Des lignes et des lettres
écrits d’artistes et abstraction
« Je ne suis libre que lorsque ma volonté, à travers une argumentation critique et philosophique, pourra mettre au monde à partir de ce qui existe une argumentation des nouveaux phénomènes. »[1]
En 1919, Kazimir Malevitch, l’un des premiers artistes abstraits, décrit son attachement à l’argumentation critique et philosophique de son œuvre. Une telle appréciation est en phase avec sa propre vision artistique, puisque la naissance officielle du suprématisme lors de la Dernière exposition futuriste de tableaux 0.10. en 1915 est liée à un texte manifeste et fondateur qui accompagna l’évènement. Sa remarque est particulièrement révélatrice de la tradition des écrits d’artistes abstraits comme Piet Mondrian qui contribue à la revue De Stijl dès 1917, ou comme Wassily Kandinsky depuis 1912 avec la publication de son essai Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier.
Ces théories nous sont aujourd’hui familières et forment l’essence théorique de la naissance de l’abstraction, notamment grâce à un effort de restitution et de réédition depuis les années cinquante, par le biais de catalogues d’expositions et d’ouvrages dédiés. À ce titre, nous pouvons citer le travail de traduction de Jean-Claude Marcadé des écrits de Kazimir Malevitch[2] depuis 1974. Ou encore, la diffusion des écrits de Mondrian en français dès le travail rétrospectif de Michel Seuphor en 1957 prolongé par l’édition exceptionnelle d’Ecrits français[3] de Mondrian en 2010, sous la direction de Brigitte Léal.
Dans leur lignée, de nombreux artistes abstraits se sont empreints de cet appareil théorique pour diffuser leurs idées, qui connaissent notamment une acmé en 1960 avec un certain « tournant linguistique » dans l’art, défini par Arthur Danto. Pensons notamment aux célèbres interviews outre-Atlantique des minimalistes américains, des écrits manifestaires européens de l’art cinétique, ou des textes plus théoriques accompagnant des expositions, la plupart réédités en de nombreuses occasions, que ce soit lors de catalogues d’exposition ou d’anthologie de textes, comme la célèbre collection de l’Ensba depuis les années 1990.
La représentation de ces écrits d’artistes abstraits est pourtant inégale dans le champ de telles sources. Bien qu’une réflexion épistémologique existe sur la nature des écrits des artistes abstraits américains, il s’avère qu’il s’agit plus d’une réflexion générationnelle des années 60 plus qu’une réelle étude de la problématique abstraite dans son entité propre. Ceci reflète également une sous-représentation des théoriciens européens de la même époque, quand leurs homologues américains se voient surreprésentés dans la sphère du discours théorique.
Cette différenciation s’explique probablement de manière empirique, car l’étude des écrits d’artistes est avant tout une étude de discours, avant d’être une étude de cas sur un artiste en particulier. Cette journée d’étude se propose donc d’ouvrir une porte en entreprenant une étude du discours abstrait grâce au prisme de ses artistes théoriciens, pour essayer de tisser une relecture historiographie de l’art abstrait par son discours même. Ainsi, concevoir un discours de la lettre à la ligne.
Les axes suivants pourront être abordés :
Liens du discours à l’œuvre dans l’histoire de l’art abstrait
Historiographie d’une réception des premiers écrits d’artistes abstraits chez les générations suivantes
Réflexion sur un corpus constitué d’écrits, qu’il soit monographique ou thématique
Etude de la porosité du discours entre l’écrit d’artiste abstrait et sa réception critique
Cet appel est ouvert aux doctorants, jeunes chercheurs et chercheurs confirmés. Les propositions de communications d’environ 300 mots, accompagnées d’une brève notice biographique, sont à envoyer avant le 19 juin 2022 à l’adresse suivante : coline.degruson@u-bordeaux-montaigne.fr.
Chaque communication sera d’une durée de 30 minutes.
La journée d’étude est organisée par Coline Degruson dans le cadre du Séminaire sur l’art d’aujourd’hui, avec le soutien de l’Université Bordeaux Montaigne et de l’unité de recherche ARTES. Elle se déroulera au CAPC musée d’art contemporain de Bordeaux et à l’Université Bordeaux Montaigne les 20 et 21 octobre 2022.
[1] Kazimir MALEVITCH, « Non-figuration et suprématisme, 1919, Charles HARRISON, Paul WOOD (éd.), Art en théorie, 1900-1990, Hazan, Paris, 1997, p. 332.
[2] Kazimir MALEVITCH, Jean-Claude MARCADÉ (trad. et dir.), Ecrits, Lausanne, L’Âge d’homme, 1974-1994, 4 tomes. Jean-Claude Marcadé a également continué à traduire d’autres écrits de Malevitch jusqu’au plus récent Kazimir MALEVITCH, Jean-Claude MARCADÉ (trad. et dir.), Écrits. Tome I, Paris, Edition Allia, 2015.
[3] Piet MONDRIAN, Brigitte LÉAL (éd. sc.), Écrits français, Paris, éditions Centre Pompidou, 2010.
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