Appel à communication : « Femmes de guerre (XVIe-XVIIIe siècles) » (Paris, 29-30 mars 2019)

Appel à communication : « Femmes de guerre (XVIe-XVIIIe siècles) » (Paris, 29-30 mars 2019)

Un certain nombre de travaux consacrés aux femmes dans la guerre, particulièrement au XXe siècle, ont accordé une part de plus en plus importante aux combattantes. Ce champ d’étude est assez récent, pour deux raisons : le double stéréotype d’une aversion et d’une incapacité naturelles proprement féminine pour la guerre – les femmes subissant le départ de leurs hommes pour le combat et restant dans l’attente de leur retour ou de la nouvelle de leur mort, les femmes trop faibles pour porter une arme, les femmes trop délicates pour tuer ou pour supporter la vue du sang – a pour corollaire l’incapacité militaire supposée des femmes d’une part et, d’autre part, la présence des femmes dans les armées semble à première vue très récente et croissante (les premières Françaises intègrent l’armée via les services de Santé des armées en 1914, les premières à se battre dans des forces armées le font lors de la Seconde Guerre mondiale, les premières à intégrer des écoles militaires le font entre 1976 et 1992…), ce qui a nourri tout un ensemble de recherches et de réflexions. Malgré la proportion toujours faible de femmes dans les armées actuelles, le stéréotype tend tout de même à s’atténuer puisque, dans un nombre croissant d’armées conventionnelles, les femmes peuvent aujourd’hui intégrer des unités combattantes et se retrouver projetées dans des zones de combat.

En ce qui concerne l’Ancien Régime en revanche, le stéréotype persiste largement, puisque les armées n’étaient pas mixtes et que nous avons toujours malgré nous une vision souvent téléologique et progressiste de l’histoire. Or, Sophie Cassagne-Brouquet, dans sa thèse portant sur les « chevaleresses », écrit que « ce stéréotype a masqué, dans l’histoire du Moyen Âge, la présence de combattantes conscientes et actives. » Ainsi, depuis un certain nombre d’années, des travaux ont montré l’écart grandissant entre les représentations que nous nous faisons de l’Ancien Régime et la réalité alors des femmes de guerre, qui sont loin de constituer une image uniforme et de se réduire aux seules chevaleresses ou menues combattantes. Les biais des chercheurs sont parfois démasqués au cours de découvertes étonnantes. Par exemple, tout récemment, on a pris conscience qu’un squelette de guerrier viking de haut rang, connu depuis 130 ans, était en fait celui d’une guerrière : aucun archéologue ne s’était posé la question de son sexe tant était – est – tenace le préjugé qu’un guerrier, a fortiori puissant, est forcément un homme, en-dehors de cas rarissimes ou émanant de sociétés à demi légendaires. La place des femmes dans les combats et les guerres (comme « batailleresses », « officières », « seigneuresses » ou reines) au Moyen Age est donc de plus en plus remarquée et réévaluée, particulièrement dans la littérature anglo-saxonne. La question des représentations apparaît en tout cas comme centrale.

