogue de différentes approches du geste technique, à partir d’une catégorie de gestes que l’on nomme virtuoses. On entend par là, l’attitude qui consiste à imposer indiscrètement à l’attention l’acte de produire ; la virtuosité étant considérée comme la primauté accordée à une métatechnique (« la technique de production des formes qui produisent des effets ») [Klein 1970, 393, note 1 et Klein 1960-62, 152, 154 et 215, chapitre « La Maraviglia »]. Le phénomène sera examiné dans le domaine de la construction, mais aussi dans l’ensemble des activités artisanales et artistiques des époques pré-industrielles (de la peinture à la danse et à la musique, en passant par l’orfèvrerie, l’ébénisterie, le textile ou encore l’art des jardins). Il s’agira de voir si, par exemple, les constats élaborés sur ce phénomène par les sciences cognitives ou anthropologiques peuvent être historicisés pour éclairer notre connaissance du geste technique virtuose, de son statut et de sa valeur sociale ou culturelle et nourrir ainsi l’analyse de l’historien.
Différentes thématiques convergentes pourront permettre d’élaborer un échange sur ce thème.
– Les discours sur la virtuosité technique et les pratiques virtuoses [Suthor 2010, Nègre 2019a]. Que pensent les théoriciens, les critiques et plus généralement le public des démonstrations d’habileté et des objets qui en résultent ? Comment les praticiens en parlent-ils eux-mêmes ?
– Les définitions et aspects de ces pratiques virtuoses pré-industrielles (création, restauration) ; les types de virtuosités (perfection d’exécution, recherche de complexité, recherche de variété, maîtrise des échelles extrêmes, rapidité d’exécution, etc.) [Kris, Kurz 2010, 95-101. Nègre 2019b. Guillouët 2019] ; les caractéristiques des objets.
– Les conséquences culturelles et sociales ainsi que les effets « de l’adresse » (dans les deux sens du terme) du geste technique virtuose, à destination « interne » ou « externe » [de Beaune 2013a].
– La transmission des savoir-faire « incorporés » [ainsi que les définit Barel 1977] ou formalisés par le biais de dessins et de modèles. Quel rôle le défi technique joue-t-il dans la formation (via les provocations, les chefs-d’œuvre, les concours, etc.)? Et dans l’innovation ? Quelle tension entre secret d’atelier et formalisation des savoir-faire ?
– Les conditions matérielles de la diffusion de ces savoir-faire ainsi que les cadres culturels de leur transmission (formalisation du geste, médiations des processus…) et des critères de la distinction virtuose [Metzner 1998] ; les représentations de la virtuosité dans les manuels, les recueils et les estampes, tels que les collectionnait Jacques Doucet. Ces dernières questions soulèvent celle du rôle de la perfection technique dans la délectation esthétique [Gell 1992. De Beaune 2013a] et celle de l’« esthétique fonctionnelle » d’André Leroi-Gourhan [Leroi-Gourhan 2009. Duci 2012].
– Etudes de cas : certaines communications pourront porter sur l’analyse de gestes techniques à partir d’objets et à travers leur étude documentaire et matérielle (dans le cadre d’études de conservation-restauration notamment).
Les propositions de communications devront être adressées avant le 15 juin 2020 à Jean-Marie Guillouët (jmguillouet@gmail.com) et Valérie Nègre (valerie-negre@wanadoo.fr) sous la forme d’un résumé de 2 000 signes maximum.
Elles doivent être accompagnées d’un court CV d’une page.
Le colloque se tiendra à l’Institut national d’histoire de l’art avec le soutien de l’INHA, l’Institut d’histoire moderne et contemporaine (Paris) et le Centre François Viete (Nantes)
Indications bibliographiques
Barel 1977 : Yves Barel, « La ville avant la planification urbaine », dans Prendre la ville, Paris : Antropos, 1977, 16-19
Baudet 2004 : Jean C. Baudet, De la machine au système. Histoire des techniques depuis 1800, Paris, 2004.
Bouillon, Guillerme, Piernas 2017 : Didier Bouillon, André Guillerme, Martine Mille, Gersende Piernas, Gestes techniques, techniques du geste, Paris, Septentrion, 2017
Bril 2002 : Blandine Bril (dir.), « Le geste technique. Réflexions méthodologiques et anthropologiques », Éditions Erès, Revue d’Anthropologie des connaissances, Technologies/Idéologies/ Pratiques, Vol. 14(2), 2002.
Carvais, Guillerme, Nègre, Sakarovitch 2012: R. Carvais, A. Guillerme, V. Nègre, J. Sakarovitch, (dir.), Nuts & Bolts of Construction History. Culture, Technology and Society, Paris, Picard, 2012, 3 vol.
