Colloque : « Un « Grand Siècle » ? Pour l’histoire critique d’une notion » (16–18 mai 2024, Université de Genève)
Que reste-t-il, aujourd’hui, du « Grand Siècle » ? Sans doute une notion, pour commencer, dont la fabrique ne remonte pourtant pas au XVIIe siècle, mais aux premières décennies de la IIIe République. Au sortir de la guerre de 1870, il s’agit de glorifier la France de Louis XIV et de Colbert pour célébrer la grandeur d’un État parfaitement administré, ainsi que l’importance du « génie français » dans l’histoire culturelle européenne. Face aux conceptions transhistoriques et transnationales développées par les historiens de l’art du monde germanique, qui font prévaloir l’Italie sur la France, il convient de montrer que c’est le même « classicisme » qui innerve les œuvres de Corneille, Molière et Racine, de Poussin, Claude et Le Sueur. C’est ainsi, désormais, au « Grand Siècle » qu’un nombre croissant d’expositions et d’ouvrages se consacrent, en se focalisant sur le règne de Louis XIV, décrit comme l’« âge d’or » de l’art français. Dès le premier tiers du XXe siècle, et jusqu’au tricentenaire de la mort de Louis XIV, des voix s’élèvent toutefois pour remettre en cause les « simplifications un peu scolaires » (Baldensperger 1937, cité par Stenzel 2006 : 49) qui ont entouré le « Grand Siècle ». Les notions de « classicisme » et d’« absolutisme » sont remises en question, tandis qu’une autre société française est décrite, éprise de sainteté et de liberté autant que de gloire, et où l’ascension des meilleurs peintres et « la richesse de la vie artistique » ne peut plus se « réduire à de simples rapports de domination ».
Par ailleurs, et même si la notion elle-même est une fabrication tardive, il convient de s’interroger sur ce que le « Grand Siècle » doit à la France du XVIIe siècle. L’historiographie, on le sait, a été comme orientée par les écrits de Jean Desmarets de Saint-Sorlin, Dominique Bouhours, François Blondel, Charles Perrault et Voltaire, qui ont célébré « le siècle de Louis le Grand », puis le « siècle de Louis XIV » : « le “Grand Siècle” est le règne de Louis-le-Grand (sic) », écrit ainsi Bernard Teyssèdre (1964 : 9). Cette focalisation est-elle pourtant pertinente ? Tandis que certains se sont intéressés de façon critique au tournant du XVIIIe siècle, trop souvent et facilement assimilé à une « période de transition », d’autres ont souligné l’importance de ce qui a pu être appelé la « naissance » (Pagès & Tapié 1948) et la « formation du Grand Siècle » (Bernhardt 1988 : 409), ou encore le « premier Grand Siècle » (Descimon & Jouhaud 1996) — autant de questions qui, chez les historiens et les historiens de l’art, ne reçoivent pas de réponses nécessairement identiques. Le début du règne d’Henri IV (1589) correspond en effet à l’instauration d’un « nouveau style de gouvernement » et à la « reconstruction du royaume », saluée par les contemporains eux-mêmes. On a également souligné le rôle crucial de la régence de Marie de Médicis dans le développement des arts dans la France du XVIIe siècle, jusqu’à inspirer de flatteuses comparaisons avec le « Siècle de Louis le Grand ». Ce sont toutefois les ministériats des cardinaux de Richelieu et Jules Mazarin, sous le règne de Louis XIII et du jeune Louis XIV, qui ont suscité l’attention la plus ancienne et la plus soutenue. Dès 1893, Henry Lemonnier affirme que cette période correspond au moment d’émergence du « classicisme » français, partant du « faux classicisme » de Simon Vouet pour aller jusqu’à l’« académisme » de Charles Le Brun. Louis Dimier reprend l’idée de Lemonnier en la nuançant. Théorisant la notion de « seconde École de Fontainebleau », il lui accorde une place paradoxale : « Fontainebleau allait être le centre du renouveau de l’école effacée ». Il situe lui aussi la naissance véritable de « l’école française » entre son « établissement » par Vouet et son « apogée » par Le Brun, mais accorde une importance plus grande au premier, dont le retour de Rome (1627), peu de temps avant celui de François Perrier et de Jacques Blanchard (1629), marque un tournant. Quatre-vingts ans après la mort de François Ier (la « première École de Fontainebleau »), la France d’Henri IV est enfin capable d’attirer à elle ou de conserver chez elle les meilleurs peintres qu’elle a vus naître sur son sol — ou presque, puisque Perrier est franc-comtois —, après avoir continué un temps de capitaliser sur l’héritage artistique de la fin du XVIe siècle (la « seconde École de Fontainebleau »). Un autre tournant est identifié par Dimier autour de l’émergence du « grand style » de Poussin et Lorrain, qui se conjuguera à l’« abondance unie » de Vouet dans l’art d’Eustache Le Sueur. Pour insister sur l’existence de ce « classicisme gallican », Bernard Dorival suggère plus tard d’appliquer la notion rhétorique d’« atticisme » à la peinture produite durant la dernière décennie du ministère de Mazarin, avant que d’autres ne la fassent remonter à la régence d’Anne d’Autriche, voire à la surintendance de François Sublet de Noyers.
Consacré à l’histoire critique de la notion de « Grand Siècle », ce colloque constituera le prologue d’un projet de recherche financé par le Fonds national suisse, Peindre et penser la peinture en France durant le premier XVIIe siècle : discours, artistes, concepts (2023–2027), dirigé par Jan Blanc (Université de Genève), et auquel collaborent Pauline Randonneix (doctorante), Antoine Gallay et Léonie Marquaille (postdoctorants) et Maxime Humeau (ingénieur informatique). De nature interdisciplinaire, ce colloque propose de réunir des historiens de l’art, mais aussi des historiens, des philosophes, des spécialistes des questions littéraires et théâtrales, religieuses et théoriques, musicales et scientifiques, pour interroger les conditions historiques de genèse de la notion de « Grand Siècle », mais aussi son degré de pertinence dans l’analyse des différentes formes de pratiques intellectuelles et culturelles dans la France du long XVIIe siècle.
Sur inscription : jan.blanc@unige.ch (avant le 15 mai)
https://grandsiecle.hypotheses.org/activites
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