La Première Modernité est la parente pauvre de ces réévaluations bien que quelques travaux tracent des voies d’exploration. Pourtant, elle est intéressante à plus d’un titre pour ce sujet. Tout d’abord, pour la portée matricielle de cette époque : consécutivement à la tentative de confiscation de la violence légitime de l’État, l’armée est l’objet de multiples réformes qui ont abouti à la création de l’armée moderne dans l’Europe entière, au début de notre chronologie pour l’Espagne et, pour la France, particulièrement sous Louis XIV et à l’issue de la Révolution française. Or, au cours de cette période définitoire, les femmes qui ont pris les armes sont rares, et même se raréfient puisque, n’étant pas citoyennes, elles sont progressivement exclues de l’armée de soldats-citoyens alors que certaines avaient pu entamer une carrière sans avoir à se travestir, tant la France avait besoin de bras au moment de la Révolution : en s’interrogeant sur « de quoi est faite l’association entre masculin, armes et citoyenneté », D. Godineau montre dans son propos sur l’armée révolutionnaire que « les histoires concrètes de ces femmes soldats, leurs propos et ceux tenus sur elles aident à comprendre les mécanismes de l’exclusion des femmes des armées. » Il touche finalement à ce qui fait le cœur des réticences envers les femmes dans l’armée encore aujourd’hui.
Cependant, cela ne signifie pas que seuls les républicains ont pu, bon gré mal gré, admettre des femmes dans leurs troupes : les femmes profitent des interstices et des périodes troubles pour s’immiscer dans des secteurs qui leurs sont normalement fermés, Michelle Perrot l’a bien montré. Ainsi, les Brigandes, dont faisaient partie Marie Louise Victoire de Donnissan, marquise de Lescure puis de La Rochejaquelein ou encore Marie Renée Marguerite de Scépeaux, marquise de Bonchamps, sont les adversaires en symétrie des citoyennes en armes.
Ensuite, à cause du statut des femmes, qui se modifie au cours de la période : leurs libertés s’amoindrissent à partir de la Renaissance. Pourtant, la première moitié du XVIe s. voit apparaître les femmes sur les champs de bataille en Italie (les Pisanes contre les Florentins dans les années 1499-1509). En outre, « dans une société hiérarchisée où le rang est plus important que le sexe », elles pouvaient être amenées plus facilement à commander des hommes de rang inférieur ou à prendre les armes que dans une société comme la nôtre, où le sexe est finalement plus important que le rang. Bien plus, Elizabeth Iere ou Catherine II de Russie, en tant que dirigeantes suprêmes, étaient forcément à la tête de leurs armées : Catherine II est d’ailleurs connue pour avoir mené une politique d’expansion territoriale couronnée de succès. Le statut de la femme dans l’armée, dans les guerres, dans les combats a-t-il alors évolué ? Une Jeanne d’Arc n’était-elle possible qu’au Moyen Age ?
Ces changements de statut des femmes semblent influencer l’image de la femme qui connaît un changement notable au cours du XVe s. dans les littératures italiennes et françaises par exemple : les histoires d’amour importent désormais davantage que les prouesses de la « chevaleresse », personnage typique des épopées. Ce mouvement trouve sans doute son apogée après la Fronde en France. Pendant la rébellion, certaines Frondeuses se font volontiers portraiturer en armes et participent parfois concrètement aux opérations. Une fois la défaite consommée, elles ont dû se redéployer de la politique (donc des combats armés) vers d’autres domaines, la littérature étant un refuge approprié. Le ton s’y assagit et les guerrières de papier se tournent vers la galanterie. La question du genre littéraire joue bien entendu un grand rôle dans cette question : les épopées disparaissent, le roman s’impose, avec des codes différents.
Finalement, les combattantes, en tout cas certains types de combattantes, apparaissent peut-être davantage dans les chansons ou dans la littérature de colportage que dans les grands genres. Dès lors, si la question des genres littéraires joue, celle de la couche de la population qui est la cible des divers écrits importe également, dans une société où chacun occupe le rôle qui lui échoit à la naissance.

