Appel à publication pour le numéro 78 (2016/1) de la revue Histoire de l’Art
Les jeunes chercheurs intéressés sont invités à envoyer un synopsis d’une page avant le 15 février 2016 avec un titre et une présentation de l’auteur en 2-3 lignes à l’adresse mail suivante : revueredachistoiredelart@gmail.com. Une première sélection sera effectuée par le comité de rédaction qui invitera les contributeurs potentiels à remettre leur article courant mars. Un choix définitif sera fait alors.
Collage ?
Pour son numéro 78, la revue Histoire de l’Art souhaite revenir sur le collage afin de susciter de nouvelles études interrogeant l’histoire et l’historiographie de ce phénomène, la multiplicité de ses définitions et approches, les moyens concrets de ses mises en œuvre, ses usages et ses fonctions, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours et dans les cultures occidentales comme non occidentales.
Dans l’écriture de l’histoire de l’art moderne, le Museum of modern Art de New York a joué un rôle fondamental, en instaurant sous Alfred Barr une classification des avant-gardes avec l’exposition « Cubism and Abstract Art » (1936) puis en mettant en évidence des catégories, des genres artistiques emblématiques de la modernité tels que le collage, en 1948, avec l’exposition éponyme de Margaret Miller, et l’assemblage, en 1961, avec « The Art of Assemblage »[1] organisée par William C. Seitz. Le processus d’historicisation du collage est alors en marche, il est amplifié dans les années 1950 avec notamment les numéros spéciaux des revues Art d’Aujourd’hui et XXeme siècle, pour aboutir dans les années 1960 aux premiers ouvrages de référence, celui de Rudi Blesh et Harriet Janis[2] en 1967, celui de Herta Wescher[3] en 1968, puis, plus récemment, à l’ouvrage de Florian Rodari, Le Collage. Papiers collés, papiers déchirés, papiers découpés[4] (1988) ou de Brandon Taylor, Collage – The Making of Modern Art[5] (2004). Ces deux derniers auteurs s’en tiennent essentiellement à une définition « paperistique » (Picasso) du collage, là où leurs prédécesseurs ménageaient une ouverture sur l’assemblage (Herta Wescher élargit la notion de collage à ce qu’elle appelle des « Materialbild[er] »), et sur l’environnement ou le happening comme le font Rudi Besh et Harriet Janis. On assiste en fait à ce moment-là à un élargissement de la notion de collage à toute œuvre recourant à des matériaux réels, recoupant ainsi la préoccupation des années 1960 d’un rapprochement de l’art et de la vie, mais dans le champ des arts plastiques.
Cette remise en question de la définition stricte du collage n’est toutefois pas la seule à avoir été formulée. Très tôt, dès les Surréalistes, la dimension technique du collage est relativisée : ainsi Aragon suggère que « l’emploi de la colle [n’est] qu’une caractéristique de cette opération, et même pas une caractéristique essentielle » (« La peinture au défi », 1930) et Max Ernst déclare, non sans humour, « si ce sont les plumes qui font le plumage, ce n’est pas la colle qui fait le collage » (1937). Ce qui est alors mis en évidence, c’est le principe du collage (en particulier la rupture avec l’idée de continuum spatio-temporel) qui peut présider à la création aussi bien dans le champ de la peinture, de la photographie, de la littérature, de la musique, du film, que de l’architecture. C’est d’ailleurs ce que se sont efforcés d’étudier, parmi d’autres, la Revue d’Esthétique[6] en 1978, le catalogue de l’exposition Prinzip Collage à Stuttgart en 1982, l’ouvrage Le Collage. D’un art à l’autre de Jean-Yves Bosseur en 2010. Et qui pourrait être étendu à d’autres domaines encore, tels que la sculpture, les arts décoratifs et le design ou encore la mode.
