Appel à communication : « Le vrai, le faux », thème du Festival de l’histoire de l’art (Fontainebleau, 6-8 juin 2025)

En 2024, la région autrichienne du Salzkammergut porte le titre de Capitale européenne de la culture. Si nous le mentionnons, c’est d’une part pour montrer qu’au-delà de Vienne, Linz ou Salzbourg, l’Autriche recèle des lieux culturels qui en font le pays invité de cette 14e édition du festival de l’histoire de l’art mais c’est aussi parce que cette région abrite le village d’Hallstatt. Ce charmant bourg de près de 800 âmes est inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, un classement qui ne l’a pas empêché d’être reconstruit à l’identique (lac inclus !) dans la province de Guangdong dans le sud-ouest de la Chine. Parler simplement d’Hallstatt a-t-il encore un sens ? Ne vaut-il mieux pas préciser « Hallstatt en Autriche » et « Hallstatt en Chine » ? Ou bien faut-il dire « Hallstatt l’originale » ? Y a-t-il alors une « vraie Hallstatt » et une « fausse Hallstatt » ? Le village construit en Chine n’est-il pas aussi réel que celui construit en Autriche ? Et si l’on répond à cette question par la négative, quels arguments convoquer ? L’origine géographique ? L’antériorité temporelle ? L’authenticité ?

A gauche : Hallstadt en Chine, phographié par Hanno Böck, CC BY-SA 4.0 / A droite : Hallstatt, photographié par Nick Csakany

En novembre 2017 a eu lieu, au palais de justice de Paris, dans les salons de la Cour de cassation, un colloque réunissant trois cent cinquante magistrats, juristes, conservateurs, historiens de l’art et experts. Au cœur de leurs discussions, l’évolution nécessaire de la loi du 9 février 1895 dite « loi Bardoux », seule loi dans l’arsenal juridique français à réprimer les « fraudes en matière artistique »[1] et établissant une distinction entre le faux et la contrefaçon[2].

Que faire de ces objets pris dans le champ du vrai et du faux ? Les exposer ? Les cacher dans les réserves ? Que faire des restaurations des édifices advenues au fil des siècles ? Faut-il montrer les strates historiques d’un édifice ou bien s’en tenir à la dernière version en date ? Autant d’interrogations qui touchent au cœur même de l’histoire de l’art et de ses métiers. Interroger le vrai et le faux dans l’histoire de l’art, ses discours et ses pratiques, exige de prendre en compte les glissements qui peuvent s’opérer entre ces deux notions et au sujet desquelles la réflexion se forme et se transforme au fil du temps et de bien garder à l’esprit que les partages entre vrai et faux se font selon des critères très différents en fonction des contextes culturels et historiques.

Rien n’a été plus normal, tout au long de l’histoire de l’art et ce, jusqu’à une époque relativement récente, que la répétition des formes et des œuvres sans altération de la valeur des premières créées. Bien que certains sculpteurs grecs ou romains, certains orfèvres ou architectes médiévaux aient l’habitude de signer leurs œuvres, la notion d’originalité de la création artistique comme fondement de la valeur d’une œuvre n’existait pas au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Les premières anecdotes artistiques posant le problème du vrai et du faux en art occidental datent de la Renaissance. Le cupidon de Michel-Ange offert comme un antique au cardinal de San Giorgio, la copie sur cuivre par Marc-Antoine Raimondi des gravures sur bois d’Albrecht Dürer et l’utilisation par le premier du monogramme du second sont des topoï de la littérature artistique. La culture européenne de la première modernité n’ignorait pas le lien entre valeur artistique et authenticité de l’œuvre mais il ne s’agissait pas de penser les œuvres comme vraies ou fausses. Du XVIe au XIXe siècle, les copies, les pastiches, les interprétations sur d’autres médiums étaient nombreuses et leur utilité – pédagogique, politique, mémorielle – et leur valeur résidaient plus dans leurs qualités techniques que dans leur degré d’authenticité.