Coquery, Hilaire-Perez, Sallmann, Verna 2004 : Artisans, industrie. Nouvelles révolutions du Moyen Âge à nos jours, Natacha Coquery, Liliane Hilaire-Pérez, Line Sallmann et Catherine Verna (dir.), Lyon, ENS-éditions, 2004.
de Beaune 2013a : Sophie A. de Beaune, « Introduction : Esthétique du geste technique », Gradhiva [en ligne], 17 (2013), 4-25.
de Beaune 2013b : Sophie A. de Beaune, « De la beauté du geste technique en préhistoire », Gradhiva [en ligne], 17 (2013), 26-49.
Duci 2012 : Annamaria Duci, « Chirurgia della creazione », Predella, vol. 3 (Chirurgia della creazione. Mano e arti visive).
Gell 1992 : Alfred Gell, « The technology of enchantment and the enchantment of technology », in J. Coote et A. Shelton (éd.), Anthropology, art and aesthetics (Oxford, Clarendon Press, 1992) : 40-63
Guillouët 2019 : Jean-Marie Guillouët, Flamboyant Architecture and medieval Technicality : the Rise of artistic Consciousness at the End of Middle Ages (ca 1400-ca 1530), « Architectura Medii Aevi », Turnhout, Brepols, 2019
Halleux 2009 : Robert Halleux, Le savoir de la main: savants et artisans dans l’Europe pré-industrielle, Paris, Armand Colin, 2009
Hartmann-Virnich, Boto-Varela, Reveyron 2012 : Hartmann-Virnich A., Boto-Varela G., Nussbaum N., Tallon A., Reveyron N., « Archéologie du bâti. Du mètre au laser », Perspective, 2012-2 (2012), 329-346.
Hilaire-Perez 2013 : Liliane Hilaire-Perez, La pièce et le geste, Paris, Albin Michel, 2013.
Joulian, D’Onogrio 2006 : Frédéric Joulian et Salvatore D’Onofrio (dir.), Dire le savoir-faire. Gestes, techniques et objets, Collection d’Anthropologie, Paris, Cahiers de l’Herne, 2006.
Klein 1960-62 : Robert Klein, L’Esthétique de la Technè, Jérémie Koering et Henri Zerner (éd.), Paris, Institut national d’histoire de l’art, 2017 (1960-1962).
Klein 1970 : Robert Klein, « L’Art et l’attention au technique », dans La Forme et l’intelligible, Paris, Gallimard, 1970.
Kris, Kurz 2010 : Ernst Kris et Otto Kurz, La Légende de l’artiste, Paris, Allia, 2010 (Die Legende vom Künstler, Vienna, Krystall Verlag, 1934).
Leroi-Gourhan 2009 : André Leroi-Gourhan, Le Geste et la parole. La Mémoire et les rythmes, Paris, Albin Michel, 1965.
Metzner 1998 : Paul Metzner, Crecendo of the Virtuoso. Spectacle, Skill, and Self-Promotion in Paris During the Age of Revolution, Berkeley, University of California Press, 1998
Nègre 2019a : Valérie Nègre, « Architecture and Technical Virtuosity in Eighteenth Century France », dans Sven Dupré & Marieke Hendriksen (dir.), The Making of Technique in the Arts: Theories and Practice from the Sixteenth to the Twentieth Century, Bruxelles, Brepols (à paraître 2019).
Nègre 2019b : Valérie Nègre, « Virtuosité technique et esthétique artisanale dans l’architecture aux XVIIe et XVIIIe siècles », Images Re-vues, Histoire, anthropologie et théorie de l’art, Hors-série n° 7 « Par-delà art et artisanat », 2019, http://journals.openedition.org/imagesrevues/6451
Stoichita, Grimaud, Jones 2011 : Victor A. Stoichita, Emmanuel Grimaud et Graham Jones (dir.), « Virtuosités ou Les sublimes aventures de la technique », numéro spécial des Ateliers d’anthropologie [En ligne], 35 | 2011
Suthor 2010: Nicola Suthor, Bravura: Virtuosität und Mutwilligkeit in der Malerei der Frühen Neuzeit, Munich, Wilhelm Fink Verlag, 2010.
Comité d’organisation
Pauline Chevalier (INHA)
Jean-Marie Guillouët (Université de Nantes)
Sigrid Mirabaud (INHA)
Valérie Nègre (Paris I)
Comité scientifique
Victor A. Stoichiţă (CREM)
Nicola Suthor (Yale university)
André Guillerme (cnam, chaire unesco)
Gil Bartholeyns (université de Lille 3 – IRHiS)
Philippe Bernardi (lamop)
Patricia Falguières (ehess)
Liliane Hilaire-Pérez (ehess)
Antoine Picon (Harvard University)
Nicolas Adell (Université Toulouse Jean Jaurès)
Sven Dupré (Utrecht University)
Pamela Smith (Columbia University)
Anne-Laure Carré (CNAM)
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