Ces deux acceptions élargies du collage comportent néanmoins un double risque : d’une part que « tout devienne collage », d’autre part que l’on ne parvienne pas à distinguer le collage de deux autres notions proches : l’assemblage et le montage. Ce double risque, la Revue d’Esthétique l’avait déjà en son temps bien mesuré, proposant pour y remédier une définition ad minima : « La technique du collage consiste à prélever un certain nombre d’éléments dans des œuvres, des objets, des messages existants, et à les intégrer dans une création nouvelle pour produire une totalité originale où se manifestent des ruptures de types divers. » En faisant du prélèvement, de l’intégration et de la rupture les trois dénominateurs communs du collage, les membres du groupe Mu, auteurs de l’introduction qui ouvre le numéro, ont mis l’accent sur des aspects essentiels du phénomène, que celui-ci soit considéré du point de vue de la chaîne opératoire, du geste, de la matérialité, de la technique, des effets, etc.
Si cette définition nous semble jeter des bases solides pour toute enquête sur le collage, nous ne souhaitons aucunement l’instituer en cadre normatif à partir duquel penser systématiquement le collage. Il est probable que des cas complexes, nouvellement étudiés, imposent de revoir les limites de cette définition. Mais ce n’est pas tout : au moment où le montage s’impose comme un réel paradigme critique, il serait peut-être nécessaire de distinguer davantage que ne l’a fait le groupe Mu le collage du montage[7] ? Là encore, une meilleure définition des spécificités du collage pourrait être d’un grand secours. Les propositions théoriques et historiographiques permettraient, pour cette raison, de relancer le débat, d’autant que le collage a donné lieu à des « points de vue critiques[8] » très divers, comme en témoigne l’anthologie constituée par Katherine Hoffman : de l’approche formaliste mise en place par Clement Greenberg dans « The Pasted-Paper Revolution » (1958) à la position de Kim Levin consistant à voir dans le collage les « gênes » du post-modernisme, le collage « ayant toujours contenu de l’information qui pointait au-delà du modernisme » et étant, « en tant que construction d’essence technique […] un argument contre la pureté, la nouveauté et le progrès illimité – ces idéaux optimistes du modernisme »[9], le discours critique est pluriel, à l’image même du collage.
Force est de constater que l’historiographie tend à se concentrer sur la période contemporaine, prenant bien souvent comme point de départ l’année 1912 et l’« invention » moderne du collage par Picasso. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous souhaitons aussi rouvrir le dossier, car, comme cela a souvent été relevé mais finalement rarement affronté et véritablement exploré, bien des formes de collage (que ce soit en tant que principe, manière de faire ou technique) préexistent au xxe siècle.
Il suffit de songer, pour l’Antiquité, aux phénomènes de variations par juxtaposition de motifs dont la combinaison produit des images dotées d’un sens nouveau : ainsi la statue en bronze du Tireur d’épine (Spinario) a une tête impassible aux traits archaïsants collée sur un corps au modelé souple qui se rattache à une autre tradition, pour la période médiévale, aux spolia collés sur les façades d’édifices religieux (San Marco), ou encore, à l’époque moderne, à Greco raboutant diverses gravures pour produire certaines de ses figures et compositions, Georg Vischer citant l’autoportrait de Dürer dans un tableau-collage où se trouve également Titien pour peindre une scène de la vie du Christ, Pietro Testa superposant divers fragments antiques pour composer une allégorie, les nombreux collectionneurs anonymes qui découpent et collent des enluminures, des dessins ou des gravures dans des albums prenant parfois la forme de véritables œuvres, Victor Hugo faisant se rencontrer feuilles découpées et lavis d’encre afin de jouer de toute l’étrangeté des écarts de matière, Ingres essayant, dans son laboratoire graphique, mille combinaisons pour élaborer son Martyre de saint Symphorien, le dramaturge Hans Christian Andersen collant sur un paravent une myriade de photographies et transformant le monde réel en monde imaginaire…
Dans la suite de cette ouverture chronologique, nous souhaitons aussi poser la question du collage au regard des cultures non-occidentales (le collage étant une pratique particulièrement répandue au Japon, mais aussi en Inde dans l’art des miniatures mogholes) et sur le plan anthropologique – l’usage du collage se retrouvant dans les arts populaires et dans des pratiques ordinaires auxquelles les artistes du xxe siècle ont d’ailleurs été particulièrement attentifs.