Le XIXe siècle marque un tournant dans l’importance conférée à cette notion. En 1885, le petit-fils de Jacques-Louis David publiait un texte intitulé Quelques observations sur les 19 toiles attribuées à Louis David à l’exposition des portraits du siècle (1783-1883). Ecole Nationale des Beaux-Arts (V. Havard, Paris, 1883). Sur ces dix-neuf toiles, il en reconnaît quatre, en accepte six autres et en exclue huit[3]. Jacques-Louis-Jules David fait donc œuvre d’expert et son jugement vaut pour homologation de l’œuvre de son aïeul. La figure de l’expert, qu’il ou elle soit artiste, historien de l’art ou critique, prend ainsi une importance nouvelle, capable de réduire à peau de chagrin le catalogue d’un artiste comme de le faire grossir plus que de mesure. À partir de la seconde moitié du XXe siècle, le faux et son créateur, le faussaire, deviennent les antagonistes majeurs des historiens de l’art, des experts, des musées et institutions culturelles. Ce n’est qu’avec ce qu’on appelle la « post-modernité » que le double, la copie et parfois le faux redeviennent des opérations artistiques et esthétiques à part entière[4]. Mais le faux peut aussi, pour certains artistes, être un objet politique. Lorsque le collectif d’artistes et d’auteurs italiens Wu Ming tentait de faire advenir dans les journaux d’informations nationaux ce que l’on appelle aujourd’hui des fake news, ce n’était pas dans le but de tromper mais bien de faire comprendre les mécanismes de la tromperie en rendant ensuite le stratagème public[5]. À l’ère de la post-vérité, nous pourrons poser la question de la réussite et des risques d’une telle utilisation du vrai et du faux. Aujourd’hui, les images générées par l’intelligence artificielle, elle-même nourrie d’images existantes, sortent du paradigme de la copie ou de la citation et obligent à repenser les notions d’auctorialté et d’authenticité[6].

A gauche : Léonard de Vinci, La Joconde, vers 1503-1506, 77cm x 53 cm, Paris, Musée du Louvre. Photographie Mickaël Schauli / A droite : Die Dixons collective, Tank, Weisse Seite and FIX77, Portrait de Mona Lisa, 2019, 16m x 11m, photographié par Ondré, 2019, certains droits réservés CC BY-NC-SA 2.0

 

Le thème choisi pour cette 14e édition du festival de l’histoire de l’art embrasse tous les champs de notre discipline, c’est pourquoi il est utile de dégager quelques pistes de travail qui ne sont, bien sûr, pas exhaustives :

