Lygia Clark et les pédagogies d’artistes

Lygia Clark et les pédagogies d’artistes

Journée(s) d’étude

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, École des arts de la Sorbonne (salle 440), 47 rue des Bergers, 75015 Paris.

L’artiste brésilienne Lygia Clark (1920-1988) a enseigné de 1972 à 1976 à l’UER d’arts plastiques de l’Université Paris I. Partant du constat que la pratique de cette artiste a considérablement évolué au contact de ses étudiant·e·s, la journée d’étude « Lygia Clark et les pédagogies d’artistes » propose de réfléchir tant aux expérimentations pédagogiques de Lygia Clark que, plus largement, aux mutations de l’enseignement artistique post-1968, aux formes et modalités de création introduites dans les années 1970 par des enseignant·e·s–artistes venant de la performance, de l’art conceptuel et vidéo et/ou des milieux militants pour les droits civiques et des minorités.

La focale proposée est double : d’une part, porter un regard attentif sur la pratique pédagogique de Lygia Clark dans sa singularité, en cernant l’étroite articulation entre pratique artistique et approche clinique et en observant de près les différentes modalités de ses relations aux étudiant·e·s, à partir de documents d’archive et de témoignages directs ; d’autre part, par une série d’études de cas comparatives, ouvrir la réflexion vers d’autres expériences d’enseignement, en France ou ailleurs, dans lesquelles le corps et la perception se trouvent au cœur de la pédagogie et en bouleversent les certitudes.

S’inscrivant dans l’investigation à long terme que l’École des arts de la Sorbonne mène sur l’histoire de ses enseignant·e·s, cette journée d’étude fait écho à l’exposition « Le corps collectif » conçue par Anne-Lou Vicente qui réunit du 4 février au 8 mars 2025 dans la galerie Michel Journiac des artistes d’aujourd’hui en dialogue avec le travail de Lygia Clark.

Conception et organisation

  • Elitza Dulguerova, maîtresse de conférences en théorie et histoire de l’art contemporain, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, École des arts de la Sorbonne, laboratoire ACTE (EA 7539)
  • Déborah Laks, chargée de recherche CNRS, laboratoire CRAL (UMR 8566, CNRS-EHESS), chercheuse associée au Centre d’histoire de Sciences po.

Programme

Matinée (9h30-12h)

Mots d’accueil et d’introduction : Déborah Laks (CNRS/CRAL), Elitza Dulguerova (EAS/ACTE)

  1. I) L’enseignement de Lygia Clark à Saint-Charles 

Partie 1 // Modération : Jean da Silva (U. Paris 1 Panthéon-Sorbonne, EAS)

  • Romane Lamisse (Sorbonne Université), Une artiste chamane : les défis éthiques de l’enseignement de Lygia Clark à l’Université Panthéon Sorbonne (1972-1976)
  • Killian Rauline (École normale supérieure de Paris), Le corps noir dans le champ expérimental de Lygia Clark

Discussion

Pause 

Partie 2 // Modération : Elitza Dulguerova (U. Paris 1 Panthéon-Sorbonne, EAS)

  • Marlon Miguel (Bauhaus-Universität Weimar), « Preuve du réel » : situations relationnelles entre l’art et la clinique
  • Chiara Palermo (U. Paris 1 Panthéon-Sorbonne, EAS), La « portance » comme expérience inter-corporelle. Penser le soin dans l’œuvre de Lygia Clark

Déjeuner.

Visite de l’exposition « Le corps collectif » avec interventions d’Anne-Lou Vicente, commissaire, Myriam Lefkowitz, artiste et Lyz Parayzo, artiste.