D’ailleurs, aujourd’hui encore, le collage reste une pratique populaire et ludique dont témoignent nombre d’ouvrages et de site web donnant au lecteur des recettes pour réaliser par eux-mêmes des collages – indice d’une pratique qui ne nécessite pas une maîtrise des matériaux et des techniques en usage dans les beaux-arts et qu’il conviendrait de reconsidérer à l’aune d’une approche matérielle[10]. Rencontre entre la main et la matière, le collage donne en effet à voir, peut-être plus que tout autre médium, ce dont il est fait et comment il est fait : ce sont alors les matériaux, les gestes et les outils qu’il conviendrait d’étudier, non pas tant pour en dresser l’inventaire que pour comprendre en quoi ils affectent le sens et l’interprétation même des œuvres.
Le recours au collage n’est en effet pas anodin : il peut être propice à une élémentarisation des propriétés plastiques – couleur, ligne, forme, matériau – ou à une exploration de la polysensorialité qui lui est inhérente, en tant qu’objet qui tout à la fois se voit et se lit, s’écoute et se touche ; par l’association d’images et de textes d’actualité, il colle à son temps, ce qui le rend particulièrement pertinent pour porter un message d’ordre social ou politique ; ou au contraire, il peut viser à libérer l’œuvre des chaînes de la raison en inventant un autre monde, quand il ne cristallise pas en lui toute la mémoire du monde, tant le collage est souvent lié à des comportements compulsifs relevant de la collecte. Etc. serait-on tenté d’écrire.
Ce numéro sera coordonné par Isabelle Ewig, maître de conférences en Histoire de l’art contemporain à l’université Paris-Sorbonne et par Jérémie Koering, chargé de recherche au CNRS.
[1] Voir Stéphanie Jamet et Françoise Levaillant (dir.), L’Art de l’assemblage. Relectures, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011.
[2] Rudi Blesh et Harriet Janis, Collage. Personnalities, Concepts, Techniques, Philadelphie, New York, London, Chilton Book Company, 1967.
[3] Herta Wescher, Die Collage. Geschichte eines künstlerisches Ausdrucksmittels, Cologne, DuMont, 1968.
[4] Florian Rodari, Le Collage. Papiers collés, papiers déchirés, papiers découpés, Genève, Éditions d’Art Albert Skira, 1988.
[5] Brandon Taylor, Collage – The Making of Modern Art, Londres, Thames & Hudson, 2004 (trad. fr. : Collage. L’invention des avant-gardes, Paris, Hazan, 2005)
[6] Les collages, Revue d’Esthétique, n°3/4, 1978, Paris, Christian Bourgeois, coll. « 10/18 », 1978.
[7] Ce dernier occupe, aujourd’hui, une place critique prépondérante et il conviendrait de mieux déterminer le périmêtre du collage à son égard, en se servant notamment des enquêtes de Careri, Didi-Huberman, ou Somaini.
[8] Katherine Hoffman, Collage. Critical Views, Ann Arbor London, UMI Resaerch Press, 1989. Voir aussi Flavio Fergonzi, « Episodes in the Critical Debate on Collage, from Apollinaire to Greenberg », dans Collage/Collages from Cubism to New Dada, cat. expo., Turin, Galleri Civica d’Arte Moderna e Contemporanea, 2007.
[9] Kim Levin, « Foreword », dans Katherine Hoffman, op. cit.
[10] On remarquera au passage que le suffixe –age, qui est formateur de substantifs d’action désignant souvent des processus de fabrication et de transformation, caractérise le collage (tout comme d’ailleurs les notions voisines d’assemblage et de montage).
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