Appel à communication :  » ‘Le préjugé hiéroglyphiste’ dans la pensée occidentale de la Renaissance à la Grande Guerre » (Strasbourg, juin 2015)

Cesare Ripa, IconographiaDans Le débat sur les écritures et l’hiéroglyphe aux 17et 18e siècles (1965), Madeleine David s’attache à mettre en évidence les conceptions du signe qui ont freiné le déchiffrement des hiéroglyphes. Parmi ces obstacles figure le « préjugé hiéroglyphiste », qu’elle définit comme « l’exaltation de la figure hiéroglyphique en tant que symbole pur ». Dans cette perspective, les hiéroglyphes rendent visible une réalité cachée, mais ne constituent pas une écriture et n’ont pas vocation à assurer la communication entre les hommes. Deux ans plus tard, dans De la grammatologie, Derrida adopte l’expression dans sa critique d’une tradition métaphysique pour laquelle la vérité s’origine dans le Logos.

L’Égypte et sa symbolique ont profondément marqué la pensée de la Renaissance. La parution en 1505 des Hieroglyphica, attribués à Horapollon, déclenche une fascination pour le code crypté des hiéroglyphes dans lesquels on croit déceler le réceptacle des mystères divins et une source de la Prisca Theologia. En 1556, l’imprimeur bâlois Michael Isengrin fait paraître les Hieroglyphica de Pierio Valeriano, immense ouvrage de codification des images qui cherche à traquer les sources du christianisme dans les hiéroglyphes et la symbolique gréco-latine païenne. On sait que nombre d’auteurs puisèrent à ce trésor, tel Ben Jonson qui l’utilisa pour la composition de ses Masques. La peinture fut également sujette à cet engouement pour l’Égypte et ses hiéroglyphes, comme en témoigne la parution en 1593 de l’Iconologia de Cesare Ripa, dont les sources principales sont le compendium de Valeriano et l’Emblematum Liber d’Alciat. Les nombreuses rééditions et traductions de l’Iconologia aux dix-septième et dix-huitième siècles attestent le succès de ce texte qui devint un manuel de référence dont l’impact sur l’art occidental fut considérable. Tous ces ouvrages dessinent les contours de ce que Jean Raymond de Petity nomme, au dix-huitième siècle, une « Hiérographie » (Le Manuel des artistes et des amateurs, Paris, 1770), expression d’une conception du monde encore fortement ancrée dans la théorie des analogies.

L’imaginaire du hiéroglyphe perdure après le déchiffrement de l’écriture égyptienne par Champollion en 1822. Il fleurit dans un dix-neuvième siècle qui voit la résurgence d’une vision mystique du monde. Les Romantiques des deux côtés de l’Atlantique sont profondément influencés par la tradition néoplatonicienne et en particulier par Swedenborg, auteur du célèbre Clavis Hieroglyphica arcanorum naturalium et spiritualitium per viam Repraesentationum et Correspondentiarum(1741). Dans Nature (1836), ouvrage considéré comme la bible du Transcendantalisme, Ralph Waldo Emerson déclare que le monde est emblématique, faisant ainsi écho aux propos de Francis Quarles dans ses Emblemes (1635) : « What are the Heavens, the Earth, nay every Creature, but hierogliphicks and emblemes of [God’s] Glory. » En France, Baudelaire, qui contribue à restaurer l’ancien univers analogique, affirme que « tout est hiéroglyphe » dans son étude sur Victor Hugo. Le discours des Symbolistes accorde une très grande place à la métaphore du « livre du monde », dont le poète doit déchiffrer les hiéroglyphes. Cependant, à mesure que change la conception du symbole, le rapport à la transcendance n’est plus admis comme une évidence. Ainsi, dans « Le démon de l’analogie » (1874) notamment, Mallarmé semble faire vaciller l’univers des similitudes, lui qui affirme aussi dans « l’Azur » (1864) que « le ciel est mort ».

Le déchiffrement des hiéroglyphes a cependant des conséquences visibles sur l’utilisation de la métaphore. Certains détectives de fiction excellent à déchiffrer des indices qui sont parfois comparés à des hiéroglyphes. Dans « The Adventure of the Dancing Men » (1903), Sherlock Holmes parvient à trouver le code qui donne sens aux mystérieux dessins soumis à son attention. De son côté, Freud reprend la métaphore du hiéroglyphe pour décrire les arcanes du rêve. Dans sa perspective, le hiéroglyphe n’est plus un symbole toujours ouvert, mais le signifiant d’un signifié récupérable par l’interprétation.

Les communications pourront aborder le hiéroglyphe au sens propre, sa métaphore ou sa symbolique dans la pensée et l’art en Occident de la Renaissance à la Première Guerre mondiale. L’objectif du colloque est d’explorer l’évolution de la figure du hiéroglyphe sur près de quatre siècles, en mettant au jour des invariants, des inflexions, voire des ruptures dans les traitements qu’elle a subis. On explorera à cet effet les textes théoriques qui placent le hiéroglyphe au cœur de l’épistémè des périodes concernées, les discours théologiques et philosophiques qui légitiment le hiéroglyphe comme langue adamique, les diverses formes d’expressions artistiques qui recourent à la figuration hiéroglyphique en tant que symbole, ou encore les écrits qui s’approprient le hiéroglyphe en tant que modèle herméneutique.

 
Modalités de soumission

Les propositions de communication en français ou en anglais (environ 500 mots) devront être adressées pour le 20 décembre 2014 à : Jean-Jacques Chardin (chardin@unistra.fr), Sophie Mantrant (mantrant@unistra.fr) et Rémi Vuillemin (vuillem@unistra.fr).

Une publication (en anglais) est prévue après relecture des contributions par le comité scientifique du colloque.


« Le préjugé hiéroglyphiste » dans la pensée occidentale 
de la Renaissance à la Grande Guerre
25, 26 et 27 juin 2015, Université de Strasbourg (SEARCH, EA 2325).

 

 

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