Depuis 1900, plus de cinq cents chansons ont mis en scène Paris comme sujet ou comme motif, comme personne ou lieu d’inspiration, de rêve, de complainte ou d’amour. Et cela n’est rien à côté du nombre de titres simplement créés, joués ou enregistrés à Paris, qui connurent le succès sur la scène parisienne ou qui inspirèrent un spectacle ou un film. Quelques mois après l’ouverture du Musée de la Société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de Musique (S.A.C.E.M.) fondée en 1851, il était légitime de consacrer un symposium de la Mairie du 11e à la chanson parisienne, en envisageant l’aventure qui conduit ses créateurs et interprètes de l’opérette et du chant de rue au titre pop rock présent dans tous les esprits. Avec Offenbach, Vian, Bruant, Barbara, Gainsbourg, Fréhel, Ferré, Piaf, Gréco, Trenet, Simon, Brassens, Daho, Fontaine, MC Solaar, Dassin, Daniel Darc etc., Paris transforme sans cesse l’intelligence populaire en standards de notre culture vivante, écrivant les pages d’un classicisme inattendu.
Sous la direction de Valentin COMBE et Christophe HENRY
Sur proposition de Martine DEBIEUVRE :
Programme PDF : Programme PDF ici
Programme
9h00 Accueil des participants et présentation par Christophe Henry
9h30 Introduction par Valentin Combe (Étudiant à l’EHESS)
PremiÈre session / « PARIS JADIS » OU LES PAYSAGES FANTÔMES
Modération : Sébastien Chauffour (Centre des archives diplomatiques de la Courneuve)
10h Lola San MartÍn Arbide (PhD, Université de Salamanque – Post-doctorante à l’EHESS / CRAL)
« Pierre Mac Orlan (1882-1970), la chanson des rues et la nostalgie du paysage sonore parisien »
Georges Brassens déclara un jour que Pierre Mac Orlan avait « donné des souvenirs à ceux qui n’en avaient pas ». Les chansons écrites par ce parolier constituèrent, en effet, le portrait d’une génération. Né en 1882, Mac Orlan finit par devenir le porte-parole de ceux qui ont connu la Belle Époque et, bien qu’il n’ait jamais publié d’autobiographie, ses Mémoires en chansons (1963) en proposent une esquisse. Cette publication suit ses Chansons pour accordéon (1953) dans lesquelles Mac Orlan non seulement revisite les lieux de sa jeunesse, mais les utilise pour créer une cartographie sentimentale de la chanson populaire. Cette communication explorera ces recueils de chansons populaires et les relations qu’elles nouèrent avec les cercles littéraires des scènes de Montmartre et de Saint-Germain-des-Prés, jetant ainsi un pont entre les études littéraires et les travaux récents en géographie culturelle et musicologie urbaine. Il s’agira également de prendre en compte la dimension subjective de Mac Orlan avec les paysages de sa vie pour tenir compte du « tournant affectif » (affective turn) des sciences humaines. Ce faisant, nous bénéficions d’un grand nombre de nouvelles sources favorables à une reconsidération du rôle de Mac Orlan dans la chanson française et à une lecture musicale de sa carrière littéraire.