Après-midi (14h30-18h)
  1. II) Le travail pédagogico-artistique de Lygia Clark mis en perspective

Partie 1 // Modération : Déborah Laks (CNRS/CRAL)

  • Lydie Delahaye (U. Paris 1 Panthéon-Sorbonne, EAS), Pédagogie de la perception. L’art comme exploration sensorielle chez Laszlo Moholy-Nagy et Lygia Clark
  • Delphine Paul (U. Tours/U. Paris 1 Panthéon-Sorbonne), Une « École du Corps » dans les années 70 : quelques exemples d’ateliers de performances

Discussion

Pause

Partie 2 // Modération : Clélia Barbut (Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis)

  • Hélène Gheysens (historienne de l’art et docteure en art contemporain), Lygia Clark et Lea Lublin : Enseignement et révolution psychanalytique rue Saint-Charles, 1968-1988
  • Maíra Gerstner (U. Saõ Paulo, envisioconférence), Apprendre à désapprendre : autour des propositions de Lygia Clark

Discussion & pot de clôture

Résumés des communications et bio-bibliographies des intervenant·e·s

Romane Lamisse (Sorbonne Université), Une artiste chamane : les défis éthiques de l’enseignement de Lygia Clark à l’Université Panthéon Sorbonne (1972-1976)

Cette intervention examinerait l’hybridité du rôle de Lygia Clark en tant que professeure à l’Université Paris Panthéon-Sorbonne de 1972 à 1976, et les enjeux éthiques qui en découlent. Au cours de ces quatre années, Clark développe une méthode artistique qui combine l’enseignement et la thérapie, visant à libérer la créativité de ses étudiants des normes conventionnelles. À travers des séminaires pratiques et collaboratifs où ils manipulent des rebuts collectés dans la rue, elle encourage une exploration active de la communication corporelle et des sens. L’artiste se contenterait d’observer ses étudiants devenir acteurs du processus créatif, inversant la dynamique traditionnelle professeur-élève. Dans le même temps, Lygia Clark utilise les expériences de ses élèves comme matières premières pour son œuvre, à leur insu, biaisant alors la relation pédagogique qui fonctionne normalement sur le don et non sur l’emploi.

Ses « propositions sensorielles et relationnelles » évoluent progressivement en rituels qui exposent les étudiants à des vulnérabilités sans un cadre thérapeutique approprié. Dans ce cadre, les étudiants adoptent des rôles d’officiants ou d’initiés, tandis que Clark se positionne comme chamane. Le phénomène de fascination, involontaire, qu’elle exerce sur ses étudiants renforce cette asymétrie, complexifiant davantage la dynamique de pouvoir dans son enseignement. Dès lors, son enseignement soulève des défis éthiques, en raison de l’ambiguïté de sa méthode et de son impact sur les étudiants.

Bio-bibliographie :

Romane Lamisse est diplômée du deuxième cycle de l’École du Louvre et du Master d’histoire de l’art de la Sorbonne Université (Paris IV). Ses recherches ont d’abord porté sur les années parisiennes de Lygia Clark (1968-1976), puis sur la place des performances traitant du genre à la Biennale de Paris (1972-1982). Elle prépare les concours de la conservation à la Sorbonne Université (Paris IV) et assiste la professeure Ming Tiampo, associée à l’Université Carleton d’Ottawa, dans son étude des circulations d’artistes originaires des territoires décolonisés à travers les capitales coloniales et artistiques de Londres et Paris.

Killian Rauline (École normale supérieure de Paris), Le corps noir dans le champ expérimental de Lygia Clark

Dans une longue lettre adressée à Helio Oiticica en novembre 1974, Lygia Clark annonce une de ses maximes appelée à devenir célèbre : « c’est la fantasmatique du corps qui m’intéresse, d’ailleurs, pas le corps en soi ». Une telle phrase semble irrémédiablement installer dans le travail de l’artiste une distance vis-à-vis du corps empirique, au profit de quelque chose de plus profond, situé « derrière la chose corporelle ». Plus loin dans la même lettre cependant, Lygia Clark tient à faire le récit d’une expérience menée dans le cadre de son cours à la Sorbonne. Un « Africain », qui selon elle se sentait rejeté au sein du groupe, se retrouve au centre d’une série de séances qui finissent par donner lieu à des prises de paroles « incroyables » selon l’artiste brésilienne. Plus encore, c’est la transformation subjective qu’il décrit et que Lygia Clark observe, qui prend la valeur d’une guérison. Cet « Africain » aurait ainsi retrouvé la « santé », donc le rapport créatif au monde qui s’y attache, et se serait finalement « intégré » au groupe.

