Si le terme « Apocalypse » est devenu dans le langage courant synonyme de la fin des temps, « apokalypsis »(α’ποκα’λυψις) renvoie d’abord et avant tout en grec au dévoilement, à la révélation d’une vérité ultime auparavant masquée ou ignorée. Véritable genre de la littérature hébraïque, l’apocalypse fait alors référence à une forme de texte crypté en vue de présenter aux initiés un message subversif. Dans le contexte des guerres de religion, catholiques et réformés vont ainsi s’inspirer de ce genre, éminemment représenté dans la Bible par l’Apocalypse johannique, pour proposer des textes à vocation prophétique d’une part mais aussi, dans le cas des réformés d’autre part, des écrits de résistance politique. Nous aimerions que ce numéro soit l’occasion de faire le point sur ces pratiques d’écriture ayant pour but le plus souvent affiché d’exhiber une « malplaisante vérité » selon l’expression du poète protestant Agrippa d’Aubigné.
La permanence du fantasme apocalyptique à la Renaissance est héritée des grandes angoisses eschatologiques du Moyen Âge et concerne non seulement l’Europe chrétienne, où les tensions politiques et religieuses sont vécues sinon comme l’Apocalypse elle-même, au moins comme un prélude à l’Apocalypse, mais également les marges de l’Europe et au-delà du monde chrétien. Comme l’ont souligné Michel Balivet1 et plus récemment Géraud Poumarède2, les trois grandes religions monothéistes comportent des traditions eschatologiques parentes, qui expliquent ainsi pourquoi la proximité des 900 ans de l’Hégire en 1494 ou de ses 1000 ans un siècle plus tard ont entraîné des inquiétudes millénaristes et réactivé le genre apocalyptique dans le monde musulman. Les relations des ambassadeurs occidentaux envoyés à la Porte témoignent ainsi d’une angoisse de l’affrontement avec les Chrétiens. En même temps, la Chrétienté toute entière se voit confrontée à la progression qui semble irrémédiable de l’empire ottoman et le fantasme du Turc est présent comme vecteur d’angoisse, suggérant que le temps de l’affrontement avec l’Infidèle est imminent. La mystique millénariste dans la destruction de la puissance turque est un des moteurs de l’ouverture au monde initiée par les Ibériques et l’on retrouve ainsi chez Christophe Colomb3, la volonté de partir vers l’ouest pour rencontrer le Grand Khan et constituer une union qui prendrait à revers la puissance ottomane. Bien au-delà des mers, la veine apocalyptique s’exporte, notamment en Amérique et se retrouve dans nombre de récits des premières découvertes, aussi bien chez Christophe Colomb lui-même que chez Las Casas qui met en scène dans son récit de La destruction des Indes une forme d’Apocalypse où les chrétiens espagnols feraient office de persécuteurs face à des Indiens considérés comme membres d’une Église déjà persécutée.
De nombreux thèmes réapparaissent de manière récurrente au cours des paroxysmes de tensions entre réformés et catholiques, tel le thème de la prostituée de l’Apocalypse chevauchant une hydre, ou celui de l’Antéchrist auquel est associée la figure du pape du côté réformé, mais que se renvoient mutuellement catholiques et protestants. L’imaginaire vit au quotidien sous la suggestion de prophéties astrologiques qui encadrent chaque mois et noircissent le devenir. Certains événements historiques sont ainsi interprétés comme annonçant le terme imminent de toute chose ; l’apparition de « monstres », de comètes et autres pluies de feu sont autant d’indices de l’imminence de la fin des Temps. Ainsi, Denis Crouzet a-t-il montré, dans plusieurs de ses travaux que le massacre de la Saint-Barthélémy avait pu être conçu par les catholiques comme le signe du basculement dans une temporalité eschatologique qui verrait surgir la nouvelle Jérusalem en mettant fin aux « tribulations que les chrétiens [avaient] subi depuis plusieurs décennies du fait de l’hérésie »4, c’est-à-dire la Réforme. Renvoyant à un « instant […] de théophanie »5, l’apocalypse constitue en outre un véritable défi à l’entendement, à la littérature et aux arts picturaux. Dans ces conditions, plusieurs axes d’études pourront être traités :
- Qui sont ces « hérauts de l’Apocalypse », pour reprendre l’expression bien connue que Denis Crouzet utilisé au sujet de Christophe Colomb ?
- Quels rôles jouent ces prophéties apocalyptiques dans la prise de décision politique et religieuse ?
- Dans quelles conditions sont dénoncés les faux prophètes censés précéder la venue de l’Antéchrist ?
- Comment penser et représenter un événement qui ne peut se concevoir qu’en dehors de l’espace-temps et au-delà de ce que l’esprit humain pourrait s’imaginer ?
- Quels sont les moyens poétiques, artistiques ou encore argumentatifs utilisés pour traiter l’Apocalypse ?
- Quels sont les signes qui sont perçus et présentés comme avant-coureurs de la fin du monde ?
- Quels phénomènes de circulations et de transferts culturels sont à l’œuvre entre l’Europe chrétienne et les autres mondes non chrétiens pour renouveler ce très ancien genre apocalyptique ?
Nous laissons les contributeurs libres du choix de leur sujet. Les articles peuvent être de longueur variable, dans une limite de 8 à 15 pages, soit entre 30 000 et 50 000 caractères environ (espaces et notes incluses).
Le Verger est une revue pluridisciplinaire dirigée par l’équipe de Cornucopia et consacrée à la période de la Renaissance.
Toutes les propositions seront examinées par l’équipe de Cornucopia et soumises à l’approbation du comité de lecture du Verger.
Responsable du numéro 10 : Marie Goupil-Lucas-Fontaine et Adeline Lionetto.
CALENDRIER
– Avant le 15 janvier 2016 : adresser une proposition composée d’un titre provisoire et d’un résumé d’une page maximum à l’adresse suivante : site.cornucopia@gmail.com.
– 15 février 2016 : réponse du comité de lecture.
– 15 juin 2016 : remise des articles sous forme électronique, respectant la feuille de style.
– Septembre 2016 : mise en ligne du numéro.
1 Michel Balivet, « Textes de fin d’Empire, récits de fin du monde : à propos de quelques thèmes communs aux groupes de la zone byzantino-turque », dans Les traditions apocalyptiques au tournant de la chute de Constantinople, éd. par B. Lellouch et S. Yérasimos, Varia Turcica, XXXIII, Paris, Montréal, L’Harmattan, 1999.
2 Géraud Poumarède, Pour en finir avec la Croisade. Mythes et réalités de la lutte contre les Turcs aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, PUF, 2009.
3 Denis Crouzet, Christophe Colomb, héraut de l’Apocalypse, Paris, Payot, 2006.
4 Denis Crouzet, Dieu en ses royaumes. Une histoire des guerres de religion, Paris, Champ Vallon, 2008, p. 445.
5 Ibid.
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