
Jacques-Ernest Bulloz, La Main de Dieu d’Auguste Rodin, après 1918, épreuve gélatino-argentique virée,
Paris, musée Rodin, Ph.04857 © musée Rodin – photo Jean de Calan
À l’occasion de l’exposition sur Michel-Ange et Rodin, qui se tiendra au musée du Louvre du 15 avril au 20 juillet 2026, le musée du Louvre et le musée Rodin s’associent pour organiser le colloque « Mythe du sculpteur – Sculpteurs mythiques », sous la direction des deux commissaires Chloé Ariot et Marc Bormand. Cet appel à communication est ouvert à l’ensemble de la communauté scientifique, patrimoniale comme universitaire, jeune ou confirmée.
Michelangelo Buonarroti, dit Michel-Ange (1475-1564) et Auguste Rodin (1840-1917) occupent une place à part ou, plus justement, centrale dans l’histoire de la sculpture occidentale. Ils apparaissent comme deux génies, deux géants qui en viennent à incarner la figure du sculpteur, chacun à leur époque de manière écrasante, dans un écho qui s’est prolongé, voire amplifié, jusqu’à nos jours.
La renommée artistique est aujourd’hui chose bien étudiée, notamment depuis l’ouvrage devenu fondateur d’Ernst Kris et Otto Kurz, La légende de l’artiste (1934), qui analyse la construction des mythes d’artistes, passant de l’image du demi-fou autodidacte à celle du demi-dieu au talent inné. La Renaissance et l’âge classique, à partir des Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, publiées à Florence en 1550/1568 par Giorgio Vasari, ont lancé la mode des biographies d’artistes, combinant faits réels et imaginaires, sur le modèle des légendes de saints. À partir du XIXe siècle s’est installée avec le Romantisme, puis fermement établie, la figure du génie solitaire, en marge et incompris, mais visionnaire car inspiré. À une époque comme à l’autre, les artistes apparaissent ainsi dotés d’un ingenium divin. Michel-Ange n’est-il pas qualifié de « divino » de son vivant ? Et Rodin précisément assimilé par ses contempteurs, sur le mode de la dérision, à la figure de Dieu le père ?
Il ne s’agira pas ici de s’arrêter à constater la dimension mythique de ces deux artistes. La construction du mythe michelangelesque de son vivant n’est plus à démontrer : elle a récemment été finement analysée et synthétisée par Guillaume Cassegrain dans son ouvrage Michel-Ange, origines d’une renommée (Paris, Hazan, 2019). En miroir au mythe michelangelesque, la mise en place du mythe rodinien a quant à lui fait l’objet d’une brillante démonstration par Sara Vitacca, dans sa thèse consacrée aux Michelangélismes. La réception de Michel-Ange entre mythe, image et création (1875-1914) (Dijon, Presses du réel, 2023).
Les dimensions mythiques de Michel-Ange et de Rodin posent en réalité une autre question. Ces deux artistes, dont l’un a pourtant été aussi peintre, architecte et poète renommé, et l’autre dessinateur reconnu, se sont progressivement imposés dans l’imaginaire collectif comme deux incarnations du sculpteur, au détriment de leurs autres talents. La puissance de leur œuvre sculpté suffit-elle à expliquer ce raccourci ? Ou la figure du sculpteur recèle-t-elle une force particulière qui suscite le mythe ? En somme, existe-t-il un mythe particulier du sculpteur ?
De nombreuses pistes sont à explorer :
- Les mythes des origines : dans la Genèse, Dieu crée Adam et Ève par modelage. La sculpture serait-elle l’art originel ? Comment comprendre le mythe de Pygmalion ? Quelle est la part de la sculpture dans la construction des arts dits « primitifs » comme catégorie intellectuelle au début du XXesiècle ?
- La figure du démiurge : découlant de ce premier aspect, pourquoi la figure du sculpteur est-elle tout particulièrement démiurgique ? Est-ce une création de la Renaissance en lien avec la querelle du paragone? Ou une conséquence des réalités de la création et de la confrontation aux matériaux ?
- La place des membres de l’atelier : la matérialité même de la sculpture nécessite souvent la collaboration d’un ensemble d’acteurs autour de l’artiste. Que faire de l’inévitable atelier du sculpteur et de la dimension collective de la création sculptée face au mythe de l’artiste démiurgique ? Quelle(s) posture(s) adoptent les sculpteurs face à cet encombrant environnement ?
- La construction ou l’auto-construction du mythe : le rôle et la définition du sculpteur changent d’une période à l’autre, mais la figure du sculpteur peut sembler, vue d’aujourd’hui, un invariant. Les Académies fondées à partir de la période moderne ont-elles joué un rôle dans cette construction ? Quels sont les topoï dans les écrits, les hommages, ou les monuments mythifiant les sculpteurs ? Dans la posture des sculpteurs cherchant à édifier leurs propres mythes ? En quoi les œuvres elles-mêmes jouent-elles un rôle dans la mise en place et la diffusion du mythe ?
- Le piège du mythe : les grands noms de sculpteurs sont bien moins nombreux que ceux des grands peintres ou des grands architectes. Comment comprendre cela ? L’accès au statut de mythe est-il différent et plus rare pour un sculpteur ? Comment se définir comme sculpteur face aux sculpteurs mythiques du passé ? Comment être ou devenir sculptrice face au mythe du sculpteur ? Est-ce que le mythe du sculpteur s’accorde avec la réalité de l’art de la sculpture ? Que peut devenir ce mythe dans l’art contemporain ?
Ces pistes de réflexion ne sont pas exhaustives. Les communications pourront porter sur des sculpteurs et sculptrices en particulier ou sur une période ou aire culturelle donnée, de l’Antiquité à nos jours, ou encore mettre en perspective une notion ou un concept de manière diachronique.
Propositions
Colloque à Paris, au musée du Louvre le 16 juin et au musée Rodin le 17 juin 2026.
Les propositions de participation devront comprendre un titre, un résumé (entre 1500 et 2000 signes) et une brève notice biographique (entre 500 et 1000 signes).
Elles seront à envoyer, en français ou anglais, au plus tard le 15 décembre 2025 à colloques@musee-rodin.fr
Les communications sélectionnées devront durer 25 minutes et donneront lieu à un temps d’échange avec le public.
Comité scientifique et organisation
Musée Rodin
Amélie Simier, conservatrice générale du patrimoine, directrice du musée Rodin
Chloé Ariot, conservatrice du patrimoine, chargée de la collection des sculptures au musée Rodin, commissaire de l’exposition
Véronique Mattiussi, cheffe du service de la Recherche, musée Rodin
Franck Joubin, documentaliste chargé des colloques, musée Rodin
Musée du Louvre
Marc Bormand, conservateur général du patrimoine, sculptures italiennes du Moyen Âge et de la Renaissance, musée du Louvre, commissaire de l’exposition
Julie Botte, coordinatrice de projets, Direction des études muséales et de l’appui à la recherche, service de l’appui à la recherche, musée du Louvre
Philippe Cordez, adjoint à la Direction des études muséales et de l’appui à la recherche, chef du service de l’appui à la recherche, musée du Louvre

 
 
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