Appel à articles : “L’architecture et la lettre : dits et récits d’espaces” – Numéro 5 de la revue transversale [histoire : architecture, paysage, urbain]
De quoi parlent-ils lorsqu’ils parlent d’architecture ? Poètes, écrivains, cinéastes, architectes, urbanistes et paysagistes ? Sans doute leur commun est-il l’orchestration de l’espace, et ainsi, “puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être l’organisateur1”. Mais inscrire l’espace dans un récit, c’est déjà l’attacher à des temporalités et l’on sait, comme l’écrit Ricoeur, que : “l’architecture serait à l’espace ce que le récit est au temps, à savoir une opération ‘configurante’ ; un parallélisme entre d’une part construire, donc édifier dans l’espace, et d’autre part raconter, mettre en intrigue dans le temps2.”
Pour son 5e numéro, transversale a choisi d’emprunter la voie littéraire et de lancer un appel à contribution sur deux axes.
– “dans” l’architecture, l’urbain, le paysage, les environnements : le site comme narration de l’interne à l’architecture ;
– “sur” l’architecture, l’urbain, le paysage, les environnements : le récit externe à l’architecture pour observer, débattre, affronter, analyser.
Le premier axe examine les analogies potentielles entre l’imprimé de la création littéraire et l’architecture ainsi “littérarisée”. De l’architecture, l’agencement des mots présente un parti, défend une posture, accompagne peut-être un projet. Et si de nombreux architectes ont informé la conception et la construction à l’attention des professionnels et des étudiants3, les tentations analogiques plus profondes entre architecture et littérature sont nombreuses4, comme en témoignent les registres employés pour décrire quelques modes opératoires : “grammaire de l’architecture” ; “imprimante 3D”… Ainsi, la dépendance de la signification des signes à la structure saussurienne du langage, renverrait à la corrélation entre structure, enveloppe et second oeuvre. Sur le papier, dessin et écriture sont animés par une analogue “mécanique des fluides5” selon Julien Gracq, ou selon Henry Van de Velde par une force “dont l’énergie [vient] de celui qui l’a tracée6”. La narration peut se faire cinématographique : la découverte des hameaux du Mirail, de Fontaine et de Reynerie par une jeune équipe d’architectes, inspire à ces derniers l’écriture d’une histoire7. Dire le génie du lieu, n’est-ce pas être le spectateur et le lecteur de l’action du temps, non seulement sur la condition mais sur les constructions humaines ? John Ruskin prédit un délabrement futur où une destinée commune relierait ses deux passions : « Il n’y a que deux grands conquérants de l’oubli des hommes, la Poésie et l’Architecture8 ». Au-delà du XIXe siècle, ces réflexions sur la ruine se prolongent à travers l’évocation des politiques destructrices du patrimoine ordinaire, du rapprochement explicite entre la ruine et l’état du monde9 et de la capacité de résilience et de création10.
Le second axe interroge les récits sur l’architecture et les récits d’architectes, combinant des savoirs et une écriture événementielle ou médiatique (entretien, documentaire, blog ou plateforme de débat). Ces récits sont-ils nécessaires pour tenter de percevoir l’intégrité des terrains constitués ou leur obsolescence, ou pour « faire de l’histoire » comme l’écrivaient Pierre Nora et Jacques Le Goff11 ? Etablir un autre dialogue que celui dicté par la « tyrannie de la mémoire12 », serait-ce aussi construire cette fiction d’architecture imaginée par Jorge-Luis Borges et Italo Calvino… ou instaurer l’ambiguïté d’un geste, comme insinué par Claude Parent et Paul Virilio : inclination ou inclinaison13 ? Vitruve nous informe de la fiabilité de l’histoire : “Je me sens infiniment redevable aux auteurs qui ont recueilli les pensées ingénieuses des hommes de talent de toutes les époques et nous ont procuré, chacun dans sa partie, une ample moisson. C’est là que, puisant comme à une source féconde des idées que nous approprions à notre travail, nous nous sentons pleins d’abondance et de facilité pour écrire14”. Et d’architectes le plus souvent, de nombreux récits témoignent de cette saisie architecturale de l’espace par le temps. Les ouvrages didactiques de Viollet-le-Duc, publiés chez l’éditeur de jeunesse Hetzel, sont- ils des des romans ou des ouvrages de médiation15, des traités d’histoire ou des manuels d’architecture ? L’ouvrage de Fernand Pouillon, Les pierres sauvages (1964), celui de Pierre Riboulet, Naissance d’un hôpital (1989) sont-ils des voyages intérieurs dans l’espace du projet ? Ou dans celui du métier ? On pourrait multiplier les exemples de cette littérature et des débats animés16 sur l’architecture des édifices, des villes et du paysage, de la conception et de la construction17.