Dans les années suivantes, l’artiste brésilienne est revenue plusieurs fois sur cet épisode, en accentuant chaque fois des facettes différentes, mais en lui conférant de façon constante une importance décisive dans l’ouverture d’un espace singulier (de « frontière ») entre l’art et la thérapie. Nous souhaiterions donc revenir sur cette expérience, en insistant sur la place qu’elle joue dans la trajectoire de Lygia Clark, mais en tentant également de retrouver l’expérience vécue de ce corps au sein du champ expérimental ouvert par l’artiste. S’aperçoit ici en effet, une scène à la fois inaugurale et jusqu’ici délaissée, décisive pour la compréhension du lien entre le corps empirique et sa fantasmatique, ainsi que de la nature et des conditions auxquelles peut se constituer un Corps collectif.

Les photographies prises lors des cours de Lygia Clark montrent par ailleurs que ce corps noir n’était pas tout à fait exceptionnel dans cet espace. Il semble alors possible d’ouvrir une réflexion qui mesurerait la pratique de Lygia Clark à la question du racisme.

Bio-bibliographie :

Killian Rauline est agrégé d’histoire et doctorant à l’Ecole normale supérieure. Ses recherches portent sur les trajectoires d’exil d’artistes et de critiques brésiliens pendant la dictature militaire qui a dominé le pays entre les années 1960 et 1980. A ce titre, il a participé au programme de recherche de la Bibliothèque Kandinsky, America latina no oficial, qui vise à repenser l’histoire et l’historiographie des circulations artistiques entre la France et les différents pays latino-américains au cours du long XXème siècle.

Marlon Miguel (Bauhaus-Universität Weimar), « Preuve du réel » : situations relationnelles entre l’art et la clinique

Contrairement à une certaine lecture de l’œuvre de Lygia Clark qui postulerait une rupture radicale entre un moment « artistique » et un autre « clinique », cette présentation propose de démontrer qu’au contraire, l’art, la clinique et la relation ont toujours été centraux dans sa démarche. Un exemple frappant de cette continuité est Pedra e ar, le premier objet sensoriel conçu par Clark, qui a ensuite donné naissance aux objets relationnels. Cet objet a été développé à la suite à un accident de voiture et à une fracture dont elle a souffert. Dès lors, sa recherche sur les objets s’est caractérisée par une relation intime entre le corps, l’objet et le processus de guérison. En suivant cette ligne, cette présentation propose également d’analyser la compilation des cas cliniques de Clark, notamment lorsqu’elle est retournée de France au Brésil et qu’elle a développé sa pratique de la structuration du self. Clark a ainsi continué d’explorer la manière dont les objets relationnels servaient de médiateurs entre le corps et l’esprit, intégrant sa démarche artistique dans un cadre thérapeutique et révélant l’interconnexion profonde entre ses explorations plastiques et ses préoccupations cliniques. Enfin, cette compilation de ses cas cliniques montre à quel point la transmission a toujours été une préoccupation centrale pour Lygia Clark, un aspect déjà manifeste dans l’importance qu’elle accordait à l’enseignement de l’art.

Bio-bibliographie :

Marlon Miguel est co-cordinateur du projet « Madness, Media, Milieus: Reconfiguring the Humanities in Postwar Europe », à la Bauhaus-Universität Weimar. Il est titulaire d’un double doctorat en arts plastiques (Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis) et en philosophie (Université fédérale de Rio de Janeiro), centré sur l’œuvre de Fernand Deligny. Ses recherches actuelles portent sur l’intersection entre la philosophie contemporaine, l’art, l’anthropologie et la psychiatrie. Il pratique également le cirque contemporain et fait de la recherche pratique sur le mouvement. Parmi ses publications récentes figurent la coédition de Fernand Deligny. Camérer. A propos d’images (L’Arachnéen, 2021), ainsi que les essais « La clinique de Nise da Silveira. Au croisement de la psychanalyse, de la psychothérapie institutionnelle et des révolutions psychiatriques » (dans Psychanalyse du reste du monde. Géo-histoire d’une subversion, sous la direction de Livio Boni et Sophie Mendelsohn (2023)) et « Representing the World, Weathering Its End : Arthur Bispo do Rosário’s Ecology of the Ship », republié dans Afterall, n° 54, 2024.

