Appel à communication : « L’expérience sensorielle dans les expositions d’art au XVIIIe siècle » (Paris et Lens, 2020-2021)
Colloque international
Musée du Louvre, Paris, automne 2020 et Musée du Louvre-Lens, printemps 2021
Tout au long du XVIIIe siècle, les expositions de l’Académie royale de peinture de Paris ont su créer un habitus chez les visiteurs européens et parisiens en particulier. Plus encore, elles ont suscité la curiosité et l’envie du public de province et des autres nations, qui s’en sont inspirés. Pendant cette période, le Salon du Louvre devient l’un des évènements les plus courus où s’entassent des spectateurs venus voir, se faire voir et savoir, car il incarne sans contredit l’image du théâtre social du Tout-Paris et, par ricochet, celui du plaisir des sens pour l’ensemble des publics cultivés d’Europe. En d’autres mots, la visite du Salon ou de toute autre exposition d’art au XVIIIe siècle, où s’entremêlent la volonté de se divertir et celle de s’instruire, se présente comme une expérience où les différents sens sont sollicités et en émoi. Il est alors possible d’introduire la notion de « corps sensoriel » car non seulement la vue, mais encore l’ouïe, le goût, le toucher et l’odorat sont interpelés de manière variée et complexe à tout moment de la visite.
Le colloque entend s’intéresser aux sensations des visiteurs des expositions d’art entendues dans leur acception la plus large durant le long XVIIIe siècle (1665-1815). Si le point de départ est celui du Salon du Louvre devenant le modèle des expositions temporaires qui se multiplient à Paris et en province, à la Royal Academy de Londres et plus largement en Europe, les autres espaces de sociabilité où des œuvres étaient proposées au regard des spectateurs sont à prendre en compte : galeries et cabinets privés, collections royales, expositions temporaires, salles de ventes, musées… S’inscrivant dans l’histoire des sensibilités et des sens, le colloque entend ainsi contribuer à définir les nouvelles perceptions qui s’épanouissent au Siècle des Lumières en interrogeant l’expérience du sensible et de la constitution du corps sensoriel dans le cadre spécifique des espaces d’expositions.
L’appréhension de ce corps sensoriel dans son ensemble induit la présence et l’incidence de plusieurs éléments qui jouent un rôle essentiel dans sa constitution. Vue la richesse de la thématique liée à l’expérience sensorielle dans les expositions d’art au XVIIIe siècle, le colloque sera divisé en deux sessions qui auront lieu à quelques mois d’intervalle et dans deux lieux différents.
Session 1
L’expérience de la visite : du spectateur au critique
La thématique choisie pour cette première session s’intéresse à l’expérience sensorielle du public lors de la visite d’une exposition – que ce soit celle d’une collection, d’un musée ou d’une présentation temporaire d’œuvres. Si les expositions d’art en Europe au XVIIIe siècle participent à l’identité urbaine, elles contribuent également à définir l’identité du public, celle du spectateur et celle du critique. Il s’agira de tenter de cerner ce public, sa visite de l’exposition, l’exaltation de ses sens et l’émergence des sentiments qu’il développe le long de son parcours et de sa rencontre avec les autres visiteurs, avec le lieu et avec l’exposition. Afin de favoriser l’étude comparative, les propositions de communication portant sur des espaces d’exposition diversifiés et des villes européennes variées sont attendues autour des deux axes suivants :
– Le public, s’incarnant dans l’individu ou le groupe d’individus qui visite l’exposition, s’investit dans l’activité et appréhende les effets émotionnels, sensibles et corporels qui s’expriment tout au long de l’expérience de la visite de l’exposition. La présence des autres visiteurs, cette foule plus ou moins bigarrée qui implique un corps-à-corps perpétuel, ainsi que la vue de l’exposition jouent un rôle central sur les sens, la sensibilité et le corps de chacun des visiteurs ; nul ne peut faire abstraction de ces éléments lors de sa visite. Au sein de ce public, les auteurs des écrits qui paraissent à l’époque des expositions relatent ces expériences, les qualifient et les théorisent. Outre le fait d’être une source précieuse, la critique d’art devient alors objet de recherche. En d’autres mots, de quelle manière les sensations, les émotions et les sentiments ressentis par les auteurs stimulent-ils le genre lui-même et le transforment ? La réalité et l’expérience sensorielle du visiteur ne sont pas nécessairement les mêmes à Paris qu’ailleurs en Europe : quelle est la teneur de ces différences et d’éventuels points de jonction ?