Littérature, peinture, histoires extraordinaires, écrits à valeur juridique et philosophiques diffusent des clichés qui sont déjà assez bien connus et qui remontent à l’Antiquité pour certains d’entre eux. Par exemple, les fantasmes qui s’attachent aux personnages de guerrières et des femmes qui conduisent les guerres : la dimension érotique qui éclot de leur androgynie, de leur travestissement ou encore de leur hypersexualisation remonte au moins à l’Antiquité – que l’on songe aux Amazones et à Camille dans l’Énéide –, mais s’accentue a priori au XVe s., époque de la sexualisation de la guerrière en littérature. Elles peuvent se voir attribuer des caractéristiques outrancières, oscillant entre Virgin Queen et luxurieuse Sémiramis, entre guerrière ou commandante sanguinaire et pleine de mansuétude, voire vaincue par l’amour du bel ennemi. La femme, victime de son imbecillitas sexus, peut sembler incapable de réellement commander une armée et un pays au-delà d’une certaine mesure. Est-ce à la Renaissance, dans le sillage de réformes comme la loi salique en France, que l’incapacité des femmes est théorisée dans le champ des armes ? Au contraire, les femmes de guerre sont-elles alors valorisées, et pourquoi ? Il n’est qu’à penser au travestissement en Amazones de Charles IX et de ses compagnons : « le travestissement en guerrière dans les tournois et carrousels [en vogue au XIIIe siècle] connaît un renouveau à la Renaissance », puisque les Amazones incarnent la chasteté, la sagesse de la bonne gouvernance et la bravoure. En un mot, un mélange parfait de qualités féminines et viriles, prisé par les rois qui peuvent se faire représenter en androgynes (autre forme d’une demi-divinité). Ce mélange parfait trouve son meilleur accomplissement dans des figures bibliques ou chrétiennes qui défendent leur religion contre les païens ou les Sarrasins.
Face aux clichés et aux machines à fantasme, les silences des représentations ne sont pas très connus et méritent largement qu’on s’y attache : si les femmes pirates, dont certaines sont devenues corsaires en temps de guerre, ont existé pendant notre période et en-dehors (Anne Bonny, Mary Read, Anne Dieu-le-veut, Louise Antonini…), certes souvent travesties mais pas systématiquement, leur présence dans les fictions ou dans les traités n’est pas perceptible. Inversement, la littérature épique peut accorder une place prépondérante mais sans doute disproportionnée à la guerrière (Marphise, Bradamante, Clorinde…), tout en omettant les groupes de combattantes ou de résistantes anonymes (que Plutarque, dans son Conduites méritoires des femmes, avait pourtant mis à l’honneur), ou encore mettre en valeur certaines commandantes de peuple et d’armée aux dépens d’autres qui concordaient moins à un programme idéologique ou tout simplement à un goût. Ainsi, si les arts et spectacles de cours royales ou princières mettent en scène les Amazones ou des femmes belliqueuses dont les figures se banalisent, il s’agit souvent moins de louer des femmes fortes pour elles-mêmes que de proposer des programmes iconographiques destinés à soutenir les exigences ou les demandes des uns et des autres. Les Amazones pourraient même être un obstacle aux femmes qui souhaitaient s’investir (à des degrés divers) dans les guerres :
convoquer les Amazones revient souvent à jouer sur la topique du mundus inversus, de l’exotisme (géographique ou temporel) et de l’érotisme. Valentina Denzel interprète la disparition des chevaleresses fictives comme Bradamante et Marphise au moment où les Amazones triomphent comme le signe que, aux yeux des écrivains, les femmes de guerre ne pouvaient que faire partie du passé.

Le colloque ambitionne de toute façon une perspective pluridisciplinaire : nous accueillerons avec intérêt les propositions portant sur la littérature, l’histoire, l’histoire de l’art, l’histoire de sciences… Les perspectives comparatistes seront également bienvenues : elles aideront à chercher à bien mesurer la valeur des phénomènes. En effet, les écarts dans les représentations peuvent être éloquents : les guerrières sarrasines fascinent les Italiens qui en constellent leurs épopées tandis que les Français ignorent pour la plupart ces figures. Les ouvrages anglais semblent conserver plus longtemps qu’ailleurs en Europe l’image
d’une guerrière belliqueuse et puissante, là où les Français en ont fait une femme trop faible pour pouvoir se passer de son compagnon lors de passes d’armes.

Organisation :
Société internationale pour l’étude des femmes de l’Ancien Régime (SIEFAR) et les Écoles de Saint-Cyr
Coëtquidan – CREC – Ministère des Armées.

En partenariat avec :
• Musée de l’Armée – Invalides
• Université Columbia à Paris – Centre Reid Hall
• Université de Paris-Sorbonne : CRLC et CELLF
• Université de Rouen – CÉRÉdI

Modalités :

Les propositions sont à envoyer avant le 20 juillet 2018 aux membres du comité d’organisation :
Marianne Charrier-Vozel : marianne.charrier@univ-rennes1.fr
Agnès Cousson : Agnes.Cousson@univ-brest.fr
Anne Debrosse : anne.debrosse@st-cyr.terre-net.defense.gouv.fr
Antoine Roussel : antoine.roussel@st-cyr.terre-net.defense.gouv.fr

Comité scientifique :
Frédéric Dessberg (CREC)
Ariane Ferry (CÉRÉdI)
Véronique Gély (CRLC)
Nathalie Grande (LAMO)
Adeline Lionetto (CELLF)
Sandra Provini (CÉRÉdI)

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