Chiara Palermo (U. Paris 1 Panthéon-Sorbonne, EAS), La « portance » comme expérience inter-corporelle. Penser le soin dans l’œuvre de Lygia Clark

Quand je marche, je me

dissous dans le collectif

Lygia Clark[1]

Dès la fin des années 60, L. Clark conçoit des objets autour desquels s’articulent des corps, formant une architecture vivante, dans laquelle l’homme, à travers son expression gestuelle, construit un système biologique et symbolique en mouvement. Entre 1970 et 1975, elle dirige un séminaire sur le fantasmatique du corps au centre Saint-Charles de l’université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, dans lequel elle propose de considérer la dimension symbolique du corps par des exercices collectifs qui poursuivent son exploration du psychisme, tels que Túnel, Canibalismo, Baba antropofágica (« Nounou anthropophage »). Notre exposé souhaite étudier ces propositions de L. Clark et sa définition de l’expérience thérapeutique du corps, au prisme de la notion de « portance ». Élaborée dans le contexte récent de réflexion sur la psychanalyse et inspirée par Merleau-Ponty, cette notion indique une relation de réciprocité entre le soignant et le soigné (entre celui qui porte et ce qui est porté) et leur devenir réciproque. Il s’agit ici, sous l’angle merleau-pontien du vécu temporel du mouvement, de souligner combien agir et éprouver sont intrinsèquement liés dans l’expérience vécue, pour donner naissance à « un geste qui fait sens », un sens en train de se faire, un geste qui est figure instable, perpétuellement renouvelée par le mouvement corporel, sans s’y réduire. Notre hypothèse est double :  l’artiste, en proposant de considérer la notion de soin, souhaite nous indiquer les processus de subjectivation qu’elle implique. ; ces processus peuvent nous donner un retour un cadre théorique permettant de ressaisir autrement l’idée de maladie. Elle peut être appréhendée comme une occasion d’entraîner la pensée dans un processus de défamiliarisation. Le soin exige un « devenir autre » du soigné que le soignant accompagne en laissant advenir l’élan de sa métamorphose. L’art peut alors émouvoir, réparer, enseigner si ce n’est un paradigme, du moins une figure du soin en suscitant un sentiment de solidarité qui étend la sphère d’un « nous » antiuniversaliste.

À ce titre, le schéma de la portance devient un chemin pour interpréter l’œuvre de Lygia Clark, dans son caractère collectif, et en saisir les implications éthiques.

Bio-bibliographie :

CHIARA PALERMO est Maîtresse de conférences en esthétique à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, directrice de programme au Collège International de philosophie de Paris, elle a collaboré à de nombreux évènements culturels en Italie et en France, pour le Centre Georges Pompidou et la Galerie-Librairie « des femmes – Antoinette Fouque » à Paris. Elle a récemment consacré sa réflexion à l’œuvre de Kader Attia et au mouvement italien de l’Arte Povera. Son travail s’intéresse à la dimension éthique et politique de notre expérience corporelle. Elle a codirigé avec Christine Leroy Pesanteur et Portance. Une éthique de la gravité, (Hermann, 2022), et elle a dirigé Arte Povera, Monument, contre-monument, histoire (Mimesis 2023). En préparation un recueil consacré à l’héritage de Merleau-Ponty Sentir, Agir (Mimesis 2025).

Lydie Delahaye (U. Paris 1 Panthéon-Sorbonne, EAS), Pédagogie de la perception. L’art comme exploration sensorielle chez Laszlo Moholy-Nagy et Lygia Clark

Depuis le début du XXe siècle, avec la fondation du Bauhaus, l’art et la pédagogie ont tissé des liens étroits qui ont profondément transformé à la fois la création artistique et les méthodes d’enseignement. En tant que maître au Bauhaus et fondateur du New Bauhaus à Chicago, Laszlo Moholy-Nagy a proposé une approche pédagogique radicale, encourageant l’exploration des nouvelles technologies pour développer une compréhension intuitive du monde moderne. Ses enseignements proposaient des approches pédagogiques innovantes, centrées sur l’interdisciplinarité, l’expérimentation sensorielle et l’intégration de nouveaux médiums dans la pratique artistique. Il voyait dans l’art un moyen de repenser la place de l’humain dans une société en mutation rapide.