– L’espace et l’exposition, c’est-à-dire l’environnement immédiat, le parcours expographique, mais aussi le territoire géographique avec lesquels l’individu et ses sens entrent en relation, jouent un rôle central dans l’expérience du corps sensoriel du spectateur. En instituant des stimuli, ils provoquent des sensations et une activité cognitive intense et spécifique. Quels effets provoquent les dimensions du lieu, les déplacements du corps, la rencontre avec les œuvres et le discours expographique, l’éclairage ainsi que les aspects symboliques de l’espace sur l’expérience sensorielle du visiteur, autant dans son appréhension, que lors de la visite de l’exposition ? On s’intéressera par conséquent aux différents affects et effets que catalyse cette expérience sur chacun des sens, chacune des sensations et émotions qui habitent le spectateur durant et au-delà de la visite. On pourra s’interroger sur les différents modes d’accrochage et se demander en quelle mesure ils ont une incidence sur les sensations du visiteur, sur sa perception, ses sentiments, de quelque nature qu’ils soient, et sur l’évolution et la constitution de sa sensibilité, de son corps sensible. Quel rôle jouent les aspects symbolique et physique de l’espace dans cette expérience ? De quelle manière ces effets se traduisent-ils à travers les écrits ?
Session 2
L’expérience de l’œuvre : des émotions aux sensations
La thématique choisie pour cette seconde session se veut un lieu de réflexion sur la représentation des émotions, des corps sensuels, sensibles et physiques, et des cinq sens dans les œuvres, ainsi que sur la réception de ces éléments lorsque les œuvres sont présentées publiquement au sein d’espaces d’exposition dans l’Europe du XVIIIe siècle.
Il s’agit d’étudier comment les artistes expriment leur perception du sensible et du sensoriel, et comment les sens du spectateur réagissent à la vue des œuvres. Dans cette perspective, on prendra en compte tous les types d’œuvres relevant des Beaux-Arts (peinture, sculpture, dessin, gravure) et de sujets relevant des différents genres (histoire, portrait, scène de genre, paysage, nature morte). Pour cette session, les propositions de communications sont attendues autour de deux axes :
– Les œuvres, ces modes de représentation plastique des sentiments et du sensoriel, évoquent la sensibilité de l’artiste tout comme celle de l’être humain. Selon quels critères théoriques et pratiques les artistes ont-ils traduit le spectre des émotions, mais également celui des perceptions sensorielles à travers le corps représenté, sa gestuelle, ses caractères ou sa mise en scène ? On pense évidemment aux règles régissant la représentation des passions comme celles de l’« ut pictura poesis », mais surtout aux tentatives de renouvellement de celles-ci au cours du XVIIIe siècle. Il ne s’agit pas seulement de revenir sur les interactions entre mise en scène théâtrale et composition picturale, mais également d’explorer toutes les composantes de la mimesis, commune aux Beaux-Arts et aux arts du spectacle, afin de renforcer la délectation sensorielle et sensible de l’art : expression, gestuelle, costume, décor, coloris.
– Les sens, (re)liés aux organes de la perception (vue, goût, ouïe, odorat et toucher), se définissent et réagissent au contact du lieu, de l’exposition, des autres individus et des œuvres. Il s’agit ici de comprendre de quelle manière les sens du spectateur appréhendent, perçoivent – voire ressentent – la rencontre avec une œuvre particulière ou avec l’ensemble. Selon quels critères, la perception sensorielle s’arrête-t-elle au niveau de l’analyse et du raisonnement ? Quand et comment cette expérience conduit-elle à une réaction vécue, qu’elle soit de l’ordre du sensible, du sensoriel ou du physique ? On sait qu’au XVIIIe siècle, la réflexion sur la perception et la cognition se traduit par de nombreuses publications touchant à la philosophie sensualiste, la physiologie, la physiognomonie. Comment ces apports nouveaux relevant de l’histoire de la médecine, des sciences et des techniques ont-ils été pris en compte par les artistes et de quelle manière les traduisent-ils dans leurs œuvres ?
Cet axe explorera les frontières entre l’expérience de chacun des sens et les relations qui émergent entre eux afin de dresser un portrait de l’ensemble des sensations et des sentiments provoquées par des œuvres précises, et notamment par celles représentant les sentiments, les émotions et les allusions aux sens. Dans cet axe, on privilégiera les propositions s’appuyant sur des sources issues de domaines variés (histoire, littérature, philosophie, mais aussi sciences et médecine) afin de renouveler la réflexion sur le phénomène des expositions.