10h35 Audrey Coudevylle-Vue (Maître de conférences, Langue et littérature françaises, UPHF)
« Fréhel (1891-1951) : les Fortifs, la Zone et les Apaches. Imaginaire d’un Paris Belle Époque populaire et fantasmé »
Il ne semble exister qu’un seul sous-genre en chanson qui puisse se targuer d’avoir par essence, pour sujet ou motif, Paris : la chanson réaliste. Fixée officiellement par Aristide Bruant sur les scènes des cabarets montmartrois, il participe à son essor sous le Second Empire. L’artiste oriente son œuvre dans la description des bas-fonds parisiens et donne à entendre la voix pittoresque de sa faune : les Apaches et les filles perdues. Rapidement, ses chansons deviennent l’apanage d’interprètes féminines (Eugénie Buffet, Yvette Guilbert). Le genre se popularise, recentre son sujet autour des amours malheureuses et des filles de joie, pour atteindre son acmé dans les années trente. Ses meilleures représentantes sont Damia, Marie Dubas, Berthe Sylva, Yvonne George, Édith Piaf et bien sûr Fréhel (1891-1951). Elle inscrit son répertoire dans la continuité de celui de Bruant et chante les faubourgs parisiens et son peuple de la marge : les prostituées, les marlous, les petits poulbots, les cousettes, les miséreux de la « zone ». Elle-même gosse du pavé de Courbevoie, sa trajectoire intime chaotique se mêle à celle des personnages qu’elle incarne en chansons, mais elle célèbre aussi un Paris populaire et festif où il fait bon courir au bal danser la java au son de l’accordéon. Néanmoins, ce Paris qu’elle convoque est un Paris obsolète, mythifié, celui du temps de Bruant, un univers populaire d’avant la Première guerre mondiale, qui, de fait, n’existe plus. Sacrée « Reine Apache » par son public au cours de l’entre-deux-guerres, elle incarne à la fois une figure d’anamnèse, en ramenant à la mémoire un Paris Belle Époque, et une figure d’immuabilité, puisque garante d’un passé disparu magnifié avec nostalgie.
11h15 Pause
DeuxiÈme session / LES ESPACES DU VAGUE À L’ÂME
Modération : Christophe Henry (Académie de Lille)
11h30 Marie Goupil-Lucas-Fontaine (Doctorante en Histoire, Université Paris-1 Panthéon Sorbonne)
« À la rue, à la scène : les voix du pavé à Paris, de la Belle Époque à l’Entre-deux-guerres »
La rue parisienne apparaît depuis l’Ancien Régime comme une véritable scène, peut-être la première de toutes – où se produisent les musiciens, ainsi que comme un espace de diffusion et de médiation du son et de l’imprimé musical. Cette scène ordinaire qui perdure tant bien que mal encore aujourd’hui a cependant connu une rupture majeure à la fin du XIXe siècle. Alors que la chanson s’impose comme l’une des branches principales d’une industrie du spectacle de masse, la multiplication des salles de café-concert et l’émergence de grandes salles de music-hall remettent en cause la présence des musiciens dans la rue, de moins en moins tolérés par les autorités, mais aussi par le public. Le répertoire pratiqué par les chanteurs de rue, constitué jusqu’alors de timbres aux origines obscures, tend à être « domestiqué » et adapté à une écoute en salle. Pourtant, la pratique de la musique et plus particulièrement de la chanson de rue résiste jusque dans les années 1950. Jamais peut-être autant qu’à cette période, la figure du chanteur ou de la chanteuse de cour n’a été si populaire. Cette communication se propose d’aborder la « rue » parisienne comme espace de pratique de la chanson à une période, les années 1880 à 1940, où les musiciens et chanteurs de rue sont invités à se replier de plus en plus vers les salles de spectacle. Il s’agira de préciser la géographie mouvante de cette « rue chantante » et de comprendre comment cet espace disparaît finalement dans l’Entre-deux-guerres au profit de salles plus conventionnelles, en observant l’évolution du répertoire de la chanson de rue que certains artistes sont parvenus à promouvoir à la scène et la façon dont la mise en scène permet à la rue d’entrer dans les théâtres par le décor et le jeu des interprètes.
12h05 Cécile PrÉvost-Thomas (Maître de conférences, Sociologie et Médiation de la musique, Université Sorbonne Nouvelle)
« De la Bastille au Bataclan : 100 ans de chansons pour le 11e arrondissement »
Attentive aux nombreux liens esthétiques, culturels et politiques que se tissent et se consolident entre chansons et territoires à travers mes recherches en histoire sociale et sociologie de la chanson francophone depuis plus de vingt ans, le projet de recentrer ma focale d’observation sur le territoire du 11e arrondissement parisien dans le cadre de ce Symposium m’offre la possibilité de mesurer à quel point, au moins depuis cent ans, la chanson est, à partir de l’engagement artistique de ses auteurs, compositeurs et interprètes, de leurs œuvres et de leurs publics mais aussi des lieux qui lui sont dédiés, bel et bien le reflet de notre société, de ses conflits sociaux et de ses passions intimes, de ses drames collectifs et de ses espoirs communs.