  • Entre « vrai » et « faux » : « Vrai » et « faux » sont les deux pôles d’une réflexion qui porte en premier lieu sur l’unique et le multiplie. Les propositions pourront s’attacher ainsi au statut ontologique des différents types de production artistique qui viennent redoubler l’œuvre originale : il en va ainsi de l’interprétation (retranscription de l’originale dans une technique différente), du pastiche (travail réalisé à partir d’une œuvre par un autre artiste pour souligner la manière du premier), de la copie (reproduction fidèle d’une œuvre qui s’annonce comme telle) et bien évidemment du faux, dont les modalités varient entre la contrefaçon intentionnelle (la copie que l’artiste ou le vendeur n’annonce PAS comme telle mais comme original), la falsi
    fication de l’authenticité ou encore la reproduction non autorisée d’œuvres protégées par des droits d’auteur.
  • Des histoires de « faux » : L’histoire de l’art est remplie d’œuvres et d’objets qui ont été à un moment considéré comme authentiques et dont on a par la suite démontré qu’il s’agissait de « faux », soit exécutés volontairement pour tromper, soit mal identifiés par celles et ceux qui les ont acquis, exposés et commentés. Les propositions pourront porter sur telle ou telle « affaire » plus ou moins célèbre, sur la manière dont le caractère faux ou inauthentique des œuvres ou d’un ou plusieurs éléments de celles-ci a été découverte, sur les modifications des discours qui ont pu en surgir. La parole des restauratrices et restaurateurs sera ici particulièrement précieuse.
  • Techniques et reproductibilité technique: les questionnements autour du vrai et du faux, de l’unique et du multiple, doivent tenir compte des conditions de production. L’une des problématiques principales de cette édition est l’œuvre d’art aux époques de sa reproductibilité technique, de l’estampe à la photographie aux images numériques actuelles. Ces techniques reproductives successives soulèvent la problématique de l’œuvre originale et de ce que Walter Benjamin appelle son « aura », un concept qui se trouve aujourd’hui détaché des œuvres originales précisément à cause des techniques modernes de reproduction[7]. La dimension technique, celle qui permet à un artiste qui copie ou à un faussaire qui falsifie de s’approcher au plus près du style d’un artiste doit nous retenir et nous amener à nous demander où commence le faux. La création du faux requiert un véritable art de la contrefaçon et si un faussaire repenti souhaite venir partager ses secrets techniques avec le public du festival, qu’il ou elle s’en sente bienvenu.
  • Plaisir de tromper et d’être trompé: dans l’Antiquité puis à partir de la Renaissance, le concept de mimesis possède une importance capitale dans les théories de l’art. Pourra ainsi être interrogée la notion de trompe l’œil qui, quel que soit le medium utilisé, cherche à donner par une exacte représentation l’illusion de la présence de l’objet figuré. Les grandes figures – réelles ou légendaires – de ce genre (Zeuxis et Parrhasios, Bramante, Le Bernin, Cornelis Gijsbrechts ou Louis-Léopold Boilly) pourront être convoquées mais il faudra également convier à nos débats les philosophes qui ont interrogé ce genre et qui et qui contestent la parfaite adéquation du trompe l’œil à la réalité et parlent plutôt du plaisir donné par une illusion connue [8].
  • Restauration et authenticité : la notion de restauration ou de restitution authentique ou « à l’identique » varie fortement suivant les contextes historiques et culturels.
  • L’histoire de l’art face au faux: quelle(s) position(s) pour l’historien/historienne de l’art face à cette question du vrai et du faux ? Dans une optique historiographique, nous invitons les participantes et participants à se pencher sur la fascination mais aussi la difficulté que certains grands noms de notre discipline ont éprouvé face à ces sujets. Toute aussi importante est la réflexion sur l’appréciation relative qui est attachée à la valeur d’authenticité. Ce qui est considéré comme non-authentique dans une culture, ne l’est pas forcément dans l’autre. Nous sommes particulièrement intéressés à élargir les exemples au-delà de l’art européen. Et puis, il serait intéressant de voir comment l’histoire de l’art peut s’emparer, si ce n’est du faux tout du moins de la fiction, sur un plan méthodologique. Certains de nos collègues historiens et historiennes travaillent depuis plusieurs années selon la méthode de l’histoire contrefactuelle[9].  Et si ? Et s’il existait une histoire de l’art contrefactuelle ? La méthode contrefactuelle, voici un futur encore trop peu advenu dans le champ de l’histoire de l’art qu’il serait pertinent d’interroger.
  • De l’utilité du faux: aujourd’hui, la valeur de la copie ou de la reproduction ne se conçoit plus en fonction de la virtuosité qu’elles affichent mais de leur utilité. Les fac-similés permettent de montrer des œuvres et des lieux majeurs de l’histoire de l’art trop fragiles pour être visibles, voire de replacer dans son contexte original une œuvre déplacée. Cette problématique engage de nombreuses questions techniques, notamment celle de l’échelle de ces fac-similés (l’échelle 1 des moulages du musée des monuments français et les dimensions inférieures de la « réplique » de la grotte Cosquer à Marseille ne peuvent être mis sur le même plan), des matériaux utilisés pour les produire (voir le travail par exemple de l’atelier Factum Arte à Madrid dont l’imprimante assure des impressions reproduisant la couleur et le relief) et de la dimension éthique de leur utilisation (objectif uniquement financier, accessibilité du public et protection de l’œuvre, défi technique).
  • Connoisseurship versus analyses scientifiques: traditionnellement, les arguments d’authenticité étaient fondés sur les analyses stylistiques qui permettaient d’attribuer une œuvre à un artiste. Aujourd’hui, et ce déjà depuis quelques décennies les méthodes et les outils scientifiques, parfois de laboratoires travaillant de concert avec les institutions culturelles (le C2RMF du Louvre ou le Labart à Louvain-la-Neuve), opposent au discours des experts celui des sciences dites dures. Si parfois les deux discours peuvent en effet s’affronter, comme pour les termes « vrai » et « faux », une opposition aussi binaire et manichéenne n’a pas lieu d’être. Le festival sera heureux de faire dialoguer ces deux méthodes tant « l’intervention du laboratoire dans les questions de critique d’art [est] l’une des principales révolutions [contemporaines][10]. »
  • Le droit et la valeur de l’original : en lien avec ces discours d’authentification, le thème « Vrai-Faux » demande à la fois d’interroger celles et ceux qui élaborent le discours juridique nécessaire pour faire face aux dérives, mais aussi celles et ceux qui attribuent une valeur aux objets. Nous souhaitons accueillir des propositions abordant le marché de l’art d’hier et d’aujourd’hui, analysant la manière dont le vrai, le faux et toutes les nuances entre ces deux termes modifient, font ou défont la valeur d’une œuvre[11]. Cette problématique engage notamment le domaine de la restauration des monuments historiques et des œuvres. Si, sans le savoir-faire des restaurateurs, soucieux de préserver ou de reconstituer les œuvres dont l’état de conservation est fragile, nombre d’entre elles seraient menacées de disparition, quand est-ce qu’une restauration devient une « hyper-restauration », voire un faux[12]? Où se termine la restauration et où commence la création ?

Pour candidater : suivre ce lien.

 

[1] Loi du 9 février 1895, sur les fraudes en matières artistiques, JORF du 12 février 1895, page 805, modifiée par l’ordonnance n°2000-916 du 19 septembre 2000, art. 3.

[2] Cette loi définit le faux « à l’apposition d’une fausse signature » et ne s’applique qu’aux œuvres non tombées dans le domaine public. La loi définit la contrefaçon comme une violation des droits d’auteurs, cette dernière dépendant d’autres dispositions du code de la propriété intellectuelle (Articles L. 111-3, L. 332-1, L. 332-3, L. 335-2 et L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle).

