III- Les fins de l’interprétation
Université de Rouen – Auditorium du Musée des Beaux-Arts de Rouen – 24 novembre 2016
« Du corpus à l’exégèse : interpréter la peinture du XVIIe siècle en France, entre provinces et capitales européennes », est le titre générique d’un cycle de trois colloques, organisé entre 2014 et 2016, par l’Université de Rouen (GRHis) et ses partenaires (Musée des Beaux-Arts de Rouen), avec le soutien de Rouen-Métropole.
Ces rencontres rassemblent des intervenants – doctorants ou universitaires confirmés – dont les travaux portent sur des études de cas exemplaires envisagés dans le cadre d’une approche interprétative : théories et pratiques anciennes de l’interprétation ; questions iconographiques et iconologiques ; approches contextuelles interdisciplinaires ; lectures plus théoriques d’ordre herméneutique ou exégétique s’interrogeant, notamment, sur les questions liées à l’intentionnalité ou à la réception. Les situations régionales sont considérées avec attention, mais dans une prise en compte, obligée au XVIIe siècle, des interactions permanentes entre provinces, Paris, mais aussi grandes capitales européennes (de Rome à Anvers via Madrid ou Londres), entre lesquelles pouvaient se déplacer œuvres et artistes français ou étrangers œuvrant en France.
Après un premier volet qui a pris place à Rouen en novembre 2014 et portait sur les sources interprétatives et les modes interprétatifs historiquement attestés (« Historiciser l’interprétation ? Protocoles et sources de l’interprétation au XVIIe siècle »), le second volet intitulé « Trajets de l’interprétation », s’est déroulé en décembre dernier à Rouen et portait sur « L’œuvre comme lieu et forme d’interprétation » et sur « Les acteurs comme vecteurs de l’interprétation ». Ce dernier volet, en 2016, porte sur des enjeux plus théoriques où nous nous interrogerons sur les limites du travail interprétatif : « Les fins de l’interprétation – Construire le sens ; Suffisance et insuffisances du sens. »
L’ensemble des actes donnera lieu à publication.
Argumentaire
*Construire le sens.
Prolongeant la seconde direction du colloque de 2015 (« Les acteurs comme vecteurs de l’interprétation »), une autre orientation, plus réflexive et historiographique, pourrait être celle moins du sens supposé de l’œuvre, que des modes de construction, interne et externe, de la signification. En somme du « comment » de la signification qui induit les interprétations : mécanismes de captation de l’attention ; sens de lecture ; indications textuelles ou visuelles facilitant les mécanismes projectifs et discursifs ; variété des tropes et signes convoqués ; codes et circulation de la communication entre objets, référents, acteurs ; recherche ou non d’une unité et intégration totalisante du sens ou effets de dispersion et d’intégration (le cas de la nature morte ?), etc.
Un point à privilégier serait, par exemple, celui de la prise en compte des différentes façons de faire sens et donc d’interpréter. Comment comprend-on ? Comment transforme-t-on (par excès ou défaut de sens : sur ou sous-interprétation), altère-t-on le sens ? (passage vers le sens commun, le « bon sens », l’in-sensé ; la valeur ou la productivité des erreurs et des fausses interprétations). Comment encore partageons-nous ou oublions-nous le sens dans l’inévitable distance de soi au passé visé (l’historicité au sens de F. Hartog), qui est celle de toute interprétation ? Que nous apprend réellement l’œuvre non seulement sur elle-même, son producteur ou la société dont elle est issue, mais sur le propre regard de l’interprète et de son temps (le cas des multiples lectures successives d’une œuvre ou d’un artiste) ? Quelles différences également entre un sens « caché », voilé, indécidable, évident (le cas des œuvres communes, banales, stéréotypées mais significatives), ou encore plurivoque, indéterminé ou générique (un sens « vague » mais susceptible d’être investi d’un sens spécifique en fonction du contexte ou du spectateur par exemple). Interroger encore le cas d’œuvres délibérément « énigmatiques » et « mystérieuses » : l’énigme, la dissimulation, comme stratégie d’interpellation pour une investigation attentive.
