La quatrième et dernière journée d’étude organisée dans le cadre du projet « Tempus » est consacrée aux divers aspects de l’approche génétique de l’oeuvre. Il s’agit de prendre acte du développement récent, notamment dans les études littéraires, d’une approche qui met l’accent sur la notion de processus créatif. Une telle conception est certes requise par une histoire de la modernité au sein de laquelle l’idée de « work in progress » a connu et connaît encore aujourd’hui un grand succès. Mais la tradition humaniste s’est également attachée à définir les diverses phases de ce processus, tant sur le plan de la conception (« invention ») que de la réalisation matérielle. L’on devra donc bénéficier des rapprochements fructueux qui s’opèrent désormais entre la recherche universitaire et les lieux de restauration/conservation de l’oeuvre. C’est en prenant en considération l’ensemble de ces composantes que l’on pourra tirer le meilleur parti du dépassement du clivage entre les différentes techniques correspondant aux diverses phases de réalisation (ainsi le dessin et la peinture à l’huile) pour mieux comprendre l’ensemble du processus.
Programme
9h15 Accueil des participants
9h30 Etienne Jollet, professeur d’histoire de l’art moderne à l’université de Paris I/HICSA : « Le temps de la création : une mise en perspective historiographique »
L’approche génétique de l’œuvre
10h Lizzie Boubli, conservateur du patrimoine, musée du Louvre : « Fondements et enjeux d’une génétique du dessin à l’époque moderne »
La question du processus de création dans le dessin à l’époque moderne est le plus souvent axée autour d’un phénomène majeur, celui de la tradition téléologique car la création est pensée seulement dans la perspective d’une clôture, celle de l’achèvement de l’œuvre. Cette position est en contradiction avec le questionnement posé par l’idée même de « processus » qui implique, au contraire d’une linéarité d’ordre téléologique, des retournements, des hésitations, des corrections constantes qui peuvent tout aussi bien expliquer que justifier l’œuvre achevée. Dans cette orientation, la temporalité occupe un rôle de premier plan dans la mesure où les mutations les plus complexes déjouent justement cette linéarité. Les reconstitutions partielles de la genèse d’une œuvre exigent sans cesse d’aller à rebours, non pas pour recréer cette œuvre mais pour comprendre la « logique » du processus et l’intégrer dans une pensée dynamique et mouvante au moment de l’interprétation. L’enjeu d’une telle étude est de parvenir à établir les fondements d’une nouvelle approche où les changements et les métamorphoses d’un processus peuvent expliquer la singularité d’une œuvre, et non son classement dans une catégorie déterminée. En tenant compte des spécificités d’une pensée graphique, souvent en complément et en prélude à une phase plus avancée de l’élaboration, on change de point de vue sur l’œuvre mais aussi sur les méthodes d’analyse et d’interprétation qu’on peut lui appliquer.
10h45 Marianne Jakobi, maître de conférences à l’université de Clermont-Ferrand/ITEM : « Archives de la création, titres et dessins : pour une histoire de l’art génétique »
Les acquis de la génétique littéraire permettent d’étudier la part écrite des processus créatifs potentiellement observables dans les archives textuelles des artistes et, en premier lieu au moins, dans celles de Jean Dubuffet (carnets, notes, etc.), avec l’ambition de confronter la méthode génétique aux processus de création de l’objet d’art lui-même. Il s’agira de tenter d’élaborer une méthode permettant de comprendre tout à la fois la genèse de la pensée de l’artiste (à travers son propre discours écrit, ses notes d’atelier, etc.) et la genèse de l’objet d’art proprement dit (à travers les documents dessinés, les esquisses, les ébauches, etc.), et de reconstituer le processus créatif de l’œuvre dans sa temporalité.
11h30 Pause
Le temps de la création et le processus créatif
11h45 Maurice Brock, professeur d’histoire de l’art moderne, Université François-Rabelais, Tours/CESR : « Pratiques de la reprise dans l’atelier de Titien »
Dans l’atelier de Titien, dix ou quinze ans durant, le maître et/ou les élèves reprennent la Danaé ou la Vénus couchée, mais, à chaque fois, ce n’est « ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre ».