[3] François CHAMOUX et al, « Copies, répliques et faux », Revue de l’art, 21, 1973, p. 5-31.

[4] Thierry LENAIN, « Le faux en art et ses valeurs. Repères pour une archéologie », Boris LIBOIS et Alain STROWEL (éd.), Profils de la création, Bruxelles, Presses universitaires Saint-Louis, 1997, p. 177-187.

[5] Stefania CALIANDRO, « Fake Art, entre le contrefait et le contrefactuel », Interfaces numériques, 11 (2), 2022.

[6] Gregory CHATONSKY et Antonio SOMAINI, « Sortir du paradigme de la copie », A.O.C., mercredi 24 janvier 2024.

[7] Bruno Latour et Adam Lowe, « La migration de l’aura ou comment explorer un original par le biais de ses fac-similés », Intermédialités / Intermediality (17), 2011, p. 173–19.

[8] Jean BAUDRILLARD, « Le trompe-l’œil ou la simulation enchantée », De la séduction, Paris, Denoël-Gonthier, coll. « Bibliothèque Médiations », 1981 ; Oscar CALABRESE, L’Art du trompe-l’œil, Follet J.-P. (trad. de l’italien), Paris, Citadelles & Mazenod, coll. « Phares », 2010.

[9] Quentin DELUERMOZ, Pierre SINGARAVELOU, « Explorer le champ des possibles. Approches contrefactuelles et futurs non advenus en histoire », Revue d’histoire moderne & contemporaine, 2012/3 (n° 59-3), p. 70-95.

[10] Thierry LENAIN, « Le faux en art et ses valeurs … », art. cit.

[11] « [L]’esthétique a cédé la place à l’authentique qui, loin des critères de beauté, fait ou défait la valeur d’une œuvre, tant au regard de l’histoire de l’art, que du marché ». Jean-Claude Marin, procureur général près la Cour de cassation, Allocution prononcée lors du colloque du vendredi 17 novembre 2017, « Le faux en art » : https://www.courdecassation.fr/toutes-les-actualites/2017/11/17/le-faux-en-art

[12] Hélène VEROUGSTRAETE, « Vers des frontières plus claires entre restauration et hyper-restauration », CeROArt, 3 | 2009, [En ligne], URL : http://ceroart.revues.org/index1121.html ; voir également Hélène VEROUGSTRAETE, Roger VAN SCHOUTE et Till-Holger BORCHERT, T.-H.(éd.), Restaurateurs ou faussaires des Primitifs flamands. [Fake or not fake. Het verhaal van de restauratie van de vlaamse Primitieven]. Catalogue d’exposition, Bruges Groeningemuseum 26 novembre 2004-28 février 2005, Gand (Ludion) 2004.


Modalités des interventions

Les interventions du festival de l’histoire de l’art adoptent des formats variés, avec une priorité donnée à des interventions traduisant la recherche en histoire de l’art sous une forme vivante et destinée à un large public.

  • Conférence : 1 participant, entre 20 ou 30 minutes maximum
  • Dialogue : 2 participants, entre 40 et 50 minutes maximum
  • Table ronde : jusqu’à 3 participants plus 1 modérateur, durée 1h30 maximum

N.B. : Chaque intervention est suivie d’un échange avec le public.

Dépôt et sélection des propositions

Sont encouragées à candidater  conservatrices et conservateurs, restauratrices et restaurateurs, professionnelles et professionnels du monde de l’art, étudiantes et étudiants en master et doctorat, chercheuses et chercheurs, enseignantes et enseignants.

Les candidatures peuvent être envoyées jusqu’au 3 novembre 2024 inclus (avant minuit) via le formulaire dédié.

Un lien n’est pas attendu entre le thème du FHA et le pays invité (l’Autriche), ce dernier ne faisant pas l’objet d’un appel à communication.

Les propositions de communication doivent impérativement être rédigées en français et se présenter sous la forme suivante :

  • Titre du projet (80 signes maximum, espaces compris)
  • Un résumé (600 signes maximum, espaces compris)
  • Une présentation plus longue (3500 signes maximum, espaces compris)
  • Un CV + une courte biographie professionnelle

N.B. : Dans le cas des dialogues et des tables rondes, le porteur ou la porteuse du projet doit se désigner clairement dans la proposition d’intervention. Les propositions incomplètes ne seront pas examinées.

L’examen des propositions sera réalisé par l’équipe du festival de l’histoire de l’art accompagné d’un jury issu du comité scientifique du festival de l’histoire de l’art présidé par Madame Laurence Bertrand Dorléac.

Pour candidater : suivre ce lien.

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