Cette méthode a eu une influence durable sur les avant-gardes du milieu du XXe siècle, en particulier sur les néo-avant-gardes des années 1950 et 1960. Des institutions telles que le Black Mountain College aux États-Unis, ainsi que des courants comme le néo-concrétisme au Brésil, ont poursuivi cette dynamique en repensant le rôle de l’art dans l’éducation, en l’envisageant comme un vecteur de transformation sociale et individuelle. Ainsi, dans le travail de Lygia Clark, la perception sensorielle est au cœur de la démarche artistique, transformant le spectateur en acteur engagé. À travers des œuvres telles que les « Bichos » et les « Objets relationnels », elle invite le public à une exploration tactile et interactive, favorisant une expérience immersive qui encourage l’introspection et la réflexion sur les relations humaines.

Cette communication souhaite explorer les convergences et les spécificités des approches pédagogiques de László Moholy-Nagy et de Lygia Clark, deux figures majeures de l’art qui ont réinventé les rapports entre art, apprentissage et expérimentation sensorielle. Bien que leurs contextes et parcours soient distincts, ils partagent une vision commune de l’art comme outil de transformation personnelle et sociale, ainsi qu’un engagement dans la dimension pédagogique de la pratique artistique. Il s’agira par ailleurs de montrer en quelle mesure le travail de Lygia Clark a transformé les protocoles établis de l’avant-garde en introduisant une dimension affective.

Bio-bibliographie :

Lydie Delahaye est maîtresse de conférences à l’École des arts de la Sorbonne (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne). Diplômée de l’École nationale des Beaux-arts de Paris, elle est l’auteure d’une thèse sur les films sur l’art comme forme de pensée cinématographique des œuvres – Filmer l’art. Enjeu critique, esthétique et historique de l’art filmé. Ses recherches actuelles portent sur les conditions culturelles des structures de vision et plus généralement sur les relations entre science, technique et esthétique. Elle prépare actuellement un ouvrage collectif intitulé Visions Kaléidoscopiques à paraître aux Presses du réel.

Delphine Paul (U. Tours/U. Paris 1 Panthéon-Sorbonne), Une « École du Corps » dans les années 70 : quelques exemples d’ateliers de performances

Au travers du récit de quelques expériences d’ateliers, il s’agira de comprendre comment l’enseignement de la performance opère un renouveau des pratiques pédagogiques de l’enseignement de l’art dans les années 70. En prenant les chemins de traverse de l’enseignement traditionnel et académique fondé sur la transmission des savoir-faire, les expériences menées par Lygia Clark artiste enseignante au sein de la faculté d’Arts Plastiques et Sciences de l’Art au Centre Saint-Charles à partir de 1972, Gina Pane à l’École des Beaux-arts du Mans à partir de 1975, et au centre Pompidou de 1978-79 ou encore Michel Journiac (la Sorbonne, aux Beaux-Arts de Versailles puis de Nancy) apparaissent comme inaugurant une pédagogie moins hiérarchisée entre le maître et l’élève, résolument active et expérimentale. La participation et l’engagement du corps des élèves, la place donnée à l’altérité et la recherche d’un espace commun sont autant de traits d’union vers le développement d’une pédagogie dont le projet émancipatoire est incontestable.

Bio-bibliographie :

Depuis 2024, Delphine Paul est directrice de l’École des beaux-arts de Nîmes. Elle a travaillé dans plusieurs écoles d’art (École nationale supérieure de la photographie d’Arles et ENSA Paris-Cergy en France) et pour le ministère de la Culture, en tant que conseillère pour les arts visuels (DRAC Bourgogne-Franche-Comté, France). Elle a également enseigné à l’Université Paris 8, donné des conférences dans des écoles d’art et des universités (histoire de l’art, art contemporain, écosystème de l’art, etc.). Au cours de sa formation en histoire de l’art (Master, Université Bordeaux Montaigne) et en politiques culturelles (Université Paris Dauphine), ses domaines de recherche se sont concentrés sur l’art contemporain africain et les valeurs artistiques et économiques de l’art. Elle poursuit actuellement un doctorat en histoire de l’art à l’Université de Tours et Paris I portant sur les figures et représentations de l’artiste-pédagogue depuis les années 1970.