12h30 Nicola Suthor, professeur d’histoire de l’art à la Freie Universität, Berlin : « Taking a breath while drawing ? On Guercino’s wavy line and its problematic reception » (en anglais)
A partir du cas particulier du Guerchin, l’on souhaite aborder la question du flux temporel. Il s’agit de poser la question de la visibilité de la pensée créative, du « primo pensiero » à l’œuvre achevée.
14h 30 Danièle Cohn, professeur d’esthétique à l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne/PHICO : « L’activité artistique et la construction d’un réel, retour sur Konrad Fiedler »
Temps de la création, temps de la réception
15h15 Thierry Lalot, professeur à l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne, Centre de recherches en préservation des biens culturels/HICSA
Gestation et concrétisation de l’œuvre, voilà de quoi entendre une dimension temporelle dans les processus de la création. D’autre part, l’approche technologique des pratiques artistiques invite à considérer les outils, gestes, matériaux et procédés de l’artiste. Se rassemblent ainsi autour de lui tous les moyens qui concourent à la production matérielle de son œuvre. Appréhender le temps de la création par ce regard croisé questionne l’accès à une structure temporelle du processus créatif. Ce que nous connaissons d’une pratique artistique à travers les recettes et les traités notamment, contient souvent et très clairement des indications temporelles quand d’autres indications demeurent implicites : combien de temps faut-il laisser agir cet acide sur cette plaque de verre ou de métal ? Jusqu’à ce que l’effet désiré soit atteint.Les séquences s’enchaînant les unes aux autres ou les itérations installées dans un va-et-vient entre la gestation et la concrétisation de l’œuvre lors de l’esquisse et des repentirs par exemple, renvoient aux formes linéaire et cyclique du temps. Elles convoquent de manière très diversifiée tout acte contribuant à la production de l’œuvre : mettre au point un outil, répéter un geste, acheminer des matériaux, éprouver un procédé pour ne citer que quelques mises en situation. Précisément, l’on rappellera l’emploi du litharge ou d’huiles cuites réduisant le temps de séchage des couches picturales. Et combien la technique et les matériaux de la peinture à fresque conditionnent la journée de travail. Des technologies artistiques qui structurent un temps de la création : c’est dire l’esprit de l’essai.
16h Pause
16h15 Bénédicte Trémolières, restauratrice : « Temps de la création, temps de la restauration »
L’oeuvre créée est soumise à vieillissement. La décision de restaurer est une réponse à ce devenir de l’oeuvre. La restauration appartient au temps de réception de l’œuvre : d’une même oeuvre les restaurations successives offrent différents « états ». Elles mettent en jeu une conception de l’oeuvre à un certain moment, en un temps donné, par exemple le degré d’acceptation ou de visibilité de ce vieillissement. Dans le cas de Monet (et plus largement des impressionnistes) se pose notamment la question du vernis comme indice légitime ou non du « fini » de l’oeuvre.
17h Alessandro Pignocchi, EHESS/Institut Jean-Nicod : « L’œuvre comme résultat d’une démarche »
L’on défendra l’hypothèse selon laquelle l’expérience de l’œuvre d’art prend nécessairement forme autour de la reconstruction de certains moments de la démarche de l’artiste. Les processus psychologiques en jeu sont pour beaucoup inconscients et fonctionnent donc sans que nous nous en rendions comptes. Dans la relation à l’œuvre d’art, les attributions d’intentions commencent pourtant dès la perception. Les propriétés d’une peinture, d’un film, les traits d’un dessin, sont déjà perçus et organisés comme le fruit d’un processus intentionnel. Les attributions d’intentions déterminent ensuite les différentes facettes de notre relation à l’œuvre – son appréciation, son interprétation, son évaluation, la façon dont nous en parlons.
17h45 Conclusions
INHA
salle Vasari
2 rue Vivienne,
75002 Paris
Projet Tempus
Responsable scientifique Etienne Jollet, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, HICSA.
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