Le Festival d’histoire de l’art : dynamiser un succès

Le Festival d’histoire de l’art : dynamiser un succès

 

Incontestablement, le festival d’histoire de l’art de Fontainebleau est un succès.

 

Un succès

L’engouement qu’il a suscité tient à trois raisons principales :

  • Le site du château de Fontainebleau, avec la solennité de son architecture, le charme de ses cours et jardins, la diversité des espaces qu’il peut offrir, se prête particulièrement à une célébration divertissante de l’histoire de l’art.
  • Le festival a su pour l’instant garder un côté festif : par la surabondance gentiment brouillonne des manifestations qu’il propose, par le mélange des genres, entre cinéma, salon du livre, et conférence sérieuse en langue étrangère, par la multiplicité en l’année 2015, des buvettes. Cet aspect ludique, ressenti à la fois par les visiteurs en famille et les historiens de l’art professionnels tranche avec les congrès académiques.
  • Le festival est également un lieu de rencontres scientifiques.  Le pays invité est souvent bien représenté, et de multiples manifestations donnent la possibilité de mieux découvrir son historiographie et les courants actuels de la recherche (mais son phasage avec l’actualité des expositions reste à trouver). Le thème est nécessairement traité de manière multiple (cette extrême ouverture peut conduire parfois à une relative incompréhension du sujet par un public non averti, et une trop forte expansion du thème).

En moins de quatre ans, le Festival, issu de la volonté d’un ministre mais soutenu parfois avec quelques incertitudes, a su ainsi trouver un rythme, un public, une reconnaissance internationale. Il a du coup légitimement suscité un « festival off », signe de son succès. L’équipe et les institutions qui l’a porté ont réussi à mettre en œuvre un beau projet.

Avant d’aborder sa cinquième année, un bilan s’impose, et des propositions peuvent être faites pour qu’il reste un festival vivant, en phase avec les détours et renouvellements de l’histoire de l’art. Mais ce bilan bute sur une incertitude : le public, le public actuel, et le public souhaité. Rappelons à ce propos les objectifs des Rendez-vous de l’histoire de Blois, qui pourraient utilement servir pour le festival : « un lieu unique et privilégié d’échanges, de discussions, et de divertissement entre les historiens et le grand public »

Veiller à la continuité de son succès

Avec sa croissance et son succès, quelques risques peuvent se profiler:

  • Que le Festival devienne un énième festival du Ministère de la culture, et le fait des « cultureux » : une fausse symphonie de tous les arts réunis, ou de la création contemporaine. Il doit rester un festival d’histoire de l’art, une discipline qui a fait ses preuves, en France comme à l’étranger, aussi bien dans la recherche scientifique que dans la meilleure vulgarisation, comme le prouve le succès des expositions, qui repose sur de la recherche. Le Festival doit faire comprendre au grand public le « travail » et l’opération intellectuelle qu’est l’histoire de l’art, il doit être un lieu d’échange sur cette fabrique de l’histoire de l’art et se distinguer, ainsi des journées du patrimoine.
  • L’équilibre entre les institutions organisatrices et la communauté est toujours instable, comme le montre la faible présence dans le public des scientifiques, et on ne peut que regretter la trop faible mobilité des universitaires et conservateurs parisiens. Mais ceux-ci pourraient avoir l’impression de trouver au Festival ce que leur offrent déjà les conférences et colloques des musées et universités parisiennes. Plus qu’un méga colloque agrémenté d’animations patrimoniales, ces journées doivent rester le festival d’une discipline ouverte et qui est le fait d’une communauté hétérogène, entre musées et universités, entre réseaux de jeunes et sociétés savantes, entre approche monographique et visual studies. Une plus grande souplesse pour réagir à l’actualité est à envisager (il est dommage qu’en 2015, il n’y ait rien eu sur les caricatures et les lectures de l’image à la suite des tragiques événements de janvier).
  • Que le Festival mette en avant la forme de la rencontre.  Il n’est pas fait de multiples colloques ou conférences mis ensemble, ni d’une suite de présentation d’ouvrages, ni d’exposés oraux d’informations écrites. La forme conviviale de l’échange, qui permet de montrer l’histoire de l’art en train de se faire, et d’entrer plus facilement dans un sujet pour le public scientifique comme « profane » pourrait être plus fréquente. Des tables rondes avec des intervenants jeunes (avec un ou deux animateurs plus âgés pour situer les enjeux du débat et l’insérer dans des problématiques plus larges susceptibles de toucher un grand public) sont à privilégier : elles rencontrent toujours un vaste public, fait des amis des jeunes intervenants, et d’un public plus large curieux d’écouter de jeunes chercheurs.