*Suffisance et insuffisances du sens
Suffisance : Face à l’illusion d’une maîtrise possessive de l’œuvre prenant la forme du monologue qui referme et écrase l’œuvre (« tout est dit » : pourquoi aller y re-voir ? trouver à y re-dire ?), le sentiment d’une insuffisance, inadéquation voire grossièreté du langage et de nos catégories interprétatives pour « rendre compte » de l’œuvre. Ce serait l’apport, médiateur, d’une histoire du goût et du jugement bien sûr, et plus largement des sens, des sensibilités et du sentiment, du tact, du discernement, des façons, modes et « tournures » du voir et du traduire, etc.
Evidence, absence et présence : À l’opposé de la survalorisation par les historiens de l’art d’œuvres surinvesties de sens potentiels (à forte densité sémantique et syntaxique : Poussin), prendre en compte les formes d’évidence d’œuvres qui s’imposent avec d’autant plus d’autorité : sens élémentaire non nécessairement inédit, interprétation « de surface », premier degré, lieu commun, voire absence de sens. Mais aussi, pour un Hans Ulrich Gumbrecht par exemple qui s’en est fait le théoricien, qualité (plenum) de présence (qu’elle soit forme, matière, « grain » barthésien, accent, corps, vie, force, pulsion, énergie, pur dire sans forcément idée, pensée, concept, croyance).
Excès : A contrario, comment rendre compte, autre lieu commun (dans le domaine religieux par exemple), d’œuvres prétendant ouvrir à un insu, un invu, un mystère, un événement (inattendu), un imprévu, un ineffable, un possible, une évidence, que l’on ne peut que désigner, indiquer (autre sens du « sens »), sans pouvoir en rendre compte – mais qui pourrait signer ainsi le mutisme de l’historien de l’art (la tentation d’un livre d’images ?).
Expérience : Moins que d’interprétations, il s’agirait ainsi et enfin de reconsidérer d’autres fonctions de l’œuvre ou d’autres rapports à l’œuvre. Et par exemple les formes multiples non tant nécessairement d’une méthode que d’une expérience, d’une compréhension plus que d’une explication, engageant la totalité affective et sensorielle de l’être dans une rencontre singulière, qui rendrait insuffisant, secondaire voire inutile, tout discours. Mais comment en faire encore un objet d’étude et de discours – et sous quelles autres formes ? – pour l’historien de l’art ?
Programme
Télécharger le programme en pdf
- 09h30 : Accueil des participants – Introduction (Sylvain Amic, Musée des Beaux-Arts de Rouen ; Frédéric Cousinié, Université de Normandie-Rouen)
- 10h00 : Christian Belin (Université Paul Valery Montpellier 3), « Rêver la peinture : l’irréel du tableau chez La Fontaine ».
- 10h45 : Clélia Nau (Université Paris Diderot), « Matérialités des feuillages. Réintégrer ce qui échappe au sens : l’ambiance, l’intensité et le bruit ».
- 11h30 : Michel Weemans (ENSA Bourges/Paris, EHESS), « Indétermination et images potentielles dans les paysages de Henri Mauperché ».
12h30 – 14h00 : pause déjeuner
- 14h00 : Bruno Nassim Aboudrar (Université Sorbonne Nouvelle Paris 3), « Interpréter l’insignifiant : en deçà du motif ».
- 14h45 : Matthieu Somon (Université de Paris I Panthéon Sorbonne), « Autour des trois Moïse de Philippe de Champaigne ».
15h30 – 16h00 : pause
- 16h00 : François Trémolieres (Université de Rennes 2), « Yves Bonnefoy interprète de Poussin ».
- 16h45 : Étienne Jollet (Université de Paris I Panthéon Sorbonne), « Le sens de l’œuvre. Le cas du “Pèlerinage à l’île de Cythère” d’Antoine Watteau ».
- 17h30 : Giovanni Careri (Paris, EHESS), Pierre Antoine Fabre (Paris, EHESS), « Caravage/ Champaigne : une interprétation » (visite in situ de l’exposition-dossier).
- 18h30 : Vernissage de l’exposition : « Le temps des collections – 5e édition »
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