12h45 Levée des débats de la matinée
TroisiÈme session / L’APRÈS-GUERRE ET LE MAL DU PAYS
Modération : Lætitia Pierre (Istituto Marangoni / Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
14h10 Fabien Coletti (Lecteur d’échange à l’Alma Mater Studiorum – Università di Bologna)
« Le mythe de la rive gauche dans la chanson d’auteur italienne des années 1960 »
À la fin des années 1950, la chanson italienne se complaît dans des formules usées, sanctifiées par le festival annuel de Sanremo. Un groupe de jeunes gens – appelés plus tard les cantautori – fait exploser ce statu quo en important le jazz et le rock américain. C’est toutefois l’exemple français qui les guide bientôt, en leur fournissant un modèle de chanson qui permette une enquête plus fine sur la vie amoureuse et les constrictions sociales de leur génération. L’exemple d’un Paris existentialiste devient alors un mythe : ainsi le bolonais Francesco Guccini use de la comparaison entre Paris et Bologne pour légitimer culturellement la vie nocturne de cette dernière, tandis que le livournais Piero Ciampi fréquente les milieux parisiens au point de conserver, une fois rentré en Italie, son surnom de Piero Litaliano comme nom de scène. Notre intervention cherchera d’abord à montrer de quelle manière la figure du chansonnier parisien devient un modèle pour la génération de chanteurs qui débute dans les années Soixante. Mais, plus révélateur, nous verrons ensuite quelle est l’image de la capitale française qui est transmise au public italien, dans des années où les révoltes étudiantes éclatent de part et d’autre des Alpes.
14h45 Hortense Raynal (Étudiante à l’École Normale Supérieure, Paris)
« “Paris mon Paris, au revoir et merci” : Barbara, une esthétique de la fuite »
Cette communication s’attachera tout particulièrement à la chanson « Gare de Lyon » de Barbara, sortie en 1964 dans l’album Barbara chante Barbara. Tout en ne perdant pas de vue l’œuvre entière, en constatant que la chanteuse a chanté d’autres villes, Göttingen, Nantes, Marienbad, Vienne, et en faisant des détours chez Brel et Brassens, il s’agira donc de resserrer la focale sur une seule chanson afin de repérer un mouvement plus général : la fuite. La grande dame brune, être de fugue aux trajectoires dérobées, n’y cherche qu’une chose ici : fuir Paris. La capitale comme lieu à quitter, à éviter, voilà l’objet de notre étude qui prend à rebours la mythification de Paris en chanson, bien ancrée depuis l’époque de la chanson réaliste qui débute fin XIXe. Pour paraphraser l’artiste contemporaine Camille, tu paries Paris que Barbara te quitte ? (Paris, album Le sac des filles, 2002)
15h20 Pause
QuatriÈme session / PANAME, UN OBJET THÉORIQUE
Modération : Cécilie Champy-Vinas (Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris)
15h35 Lætitia Pierre (Enseignante à l’Istituto Marangoni et à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne) et Christophe Henry (Professeur des classes préparatoires aux grandes écoles)
« De Gainsbourg à Bashung : une chanson transtextuelle ? »
« La chanson n’est qu’un art mineur ». Le 26 décembre 1986, l’altercation entre Serge Gainsbourg et Guy Béart sur le plateau d’Apostrophes ne lasse pas d’étonner amateurs de chanson française et critiques. Avec ce débat houleux, toute une génération s’initie à la construction délicate d’un statut d’exception pour un art commercial, dont les principes de légitimation esthétique demeurent tributaires de la tradition poétique. Comment dépasser ce dilemme en plein cœur de la société de consommation, en un temps où les « princes des villes » filent en limousines dans une « nuit de vinyle » ? Peut-être en relativisant et l’intentionnalité du texte et la rythmique sensible de la musique au profit d’une poétique des correspondances. De L’homme à tête de chou de Serge Gainsbourg (1976) à Fantaisie militaire d’Alain Bashung (1998), deux albums et leur dialogue autour de « Variations sur Marilou » créé par Gainsbourg et repris par Bashung explorent la supériorité de l’évocation sur le culte de l’interprétation, nous donnant l’occasion d’explorer en chanson la théorie de la transtextualité de Gérard Genette.
