Colloque international organisé par le RIVIC
(Réseau interdisciplinaire sur l’Image hispanique contemporaine)
Université de Pau et des Pays de l’Adour
Pau, les 9, 10, 11 avril 2015
Résumé
Ni opaque ni transparent, le translucide, qui résulte de la traversée d’un corps par une lumière diffuse sans toutefois permettre de distinguer les objets à travers lui, voile et dévoile à la fois, sépare et unit, et synthétise à lui seul, par un fonctionnement « à l’oxymore », le visible et l’invisible, le montré et le caché, l’ombre dans la lumière, pouvant dire à la fois la présence et l’absence, le contenu et le relais.
Le RIVIC (réseau interdisciplinaire sur les vérités de l’image hispanique) se propose d’étudier les champs du translucide dans les champs visuels hispaniques (cinéma, photographie, peinture, BD, relation texte/image). Dans quelle mesure les dispositifs ou les projets tendant à filtrer la lumière sont-ils susceptibles d’imposer un sens – ou simplement de faire énigme et d’imposer l’équivoque –, d’avoir un impact sur l’espace conceptuel, esthétique et poétique de la création artistique ?
Argumentaire
Depuis l’art de la Renaissance, toute la fantasmatique de la mimésis s’est fondée sur la dimension transitive et transparente de la « représentation » (parfois associée à une « Vérité » de l’illusion mimétique), feignant d’ignorer l’opacité réflective liée au processus de la « présentation », qui devait néanmoins s’imposer avec force à l’ère de la modernité.
Quelle que soit la prégnance de la transparence ou de l’opacité de l’image au fil du temps, elles apparaissent toutes deux indissociables, consubstantielles au processus représentationnel[1], et elles définissent l’image figurative comme une entité paradoxale, à la fois ‘œuvre d’art’ et ‘apparence du monde’, ‘image’ et ‘chose’ : l’image conjoint ainsi des aspects antinomiques, étant aussi bien un plan destiné à capter une réalité absente qu’une entité intrinsèque imposant sa propre matérialité.
Mais si les sémioticiens et les pragmaticiens contemporains n’eurent de cesse de signifier cette ambivalence de l’image à travers l’opposition « transparence » vs « opacité », l’on ne peut manquer d’observer dans les arts visuels la permanence insistante d’un autre concept également défini dans son rapport à la lumière[2], le « translucide », une persistance observable en Orient et en Occident, des arts classiques aux arts contemporains. Les écrans diaphanes imaginés par C. Saura dans Goya en Burdeos (1999), les dessins fantasmatiques de El fin de las apariencias (2011), de Julio Vaquero, le projet photographique de Martí Llorens, Poblenou (1911), ou l’ambigüité du translucide propre à Joan Fontcuberta –Terrains Vagues (1994-1997), Doble cos (1992)… –, ne sont que quelques-uns des exemples qu’en donne la création hispanique contemporaine.
Ni opaque ni transparent, le translucide, qui résulte de la traversée d’un corps par une lumière diffuse sans toutefois permettre de distinguer les objets à travers lui, voile et dévoile à la fois, sépare et unit, nourrit l’espoir de la visibilité. La matière translucide montre ce qui se joue derrière elle, devenant pour le créateur le moyen de révéler une présence là où subsiste le manque, laissant juste filtrer les ombres d’un monde divisé qui pourrait servir de référence à ce monde d’apparences que décrit Platon. Elle est en cela source de désir, mais aussi de manque et de frustration, car derrière le voile translucide, la réalité s’estompe et s’enfuit.
Si le translucide se trouve, dans son rapport à la lumière et par l’effet visuel qu’il produit, à mi-chemin entre la transparence et l’opacité, tout comme elles, il métaphorise et révèle le processus de la représentation. Il figure le paradoxe né de l’impossibilité de rendre présent l’absence et manifeste la double intention de dévoiler sous l’image un dessin plus « réaliste » de la figure humaine tout en en masquant certains éléments.
Mais n’est-il pas un supplément d’âme donné au translucide, dans sa nature d’entre-deux traversé par la lumière, dans sa capacité à fonctionner « à l’oxymore », à synthétiser à lui seul le visible et l’invisible, le montré et le caché, l’ombre dans la lumière, à dire à la fois la présence et l’absence, le contenu et le relais, l’adéquation entre le signe et le signifiant, l’étant et le mode d’être ?
Ne peut-on penser que la matière translucide – voile, filtre, brouillard, tamis, lanterne magique, etc. –, parce qu’elle intercale un écran entre le regard et l’objet de son désir, fonctionne comme un ouvroir de potentialités imaginaires, transfigurant le réel et le poétisant en le détournant, laissant percer la quête de l’artiste qui, au-delà des apparences, cherche ce qu’il en serait de la Vérité sans jamais la révéler ?
De fait, le translucide se charge d’une extrême richesse polysémique, d’une potentialité sémantique inhérente à ses diverses dimensions, réflexive, esthétique, symbolique ou poétique :
– Par sa façon d’être présent et absent, de jouer de ses formes ou de ses lacunes, il émane de sa présence, au sein de son expression, une réflexion constante, une dimension métaréflexive liée à la mise à distance de l’espace visible et du réel.
– À cela s’ajoute la dimension symbolique des voiles et des filtres, souvent liée à une vérité cachée, sous-entendue ou réprimée, qui reflète la complexité d’un monde qui ne se satisfait plus d’une vérité illusoire.