Calendrier
Les propositions de communication originale en français ou en anglais (titre et résumé de 300 mots et bref CV de 250 mots) devront être envoyées au comité avant le 15 décembre 2019 à l’adresse suivante : corps.sensoriel@gmail.com
Réponse du comité scientifique : janvier 2020
Tenue des colloques : automne 2020 et printemps 2021
Une sélection des communications fera l’objet d’une publication.
Comité scientifique :
Markus A. Castor (Centre allemand d’histoire de l’art, Paris)
Guillaume Faroult (Musée du Louvre, Département des Peintures)
Dorit Kluge (hwtk, Berlin)
Gaëtane Maës (Université de Lille, IRHiS-UMR 8529)
Françoise Mardrus (Musée du Louvre, Centre Dominique-Vivant Denon, Direction de la recherche et des collections)
Isabelle Pichet (UQTR, Québec)
Luc Piralla (Musée du Louvre-Lens)
Comité d’organisation :
Gaëtane Maës, Christine Aubry et Taoufik Uahdani (U. Lille, IRHiS), Isabelle Pichet (UQTR, Québec), Dorit Kluge (Berlin, hwtk)
Call for papers
The Sensory Experience in 18th Century Art Exhibitions
International Conference –
Louvre Museum, Paris, Autumn 2020 and Louvre-Lens Museum, Spring 2021
Throughout the 18th century, the exhibitions of the Royal Academy of Painting in Paris – by setting the horizon of expectation – have created a habitus among European visitors and especially Parisians. Moreover, they have aroused the curiosity and the desire of the French public and of other nations who where inspired by the Salon. During this period, the Salon du Louvre became a highly popular event, where crowds gathered to see, be seen and to learn. Hence, the Salon embodied without any doubt the image of the Parisian social theatre and thus also indirectly that of the pleasure of the senses for educated European audiences. In other words, visiting the Salon or any other art exhibition in the 18th century, where the desire to be entertained and to learn was intertwined, presented itself as an experience in which the various senses were invoked and stimulated. The notion of “sensory body” becomes relevant: not only sight, but also the senses of hearing, taste, touch and smell were interpolated in a varied and complex manner at various moments during the visit.
The conference will focus on the sensations that visitors felt during their experience of art exhibitions. The latter are to be understood in their broadest sense during the long 18th century (1665-1815). The starting point is the moment when the Salon du Louvre became the role model for a growing number of temporary exhibitions, in Paris and in French provinces, at the Royal Academy in London, and, more broadly in Europe. All other spaces of sociability where works of art were subjected to the critical gaze of the public must be taken into account: galleries and private art collections, royal collections, temporary exhibitions, auction rooms, museums… In the context of research about the history of sensibilities and senses, this conference thus aims at defining the new perceptions that flourish in the Age of Enlightenment by questioning the sensory experience and the constitution of the sensory body in the specific context of exhibition spaces.
The understanding of this sensory body in its entirety implicates numerous elements that play an essential role in its constitution. Given the richness of the topic related to the sensory experience in 18th century art exhibitions, the conference will be divided into two sessions that will take place a few months apart, and in two different locations.
Session 1
The experience of the visit: from spectator to critic
This first session focuses on the sensory experience of the public when visiting an exhibition – whether it is a collection, a museum, or a temporary presentation of works of art. While 18th century art exhibitions in Europe contributed to urban identity, they also helped to define the identity of the larger public, as well as the single spectator, and the critic. It will be a question of capturing these actors, their visits to exhibitions, their sensory impressions, and the emergence of feelings as they developed along an exhibition tour, likewise further encounters with other visitors, with the spatial context and display of art. In order to encourage comparative research, we call for proposals on various exhibition spaces in various European cities, relating to the following two axes:
– The public, an individual or a group of individuals visiting the exhibition, engaged in the activity and experiences emotional, sensory and physical effects during the whole visit of the exhibition. The presence of other visitors, this more or less colourful crowd that implied a perpetual body interaction, as well as the view of the exhibition played a central role on the senses, the sensitivity and the body of each visitor. Within this audience, the writers that appear at the time of the exhibitions related these experiences to their readers, qualifying and theorizing them. Art criticism is thus no longer simply a primary source for art history, the history of the senses, and questions of reception, but becomes also a research subject by itself. How, in other words, did the sensations, emotions and feelings experienced by critics stimulate and transform art criticism itself? The reality and the sensory experience of the visitor are not necessarily the same in Paris as elsewhere in Europe: Hence, we would like to discover and understand these differences and similarities.