16h10 Stéphane Hirschi (Professeur, Langue et littérature françaises, UPHF)
« Comment écrire un livre sur Paris et ses chansons ? »
On a beaucoup chanté Paris. Wikipédia en propose même une liste chronologique fournie, jusqu’à aujourd’hui. Mais en tirer un itinéraire, quartier par quartier, associant les chansons à des lieux parisiens précis, et non à la ville en général, puis l’organiser au travers de l’évocation de 46 chanteurs et chanteuses emblématiques, relève de la quadrature des boucles de la Seine.
C’est donc la double histoire d’une écriture et de découvertes merveilleuses qui sera ici déclinée : le jeu des échos entre des paroles, des refrains, et aussi l’imaginaire de chanteurs, de la place Dalida au Père-Lachaise où se cultive le souvenir de Piaf ; mais aussi ces places, squares, jardins, nouvellement baptisés et qui suggèrent la rencontre à Paris des ballades et des balades, du square Alain-Bashung au Parc Georges-Brassens, ou de l’allée Barbara au square Léo-Ferré. Et bien sûr ces rues honorées par Dassin, Lemarque, Chevalier ou Lama : rue Duvivier, de Ménilmontant, de Lappe ou Champs-Élysées. Ces airs transfigurent l’imaginaire parisien, à l’instar de « La Dernière Séance » : Eddy Mitchell y chante « J’allais rue des Solitaires », et nous donne à rêver un cow-boy rude et solitaire… L’itinéraire de ce Paris enchanté s’attachera à éclairer ces rencontres magiques.
16h45 Pause
ConfÉrence – Concert de clÔture
17h00 Pascal Pistone (Maître de conférences en Musique, Université Bordeaux Montaigne, pianiste, auteur-compositeur-interprète) et Delphine Lavergne (multi-instrumentiste : accordéon, flûte, clarinette)
Spectacle musical dessiné par Marius Buet (École nationale supérieure des beaux-arts de Paris)
17h45 Débat de clôture
DATE : Mercredi 26 juin 2019
LIEU : Mairie du 11e – Salle des Fêtes – Place Léon-Blum 75011 PARIS – Métro Voltaire
Collection des 12 symposiums d’histoire de l’art (2015-2019)
Artistes des Lumières (2015-1)
Chefs-d’œuvre des artistes et maîtres artisans du XVIIIe siècle (2015-2)
https://grham.hypotheses.org/189
Si Paris m’était conté (2016-1)
https://calenda.org/355738?file=1
Plaisirs parisiens du vice et de la vertu (2016-2)
https://calenda.org/371269?file=1
Le sacré dans la ville (2016-3)
https://calenda.org/393992?file=1
Triomphe de l’art républicain (2017-1)
L’invention de la bohème (2017-2)
https://grham.hypotheses.org/4884
L’aigle, le coq et la colombe. Grands décors de l’Église et de l’État 1801-1905 (2018-1) https://twitter.com/ED441_Histo_art/status/963836782143000576
La statuaire parisienne au XIXe siècle : histoire d’une renaissance artistique (2018-2)
Des arts culinaires ! Manger à Paris de l’Antiquité à nos jours (2018-3)
La Mode parisienne. Trois siècles d’art majeur 1715-2019 (2019-1)
https://www.fabula.org/actualites/la-mode-parisienne-trois-siecles-d-art-majeur-1715-2019_89504.php
À venir en 2019-2020
De l’opérette au pop rock. Paris, ville de la chanson populaire (26 juin 2019)
L’opéra parisien (1669-2019). Du théâtre à la synthèse des arts (23 octobre 2019)
Belle Époque ! Arts, littérature et sexualité au temps de Marcel Proust et d’André Gide (26 février 2020)
Paris 1969-1974. Cinquantenaire d’une révolution artistique et culturelle (24 juin 2020)
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