– Jouant à la fois comme un filtre matériel et un filtre poétique, la translucidité ouvre surtout le champ des suggestions et des possibles, dans la mesure où seul l’imaginaire parvient à habiter le lieu que le translucide voile d’opaque. Entre monstration et repli, dit et non-dit, les voiles, filtres et brouillards pourraient être le moyen d’éloigner l’objet de la convoitise, de préserver l’objet du désir, de substituer au regard frustré du réel une vision poétique chargée d’énigmes infinies. Ne serait-il pas là, le sens du translucide, dans les interrogations qu’il éveille, dans la quête qu’il inspire et les interprétations multiples qu’il suscite, suggérant que les vérités les plus hautes doivent rester voilées de mystère ? Autant d’idées confirmant la croyance en une vérité cachée sous un voile épais à décrypter, dans ses signes…
Ce sont-là ces champs du translucide que le RIVIC (réseau interdisciplinaire sur les vérités de l’image hispanique)[3] se propose d’étudier dans les champs visuels hispaniques (cinéma, photographie, peinture, BD, relation texte/image). Dans quelle mesure les dispositifs ou les projets tendant à filtrer la lumière sont-ils susceptibles d’imposer un sens – ou simplement de faire énigme et d’imposer l’équivoque –, d’avoir un impact sur l’espace conceptuel, esthétique et poétique de la création artistique ?
Axes d’étude
Nous nous attacherons, à titre d’exemple, à étudier les dispositifs techniques d’élaboration de l’image translucide, qui font sens dans leur opposition à la transparence, tels que l’usage:
- des flous, des bruits et brouillages de l’image, du tremblé, des mises au point ou des profondeurs de champ variables,
- des fondus-enchaînés, des filages,
- des processus d’effacement, des repentirs, voire de l’esthétique de l’inachevé, du non finito,
- des palimpsestes (d’images, de texte et d’images, les superpositions artistiques permettant de laisser transparaître un objet « en dessous de » la surface de représentation),
- des filtres, calques, filigranes, des collages…
De même, les objets ou les images du translucide placés au sein des espaces de création pourront faire l’objet d’une attention particulière, à travers la symbolique qu’ils véhiculent. Pensons par exemple…
- aux voiles, rideaux, fenêtres embuées,
- aux parois translucides et cloisons japonaises
- aux nuages et aux brouillards atmosphériques,
- etc.
Bien entendu, les dispositifs techniques et les objets translucides seront à mettre en relation avec l’entre-deux conceptuel, métaphorique ou poétique propre à la question de la translucidité :
- le translucide comme une alternative aux concepts de transparence et d’opacité qui ont souvent servi à définir la nature illusionniste ou non illusionniste de l’image,
- les entre-deux de l’image, les espaces de transition ou de passage,
- le filtrage des informations – conscient ou inconscient –, tout comme l’objet translucide filtre la lumière (processus de propagande, de manipulation, de censure ou d’autocensure, l’expression d’une subjectivité identitaire),
- l’image translucide comme filtre de la mémoire, révélatrice du palimpseste des souvenirs, s’attachant aussi bien aux mémoires individuelles que collectives (les processus historiques d’occultation et de révélation)
- le secret, exhibé mais jamais entièrement dévoilé, image d’un univers poétique crypté…
En puisant dans l’éventail assez large d’exemples tirés de la production hispanique (Espagne et Amérique latine), nous nous efforcerons donc de dégager les diverses herméneutiques de l’image translucide.
[1] A savoir, un processus consistant à « se présenter représentant quelque chose ».
[2] L’opacité, la translucidité et la transparence dessinent en effet une gradation dans leur rapport à la lumière par rapport à laquelle chacune d’entre elle se définit : un corps opaque s’oppose totalement au passage de la lumière, une substance translucide ne laisse passer qu’une lumière diffractée, ne permettant pas de distinguer nettement les contours ou les couleurs des objets, alors qu’un objet transparent, comme dématérialisé, évanescent, traduit l’avènement lumineux et n’oppose aucun écran à la vision.
[3] Le RIVIC, Réseau interdisciplinaire sur les Vérités de l’Image hispanique Contemporaine, est soutenu par la Communauté de travail des Pyrénées (biennal 2014-2015). Il réunit des chercheurs issus de l’Université de Bordeaux Montaigne, de la Universidad de Deusto, de la Universidad del País Vasco –UPV-EHU, de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, de l’Université de Perpignan Via-Domitia, de l’Université Toulouse 2 –Jean Jaurès de la Universidad de Zaragoza.
Modalités d’envoi et indications de contenu
Les propositions (titre de la contribution et résumé de quinze à trente lignes) sont à envoyer à image.translucide@orange.fr avant le 18 octobre 2014.
Elles seront accompagnées d’une notice biobibliographique de cinq à six lignes (noms, prénom, affiliation universitaire, les éléments marquants de votre production scientifique).
Les communications (25 minutes) pourront être prononcées en langue française ou espagnole.
Contacts
image.translucide@orange.fr, christellecolin79@hotmail.com, pascale.peyraga@univ-pau.fr
Comité organisateur
Christelle Colin (UPPA), Pascale Peyraga (UPPA), Thierry Capmartin (UPPA), Mylène Castets (UPPA), Elise Martos (UPPA),
Comité scientifique
Christelle Colin (Université de Pau et des Pays de l’Adour), Marion Gautreau (Université Toulouse-Jean Jaurès), Cristina Giménez Navarro (Universidad de Zaragoza), Carmen Peña Ardid (Universidad de Zaragoza), Pascale Peyraga (Université de Pau et des Pays de l’Adour), Marie-Pierre Ramouche (Université de Perpignan-Via Domitia), Pilar Rodríguez (Universidad de Deusto), Kepa Sojo Gil (Universidad del País Vasco), Isabelle Touton (Université Bordeaux-Montaigne)
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