– The space and the exhibition, meaning the immediate environment, the exhibition design, but also the geographical territory with which the individual and its senses are engaged, play a central role in the experience of the spectator’s sensory body. By providing stimuli, they cause sensations and an intense and specific cognitive activity. What kind of effects did the dimensions of the room(s), the movements of the body in the space, the encounter with the art and the exhibition design, the lighting as well as the symbolic aspects of the space have on visitors’ sensory experiences, both in their expectation and during the visit of the exhibition? We will therefore focus on the different affects and effects that this experience catalyzed for each of the senses, sensations, and emotions that inhabited the spectator during and beyond the visit. An experience that is constituting an important part of the horizon of expectation for exhibitions. We can ask ourselves about the different approaches to installation and hanging, but also about the extent to which these approaches had an impact on visitors’ sensations, their perceptions, and their feelings, whatever nature they are, and on the evolution and constitution of their sensibility, of their sensitive body. What role do the symbolic and physical aspects of space play in this experience? How are these effects translated through the written word?
Session 2
The experience of the work of art: from emotion to sensation
The second session is intended to invite reflection on the representation of emotions and human sensorium as well as on the reception of these elements when works of art were exhibited publicly in 18th century Europe.
The objective is to study how artists express their perception of the sensitive and the sensory, and how the spectator’s senses react while looking at the works. We will take into account all aspects of the Fine Arts (painting, sculpture, drawing, engraving) and consider also different genres (history, portrait, genre scene, landscape, still life). For this session, we call for proposals around two axes:
– The works, these modes of representation of feelings and the sensory, evoke the sensitivity of the artist as well as that of the human being in general. According to what theoretical and practical criteria did artists translate the spectrum of emotions, but also that of sensory perceptions through the represented body, its gestures, its personality traits or its staging? We are obviously thinking of the rules governing the representation of passions such as those of the « ut pictura poesis », but especially of the attempts to renew them during the 18th century. It is not only a question of revisiting the interactions between theatrical staging and pictorial composition, but also of exploring all the components of mimesis, that is common to the Fine Arts and the performing arts, in order to reinforce the sensory and sensitive delight of art: expression, gestures, costume, decor, colour.
– The senses, (inter)linked with the organs of perception (sight, taste, hearing, smell and touch), are defined by and react to the contact with context, the exhibition as a whole, other individuals, and specific works of art. We would like to understand how the spectator’s senses apprehend, perceive – or even feel – the encounter with a particular work or with the ensemble of works. According to which criteria does sensory perception stop at the level of analysis and reasoning? When and how does this experience lead to a true reaction, whether it is sensitive, sensory or physical? We know that in the 18th century, the research on perception and cognition led to numerous publications on sensualist philosophy, physiology and physiognomy. How did artists consider these new contributions to the history of medicine, science and technology, and how did they translate them within their works?
This axis will explore the boundaries between the experience of each of the senses and the relationships that emerge between them in order to get an overall picture of all the sensations and feelings provoked by specific works, particularly by those representing feelings, emotions and allusions to the senses. In this axis, priority will be given to proposals based on sources from various fields (history, literature, philosophy, but also science and medicine) in order to renew the reflection on the phenomenon of exhibitions.
Schedule
Proposals for original contributions in English or French (title and abstract of up to 300 words and short CV of up to 250 words) should be sent by 15 December 2019 to the following address: corps.sensoriel@gmail.com
Response from the Scientific Committee: January 2020
Conference dates: Autumn 2020 and Spring 2021
Selected papers will be published after the conference.
Scientific Committee:
Markus A. Castor (German Center for Art History, Paris)
Guillaume Faroult (Louvre Museum, Painting Department)
Dorit Kluge (hwtk, Berlin)
Gaëtane Maës (Université de Lille, IRHiS-UMR 8529)
Françoise Mardrus (Louvre Museum, Dominique-Vivant Denon Center, Research and Collection Director)
Isabelle Pichet (UQTR, Québec)
Luc Piralla (Louvre-Lens Museum)
Organising committee:
Gaëtane Maës, Christine Aubry et Taoufik Uahdani (U. Lille, IRHiS), Isabelle Pichet (UQTR, Québec), Dorit Kluge (Berlin, hwtk)
Leave a Reply
You must be logged in to post a comment.