Hélène Gheysens (historienne de l’art et docteure en art contemporain), Lygia Clark et Lea Lublin : Enseignement et révolution psychanalytique rue Saint-Charles, 1968-1988

Trois ans après le décès de Lygia Clark, Lea Lublin témoigne de leur amitié au cours d’un entretien pour un catalogue d’exposition : voisines à la Cité des arts à Paris au cours des années 1968 et 1969, les deux artistes sud-américaines partagent le projet de fusionner l’art et la vie. Durant la décennie suivante, elles se succèdent comme enseignantes au Centre Saint Charles. Cette « Unité d’Enseignement et de Recherche » d’arts plastiques et sciences de l’art, rattachée à l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, a été créé sous l’impulsion de Bernard Teyssèdre afin de prolonger l’esprit de Mai 68, et de former des artistes qui refusent la distinction entre théorie et pratique dans l’objectif de faire évoluer la société. Lieu d’expérience autant que d’enseignement, le Centre Saint Charles permet aux artistes d’infléchir leurs pratiques à la faveur de leurs échanges avec les étudiants. Pour Lygia Clark, comme pour Lea Lublin, la psychanalyse y prend une place essentielle venant questionner la nature de leur art, le phénomène de l’influence, ainsi que les rapports sociaux.

Bio-bibliographie :

HÉLÈNE GHEYSENS est historienne de l’art et docteure en art contemporain. Elle s’intéresse aux relations entre art et conscience, ainsi qu’aux interactions de la création avec l’espace social. En 2023- 2024, elle est intervenue au sein de Lacan, l’exposition au Centre Pompidou-Metz et a organisé l’exposition Lea Lublin, Arte será vida à la galerie Michel Journiac au cours de laquelle est intervenue Nil Yalter. En 2022, elle a organisé le colloque In-Between, Alina Szapocznikow et Louise Bourgeois, désormais accessible en ligne. En 2019, elle a été co-curatrice à l’Institut national d’histoire de l’art de l’exposition AntipsychiARTrie, relations entre art et antipsychiatrie depuis 1960. Elle a par ailleurs co-dirigé l’ouvrage Amis, 120 ans avec le Musée national d’art moderne, publié par les éditions du Centre Pompidou en 2023 et fondé un dispositif d’accompagnement des chercheurs auprès du Musée national d’art moderne – Centre Pompidou.

Maíra Gerstner (U. Saõ Paulo, en visioconférence), Apprendre à désapprendre : autour des propositions de Lygia Clark

Cette communication a pour but de réfléchir sur l’héritage de Lygia Clark, surtout sur son passage par la Sorbonne (Saint Charles) pendant les années 1970. C’est important de noter que l’artiste ne faisait pas de différences entre ses approches pédagogiques et sa pratique artistique. Du coup, c’était avec les élèves qu’elle a développé plusieurs propositions collectives. Pourraient-elles être refaites ailleurs ? Comment on doit lire ce genre d’événement artistique ? Quelle serait l’actualité de sa pensée ?

Pour bien poser ces questions, et d’autres aussi, on verra des échos dans ce que l’artiste et pédagogue uruguayen Luis Camnitzer appelle l’enseignement de l’art en tant que fraude. Pour finir, on fera un rapport entre les provocations de Camnitzer et les dernières recherches d’Isabelle Ginot (Université Paris 8, Danse) sur comment nommer les savoirs artistiques qui viennent de la sensation.

Biographie :

Maíra Gerstner est doctorante en Arts de la Scène à l’Université de São Paulo, avec séjour de recherche à l’Université Paris 8 (2023). Dans les dernières années, elle développe un travail en tant qu’artiste-pédagogue-thérapeute, inspiré par l’héritage de Lygia Clark.

[1] Eduardo Clark, O Mundo de Lygia Clark, 24 min · 1972 (France) film documentaire réalisé par le fils de l’artiste, avec la création musicale de Nana Vasconcelos.

 

 

 

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