Appel à communication pour la journée d’étude :
Faire parler les silences de l’histoire. Les patrimoines absents.
Dans le cadre de leur formation à l’Institut national du Patrimoine, les élèves conservatrices et conservateurs de la promotion Michelle Perrot (2022-2023), regroupé·e·s dans l’association ECSPat (Élèves Conservateurs Stagiaires du Patrimoine), organisent une journée d’étude qui se tiendra à Paris le 7 avril 2023. Celle-ci aura pour objet la notion de “Patrimoines absents” avec pour objectifs d’en clarifier les différentes acceptions et d’en explorer les multiples dimensions.
L’idée de ce sujet nous est venue d’un constat : en tant que professionnel·le·s de la culture et du patrimoine, nous passons beaucoup de temps à étudier les matériaux qui sont à notre disposition (archives, pièces archéologiques, œuvres, monuments, etc.). Dans de nombreuses situations cependant, nous sommes confronté·e·s à l’absence d’archives sur un sujet, à l’absence d’œuvres témoignant de la production de tel·le artiste, d’objets attestant l’histoire d’une période ou d’une communauté, de traces témoignant d’un monument disparu, ou à l’absence de pièces archéologiques qui auraient pu se trouver légitimement dans un site fouillé, etc.
Peut-on interpréter cette absence ? De quelle manière ? Constitue-t-elle un écueil infranchissable, ou ne peut-elle pas, dans certains cas, être plus signifiante encore que la présence effective de ces artéfacts ? Ne faut-il pas parfois s’abstenir d’interpréter cette lacune, et accepter que nous ne savons rien de certains sujets ?
Étudier le patrimoine absent pose d’abord des questions de méthodologie de la recherche. Michelle Perrot (sous le patronage de laquelle notre promotion a choisi de se placer) n’a eu de cesse, dans ses travaux, d’interpréter ces lacunes. En 1973, lors de la leçon inaugurale du cycle de cours intitulé « Les femmes ont-elles une histoire ? » qu’elle initie à la Sorbonne avec Pauline Schmitt et Fabienne Bock, elle fait le constat que les femmes ont longtemps été absentes du récit historique notamment parce que peu de traces de leur existence et de leur histoire, individuelle et collective, ont été conservées. Michelle Perrot a interrogé tout au long de sa carrière cette question de l’absence afin, dit-elle, de « faire parler les silences de l’histoire ».
S’interroger sur la notion d’absence appliquée aux patrimoines invite également à interroger le rôle des publics. À l’heure des droits culturels, que faire quand certains publics ne s’identifient pas au patrimoine légitimé par nos institutions ? Par ailleurs, comment les publics pourraient-ils s’emparer de ce patrimoine, dès lors que celui-ci est réputé absent ou s’est absenté ?
La question se pose également de l’accès aux patrimoines via les technologies numériques, et plus singulièrement du rôle des reconstitutions 3D et des dispositifs immersifs. Contrairement à d’autres outils numériques, ces derniers reposent en effet sur la mise en présence, même virtuelle, d’un patrimoine absent, disparu ou inaccessible,et d’un public distant. Quels moyens sont alors les plus pertinents pour recréer l’illusion et l’émotion de la présence réelle ? Quelles en sont les limites ? Quels sont les écueils dans l’utilisation de ces dispositifs ?
Les patrimoines absents – n’ayant jamais existé, n’ayant laissé aucune trace, dont celles-ci ont été volontairement invisibilisées, ou encore dont les témoignages ont accidentellement disparu –, interrogent donc nos pratiques – et notre éthique – professionnelles en profondeur. Plus généralement, ils nous conduisent à reconsidérer la définition même du patrimoine. Si la notion d’un patrimoine immatériel a été reconnue et définie en 2003 par la Convention internationale pour la Sauvegarde du Patrimoine Culturel Immatériel de l’UNESCO, celui-ci reste moins considéré que le patrimoine matériel dans le monde patrimonial occidental. La définition du patrimoine peut-elle évoluer vers une approche moins matérialiste (et “présentialiste” ?) que celle prévalant dans nos sociétés occidentales contemporaines, afin d’y intégrer le(s) patrimoine(s) absent(s) ?
À ces questions, nous, conservatrices et conservateurs du patrimoine, ne pouvons répondre seul·e·s. C’est pourquoi cette journée d’étude se veut être l’occasion d’un dialogue résolument pluri- et interdisciplinaire permettant d’entendre à la fois ce que des professionnel·le.s de divers champs peuvent apporter comme réponses aux multiples interrogations qu’entraîne cette réflexion autour de la notion de patrimoines absents.
Ainsi, pour nourrir cette journée d’étude, le comité d’organisation adresse cet appel à communication au spectre large des professionnel·le·s du patrimoine, comprenant :
- chercheurs, chercheuses, étudiants et étudiantes en histoire de l’art mais également en histoire, sociologie, ethnologie, philosophie, droit du patrimoine, etc.
- professionnel·le·s des musées
- restaurateurs et restauratrices
- archéologues
- archivistes
- architectes
- artistes, réalisateur·ices, auteur·ices, etc.
Dans cette perspective de croisement des disciplines et des pratiques, les contributions pourront notamment mettre en exergue et faire dialoguer les thèmes suivants :
- les politiques de collecte et de sélection dans les archives
- l’évolution des politiques de conservation, d’acquisition
- l’histoire du goût
- la disparition du patrimoine
- les destructions intentionnelles du patrimoine en contexte de conflits armés
- la question de la photographie d’urgence dans les services d’Inventaire
- la sanctuarisation d’espaces protégés, et les différentes manières de prévenir la disparition du patrimoine naturel et vivant
- les manières de signifier l’absence dans un espace patrimonial, d’exposer ce qui n’existe pas ou plus
- la matérialité et l’immatérialité du patrimoine
- les patrimoines confisqués ou inaccessibles (et notamment la question des restitutions)
- la numérisation ou l’enregistrement de sites voués à disparaître (les reconstitutions de grottes ornées, par exemple)
- l’exposition volontaire et signifiante de l’absence du patrimoine
- la méthodologie de la recherche et l’absence des sources
- le rôle de la fiction pour répondre à l’absence de sources, d’oeuvres, de connaissances
- le rôle des outils numériques dans l’évocation ou la présentation du patrimoine absent ou disparu
Les propositions de communication – soit individuelles, soit collectives (en proposant un panel de deux à trois intervenants) -, d’environ 3 000 caractères (espaces compris), devront comprendre le titre de la communication et le résumé de la proposition et être accompagnées également d’une courte biographie (1 200 caractères) et des coordonnées du candidat. Elles sont à adresser avant le 5 décembre 2022 à charlotte.sarrazin@inp.fr et fiona.luddecke@inp.fr
Les communications seront limitées à 20 minutes afin de permettre des temps d’échange avec la salle à la suite de chaque série d’interventions.
Les candidat·e·s recevront une réponse quant à leur participation dans le courant du mois de janvier 2023.
La journée d’étude se déroulera en présentiel à Paris (INHA – Auditorium Jacqueline Lichtenstein) le 7 avril 2023 de 9h à 18h, et sera accessible en ligne.
L’association ECSPat prendra en charge les frais de déplacements des intervenant·e·s en France métropolitaine – dans une démarche éco-citoyenne, le transport ferroviaire sera privilégié. En outre, un dispositif de visio-conférence sera mis en place afin de favoriser la participation d’intervenant·e·s géographiquement éloigné·e·s.
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