Assumer la dimension politique du Festival

Le succès obtenu par le Festival, son coté éminemment public, dans tous les sens du terme (assistance, soutien du Ministère) font que le Festival est en train de devenir la vitrine de la discipline. L’intérêt porté lors du dernier Festival à la tribune organisée pour défendre le patrimoine au Moyen Orient menacé montre qu’il peut tenir un rôle dans le politique, et il doit en effet jouer un rôle dans l’espace public, aussi pour intéresser les journalistes. Une grande conférence par une personnalité médiatique et qui serait après publiée pourrait être un moyen de lui donner une résonance dans l’espace public.

Pour faire comprendre que l’histoire de l’art est une vraie discipline, des interventions à aspect réflexif et historiographique pourraient être envisagées. Un point ou un débat sur un grand historien de l’art, une exposition célèbre, une maison d’édition devrait recueillir l’intérêt du public.

Il faut sans doute créer plusieurs « observatoires » qui permettraient de faire un travail de veille (qui pourrait être publié sur le site du festival) et une opération de sensibilisation auprès du grand public. De multiples thématiques sont possibles : la sauvegarde du patrimoine (une ou deux œuvres en péril, mais aussi une opération réussie de mise en valeur) ; le droit aux images ; l’édition scientifique (multiples sujets possibles : les monographies d’artistes, l’édition des thèses, les revues). Parmi ces thématiques, certains sujets pourraient revenir tous les trois ou quatre ans : ce serait ainsi l’occasion voir des évolutions et de publier des bilans périodiques. Un travail en amont, avec l’INHA ou d’autres institutions ou associations prépareraient ces sessions. Le très utile BAIPHA ferait naturellement partie de ce type de rencontres.

Pour assumer cette dimension de « res politica » de l’histoire de l’art, on peut aussi compter sur la médiation assurée par les étudiants de l’Ecole du Louvre et des Universités. Mais ceux-ci pourraient jouer aussi un rôle de porte-parole, en étant logés chez l’habitant. Cette solution permettrait aussi d’intéresser la population de Fontainebleau au Festival, et de créer des liens entre le Festival et le territoire.

 

Renouveler l’intérêt du public et de la communauté

Pour continuer à susciter l’intérêt du public, le Festival doit se diversifier, intéresser d’autres couches de la population. Il doit aussi être en phase avec l’évolution de la discipline, et ses enjeux nationaux et internationaux.

Il reste pour l’instant trop européo-centré, alors que nous vivons dans un monde global.

Pour des raisons économiques, il sera sans doute difficile d’accueillir comme pays invité des états lointains. Mais il serait possible dans un premier temps, de donner « carte blanche » aux instituts de recherches à l’étranger ou aux centres culturels, avec l’organisation de deux ou trois tables rondes dans la même demi-journée, la présentation de « posters ». Le ministère des Affaires étrangères devrait pouvoir soutenir une telle opération.

La province reste insuffisamment présente au Festival. Pour mobiliser les populations de chercheurs et de conservateurs, il pourrait y avoir une après-midi « à la découverte de » avec différentes interventions sur l’histoire de l’art (musées, patrimoine, recherche) dans une province. Il s’agirait moins de la présentation d’une institution ou des acquisitions (les sites internet sont faits pour cela), qu’une discussion autour d’une future exposition, de la politique d’acquisition d’un musée, d’une recherche menée en commun entre musées et universités, des nouveautés présentées lors des journées du patrimoine, des formations professionnelles innovantes … . Là encore des « posters » pourraient compléter l’offre.

La jeune recherche (menée dans les Universités, à l’Ecole du Louvre, à l’INP, dans les musées et dans écoles d’architecture et de Beaux-Arts dans certains cas) est encore peu présente au Festival. Les prix (Focillon) devraient être décernés lors du Festival, avec une présentation publique (les « prix » intéressent toujours le public) et que la création d’autres prix soient encouragés. A coté du Workshop des rencontres internationales étudiantes, il serait bon que, comme lors du premier festival, il y ait une présentation de différents travaux de jeunes chercheurs, afin de montrer la diversité de la recherche en France, ce genre de présentation touche le public et suscite son intérêt pour l’histoire de l’art.

Enfin le festival a pour l’instant une dimension presque uniquement orale. La présentation de posters, qui pourraient après être disponibles sur le site internet, la transcription d’une ou deux grandes conférences (à créer) permettraient de lui donner une inscription plus durable.

 

Fort de son succès, le Festival ne doit pas craindre l’ouverture et la multiplicité : dans une culture du zapping, la diversité sera un gage du succès. Il peut continuer par des formes renouvelées l’attention qu’il a su porter aux jeunes et à l’étranger. Une plus forte inscription dans l’espace public, par la répétition annuelle de sessions affirmant la discipline histoire de l’art, devrait lui permette de gagner ses lettres de noblesse, et de passer à une nouvelle phase de son développement.

 

Olivier Bonfait, Rédacteur en chef du blog de l’APAHAU,  18 juin 2015.

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