Conférence : « Goya et les stratégies visuelles des ‘guerres asymétriques' » par Godehard Janzing

„Yo lo vì!“ – je l’ai vu –, assure la légende d’une gravure de la collection des Désastres de la guerre, créée par Francisco de Goya à partir de 1810, face à la guerre d’indépendance espagnole. Le titre semble faire preuve de la volonté de l’artiste de témoigner, et de souligner que les scènes de violence, presque prises sur le vif, se sont produites telles qu’il les représente. Cette affirmation, citée autant de fois que sont exposées ou reproduites ces gravures, a marqué notre idée de l’artiste engagé, en opposition critique à la guerre.

Pourtant, l’impact politique de ces gravures resta limité à son époque – la série n’étant réellement publiée et diffusée qu’en 1863, dans une publication posthume de l’académie royale de Madrid. Est-ce un hasard si la découverte tardive des gravures de guerre de Goya a lieu au moment même où un nouveau medium entre sur le champ de bataille : la photo, qui, se plaçant du point de vue des victimes, fournit pour la première fois des preuves visuelles de la mort au combat et des horreurs de la guerre ? Le succès tardif des gravures de Goya semble fortement lié à l’apparition de cette nouvelle possibilité technique, engendrant aussi une nouvelle volonté de fournir un témoignage critique.

Toutefois, la maxime de Goya, « je l’ai vu », renvoie davantage à sa créativité en tant qu’artiste qu’à un simple acte de témoignage. Dans les gravures, c’est d’abord Goya lui-même qui fait émerger la violence, qui donne forme aux atrocités et les rend visible en recréant leurs dégénérescences. Dans ses compositions, aussi complexes que réfléchies, Goya nous livre plutôt une analyse des mécanismes de la guerre que son véritable portrait. Et c’est justement cette capacité à penser visuellement le conflit qui confère à ses images un pouvoir durable, qui continue encore aujourd’hui à offenser ou même à blesser le spectateur.

La conférence se déroulera le 16 janvier 2013, de 17h à 19, à Sciences Po, dans le cadre du séminaire Arts & sociétés dirigé par Laurence Bertrand-Dorléac.

Godehard Janzing, historien de l’art, est directeur adjoint au Centre allemand d’histoire de l’art à Paris. Il était de 2005-2007 collaborateur scientifique au Deutsches Historisches Museum à Berlin (Expositions : Art et Propagande, 2007 ; Les Hugenots, 2006) et il a participé comme commissaire associé à exposition Lévénement au Musée du Jeu de Paume, Paris (2007). Ses travaux portent sur l’art autour de 1800, la relation entre le  visuel et la violence, l’imagerie politique et les stratégies de la mémoire culturelle.

Sciences Po
salle du Traité, 1er étage
56 rue Jacob
75006 Paris

 

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