Art et autoritarismes | Appel prolongé jusqu’au 2 février 2024
Au fil des siècles, les artistes ont su nouer avec les pouvoirs autoritaires des relations complexes, souvent très difficiles, mais qui, parfois, malgré les obstacles terribles, ont pu s’avérer fructueuses du point de vue de la création. Le numéro 94 de la revue Histoire de l’art entend explorer les attitudes, les positionnements, les réactions, les gestes que les artistes, de manière individuelle ou collective, ont pu adopter dans des contextes coercitifs. Dans ce numéro, il ne sera pas question de formes d’entraves (techniques, formelles, théoriques…) liées aux processus ou à la pensée artistiques, mais bien de l’interaction, de la confrontation avec une volonté de contrôle ou d’asservissement d’une création autonome et critique vis-à-vis de systèmes autoritaires.
Chaque système politique (autocratique, théocratique, dictatorial, monarchique, démocratique également) a et a eu comme objectif de donner forme à sa légitimité en façonnant par les arts sa propre image. Au cours de l’histoire, cette esthétisation de l’autorité se manifeste selon des modalités et des expressions différentes, ayant souvent recours à la récupération, au détournement et même à la création ex nihilo de formes symboliques (pensons à la fondation de l’Empire romain par Auguste, au régime autocratique des Médicis à Florence, à l’Empire napoléonien ou encore à la manipulation d’éléments antiques et médiévaux par le régime hitlérien, pour ne citer que des exemples parmi les plus étudiés). On peut se demander quelle est la capacité d’un régime autoritaire à susciter, par la coercition, l’invention de nouveaux systèmes visuels et, à l’inverse, son rapport à l’histoire et aux formes du passé. Par ailleurs, aborder la question suppose d’interroger la notion d’« autorité » sous ses multiples aspects. Si l’on entend par « autorité » l’exercice institutionnel du pouvoir sur les sociétés, les notions de soumission, d’obéissance ou, à l’opposé, de dissidence et de résistance peuvent-elles être appliquées dans le cas de formes autoritaires d’ordre religieux, économique ou culturel (genre ou ethnie) ? Dans ces cas, les concepts de dissidence ou de soumission s’avèrent-ils opératoires pour décrire la position des artistes et des créateurs ? En d’autres termes, existe-t-il des constantes dans les attitudes des producteurs d’art en ces contextes autoritaires ou bien doit-on ajuster les termes du débat en fonction de contextes historiques et géographiques ?
Si la question de l’art face à l’autorité a été l’objet de très nombreuses recherches autour de l’histoire artistique et politique occidentale récente (nationalismes, totalitarismes, colonialismes, ségrégations, discriminations…), l’intention de ce numéro d’Histoire de l’art est de proposer une réflexion nouvelle en suscitant des études inscrites dans un cadre chronologique et géographique plus large. Nous souhaitons également que d’autres formes d’autorités coercitives puissent être explorées. Les périodes historiques plus anciennes ont connu en effet de multiples formes d’« autoritarismes » qui ont tout autant infléchi la création artistique ainsi que les formes de sa réception. Par ailleurs, si les études peuvent porter sur toutes les aires géographiques, nous encourageons les contributions qui auront pour objet des cas d’étude extra-européens, telles la Conquista du continent américain ou encore la colonisation en Asie, en Afrique et en Océanie.
Dans ce face-à-face avec des pouvoirs qui ont ambitionné de régir et d’orienter les peuples, mais aussi la pensée et la création artistiques, au moins trois grandes lignes peuvent être envisagées :
Alignements, asservissements, propagandes
Peut-on parler d’un assujettissement de l’art au politique ? Comment celui-ci se traduit-il ? Quelles sont les contradictions inhérentes à un art dit « politique » ? Il s’agit ici de toucher à la relation bien étudiée de l’art et de la propagande, c’est-à-dire à la façon dont les régimes autoritaires et les totalitarismes d’hier et d’aujourd’hui ont pu instrumentaliser la création artistique et la culture visuelle pour servir leurs projets et intérêts. Ont-ils été capables de créer des régimes visuels spécifiques ou bien s’agit-il toujours de récupérations et de détournements de formes symboliques préexistantes ? De ce rapport d’assujettissement, on peut interroger la « mécanique de domination » et son fonctionnement, l’adhésion des artistes à ces idéologies ou, a contrario, les marges de liberté dont ils disposent.
Résistances, activismes, engagements
Au cours des siècles, malgré les contraintes exercées par les autorités en place, certain(e)s artistes ont fait œuvre de « résistance » en adoptant des médiums très diversifiés (peinture, sculpture, architecture, performance, caricature, graffiti, affiche, tatouage, mode, etc.), par les vecteurs particuliers de diffusion de leurs créations ou encore par des moyens bien plus personnels et radicaux mettant en jeu leur propre identité (nom, lieu de vie…). Il s’agit d’interroger des formes d’existence et de création allant jusqu’au « militantisme » artistiques – et ce, même à des époques où ce dernier terme pourrait paraître a priori anachronique –, des modalités de création visant à détourner, critiquer ou déconstruire les divers régimes de contrainte en dépit des risques et des pressions qui ont pu être exercées, directement ou plus sournoisement et insidieusement, sur les artistes.
La création avec et malgré l’exclusion ou la censure
Les systèmes politiques, religieux ou culturels d’assujettissement qui ont tenté de brider ou de réprimer les artistes et leur travail, notamment sous la forme de l’exclusion et de la censure, ont aussi été, paradoxalement, un stimulus pour la fabrication d’un contrepouvoir par l’art. En détournant, en (se) jouant et en déjouant les limites imposées par toutes formes d’autoritarisme et en faisant souvent œuvre de « bricolage » dans les interstices de liberté, des artistes ont pu innover en refaçonnant le rapport entre modèle idéologique et modèle esthétique de la production de l’art. Nous encourageons les propositions de cas d’études qui pourront approfondir la compréhension de la manière dont la contrainte politique et la censure peuvent attiser la créativité visuelle.
Il va de soi que ces trois types de positionnement ne sont pas exhaustifs et qu’il existe d’autres types de réactions artistiques aux diverses formes d’autoritarismes. Il peut être particulièrement fructueux ainsi de considérer le spectre varié et évolutif de ces relations aux pouvoirs coercitifs.
Le numéro 94 sera coordonné par Antonella Fenech-Kroke (CNRS, Centre André-Chastel) et Thomas Renard (Nantes Université). La revue a pour rédactrice en chef Dominique de Font-Réaulx (musée du Louvre).
Les synopsis, comprenant une présentation du sujet problématisé (1 page), une bibliographie sommaire sur le sujet et une biographie de l’auteur (500 signes), sont à adresser sous forme de fichier PDF unique par courriel à revueredachistoiredelart@gmail.com pour le 2 février 2024 au plus tard. Les propositions seront étudiées par le comité de rédaction.
Les projets retenus feront l’objet d’articles à remettre pour le 27 avril 2024.
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