Ce nouvel appel à articles de transversale invite, au canevas de ses deux axes de réflexion, à une littérature inédite, susceptible de projeter des lumières sur les architectures des villes et des paysages de tous lieux et de toutes époques, qui, aujourd’hui délitées par des crises politiques, dévastées par les conflits guerriers, standardisées par «l’horreur économique18», saisies d’obsolescence par le changement climatique, n’en restent pas moins des sources de rêves pour l’avenir et de savoirs pour une histoire culturelle et sociale.
La rédaction de transversale
Proposition d’articles (1500 signes) à adresser avant le 12 juillet 2020 à : gilles.a.langlois@bbox.fr Après sélection une semaine plus tard, articles et illustration à adresser avant le 1er octobre 2020 à la même adresse.
Charte éditoriale jointe
transversale – histoire : architecture, urbain, paysage
Revue annuelle à comité de lecture fondée en 2016 à l’ensap de Bordeaux + UMR Passages Depuis 2018, coéditée ensap de Bordeaux – UMR passages et ensa de Paris Val-de-Seine – Evcau Rubriques : textes (dossier thématique) / chemins / matériaux de la recherche / varia
N°1, décembre 2016 : « l’école et sa pédagogie au XXe siècle »
N°2, décembre 2017 : « Histoire de l’enseignement de l’architecture et du paysage à Bordeaux » N°3, décembre 2018 : “Interventions sur l’existant : théories et stratégies architecturales »
N°4, décembre 2019 : “Construire une nouvelle histoire de l’architecture ?”
1 COCTEAU, Jean, Les Mariés de la Tour Eiffel, Paris : Gallimard, 1924 (1921).
2 RICOEUR, Paul, « Architecture et narrativité », in Urbanisme, n°303, novembre-décembre 1998, p 44-51, http://www.fondsricoeur.fr/uploads/medias/articles_pr/architectureetnarrativite2.pdf
3 En témoigne par exemple, l’initiative du CERCC (ENS de Lyon), qui ouvre en 2016 un parcours « Ecriture et Architecture » avec l’ENSA de Saint- Etienne, sous la direction d’Eric Dayre et Evelyne Chalaye.
4 Les colloques initiés par Pierre Hyppolite et Antoine Leygonie à la Société française des architectes et à Cerisy-la-Salle entre 2004 et 2009, ont convoqué de nombreux spécialistes à réfléchir, sur la contribution de la littérature à la pensée architecturale.5 GRACQ, Julien, En lisant en écrivant, Paris : José Corti, 1980, p. 42.
6 VAN DE VELDE, Henry, “Prinzipielle Erklärungen”, in Kunstgewerbliche Laienpredigten, 1902, p. 189 (trad. G.-A. Langlois), https://archive.org/details/gri_33125012868853/page/n14/mode/2up
7 Histoire relatée par la voix de Georges Candilis et la main d’Alexander Josic dans le film Toulouse le Mirail (1962), https://www.dailymotion.com/video/xn4t4q
8 RUSKIN, John, Les Sept lampes de l’architecture. Paris, Presses d’aujourd’hui, 1980, p. 187. LAVENUE, Mathilde, « Architecture et oubli, le souvenir chez John Ruskin », Kairos, n°2, 2020 : http://revues-msh.uca.fr/kairos/index.php?id=284
9 GUARNIERI, Franck et TRAVADEL, Sébastien (contrib.), Un récit de Fukushima, le directeur parle, Paris : PUF, 2018 ; AL-SABOUNI, Marwa, Dans les ruines de Homs, journal d’une architecte syrienne, Marseille : Parenthèses, 2018.
10 Un colloque de la SFA “La ruine et le geste architectural” s’attache en 2007 à démontrer que “c’est à partir de la ruine que le geste architectural peut se (re)définir, se (re)composer et se (re)constituer”, https://sfarchi.org/la-ruine-et-le-geste-architectural/
11 LE GOFF, Jacques et NORA, Pierre (dir.), Faire de l’histoire, Paris : Gallimard, 1974.
12 Selon la formule de Pierre Nora dans un entretien avec Emmanuelle Duverger et Robert Ménard paru dans La Revue-Médias en ligne, n° 17, juin 2008, http://www.revue-medias.com/La-tyrannie-de-la-memoire,384.html
13 PARENT, Claude et VIRILIO, Paul, Architecture principe 1 la fonction oblique, Paris : Imprimerie Dermont, 1966.14 VITRUVE, De Arquitectura, Introduction au livre VII.
15 Histoire d’une maison (1873) ; Histoire d’une Forteresse (1874) ; Histoire d’un Hôtel de Ville et d’une Cathédrale (1878).
16 Littérature prolongée et débattue par la radio, notamment dans l’émission Métropolitains de François Chaslin de 1999 à 2012.
17 Voir par exemple CHABARD, Pierre et KOURNIATI, Marilena, Raisons d’écrire – Livres d’architectes (1945-1999), Paris, Editions du Linteau, 2013. A l’échelle du paysage, voir par exemple BAILLY, Jean-Christophe, Le dépaysement, voyages en France, Paris, Editions du Seuil, 2011. 18 FORRESTER, Viviane, L’horreur économique, Paris : Fayard, 1996.
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