Appel à communications : « Espaces à saisir : Interstices et communs urbains. La ville à l’épreuve de l’interdisciplinarité » (Tours, 10-11 décembre 2020)

Appel à communications : « Espaces à saisir : Interstices et communs urbains. La ville à l’épreuve de l’interdisciplinarité » (Tours, 10-11 décembre 2020)

Colloque des 10 et 11 décembre 2020  – Université de Tours

Dans le cadre de l’axe « villes et études urbaines » de la Maison des sciences de l’Homme Val-de-Loire, un groupe de chercheurs relevant de différentes disciplines et de plusieurs laboratoires organise un  colloque  international intitulé  « Espaces  à  saisir :  Interstices et communs urbains ». Le but de ce colloque consiste à échanger sur les méthodes et les cadres théoriques dont les différentes disciplines de sciences humaines et sociales disposent pour étudier ces espaces. Le colloque, qui se déroulera à Tours les 10 et 11 décembre 2020, fera une large place à la présentation des communications sélectionnées, dans le cadre de sessions thématiques. Il sera introduit et conclu par des conférences plénières (la liste des conférenciers est encore incertaine).

Introduction

Toutes les villes, depuis leur origine, comprennent des lieux ambigus, à la fonction ou au statut incertains ; des lieux qui brouillent et questionnent les limites instituées, interrogent la distinction public/privé, le rapport centre/périphérie. L’étude de la « fabrique » de la ville se focalise sur les processus de production formelle, orchestrés par les pouvoirs publics. Elle s’intéresse peu aux espaces interstitiels, périphériques, délaissés, disqualifiés, en attente d’assignation et aux processus d’appropriation collective dont ils peuvent être l’objet. Ces lieux méritent pourtant notre attention. Qu’ils soient vides ou occupés, bâtis ou non, ces lieux sont convoités, menacés, occupés…. Ils peuvent (re)devenir communs ou cesser de l’être. Espaces à prendre, ils sont donc aussi à saisir intellectuellement. Car ces lieux participent depuis toujours à la transformation des villes et invitent à porter sur elles un regard attentif aux dynamiques informelles, aux régulations qui procèdent de l’usage, mais aussi à des processus d’institutionnalisation qui échappent à l’Etat. Ils sont aussi une voie heuristique pour confronter les regards disciplinaires relatifs à la ville : approches historique, sociologique, géographique, juridique, littéraire, philosophique…

•    Axe : « Interstices urbains, l’entre-deux de la ville »

Au sens littéral du mot, l’interstice renvoie à l’entre-deux ou à l’entre-plusieurs, comme le rappellent Zwischenraum en allemand et in-between en anglais, sans oublier le fait que, dans certaines langues comme le turc, il n’existe aucun équivalent de ce terme. Historiquement, le mot français interstice désigne d’abord un intervalle entre deux vertèbres, puis un laps de temps,  et  ce  n’est  qu’au  XIXe  siècle,  période  d’urbanisation  accélérée  dans  le  monde occidental, qu’il prend le sens spatial plus générique de « se trouver entre », illustré par des mots comme « niche, terrain vague, dent creuse, friche, angle mort, zone, interface », etc. Formalisé par la propriété et le statut juridique attribué à l’espace, l’interstice, sans préjuger a priori de son échelle, peut être ainsi considéré comme une fissure dans la norme et n’être saisi que par les pratiques sociales, imprévues au  regard des règles en vigueur, qui s’y déploient.

Ainsi, le terme interstice ne constitue-t-il pas un concept défini et balisé par la recherche mais plutôt une notion-valise qu’il peut s’avérer fructueux de mobiliser dans des contextes différents. Employée dans les recherches urbaines, la notion intéresse plusieurs disciplines : histoire, archéologie, histoire de l’art, géographie, sociologie, anthropologie, urbanisme et aménagement, etc.,  et  ce  pour  différentes  raisons  qui  varient  selon  les  terrains  et  les périodes historiques examinés. Ainsi, l’objectif de cet axe du colloque est-il moins d’aboutir à une définition du terme, voire de lui fixer un objet, que d’inviter les disciplines à échanger sur leurs approches, leurs objets et leurs méthodes autour des trois thématiques suivantes.

Spatialités et temporalités. Si le point d’entrée est d’ordre spatial, l’interstice se caractérise d’abord par son caractère d’incertitude : incertitude de la qualification due à des usages imprévus, qui peut être durable, mais qui reste le plus souvent éphémère, intermittente. Au sens spatial, toujours, il s’agit de lieux abandonnés, délaissés, perçus comme sans qualités – sinon disqualifiés –, peu visibles, à l’écart ou non, plus ou moins aménagés, des lieux fixes ou de passage mais, dans l’ensemble, peu stabilisés. L’interstice ne possède pas seulement une histoire, mais aussi des temporalités liées à des pratiques changeantes ou à ses modalités de (non-)intégration dans l’espace urbain. Certains espaces peuvent ainsi sortir de la catégorie d’interstice, d’autres peuvent y rentrer, ce qui nécessite d’en saisir l’évolution dans le temps, en fonction des contextes sociaux, historiques et culturels particuliers. En ce sens, l’interstice peut revêtir une dimension hétérotopique capable d’induire une temporalité hétérochronique.

Usages, fonctions, appropriations. Se soustrayant à l’ordre urbain, l’interstice se prête à des appropriations et à des détournements (squat, campement, lieux de résistance ou de protection, etc.), à des usages ordinaires (« chemins de chèvre »), à des pratiques discrètes, voire clandestines ou illégales (trafics, amours, refuges politique ou religieux, etc.). Si l’aménagement urbain peut produire des interstices, les usages imprévus de ces recoins peuvent contrecarrer la gestion urbaine des flux, de la sécurité, du contrôle, etc. À l’inverse, dans des configurations spatiales a priori conçues sans interstices (de type grand ensemble), les pratiques reconfigurent certains espaces comme des micro-interstices. De même, sas et espaces limitrophes au logement peuvent être considérés comme des espaces-tampons susceptibles d’être appropriés et transformés. Les espaces interstitiels peuvent être subis et contraints ou, au contraire, faire l’objet d’appropriations créatrices, qu’elles soient sociales ou artistiques ; ils constituent ainsi des ressources spatiales pour les citadins, sujettes elles- mêmes aux rapports de force (en termes sociaux, de genre, etc.) et pouvant donner lieu à des conflits. Du fait de la nature quasi invisible et silencieuse, souvent discontinue, des interstices, ce qui s’y déroule participe de la fabrication urbaine, même si ces derniers sont menacés et objet de convoitises. En ce sens, l’interstice, qu’il se trouve en centre-ville ou à la périphérie, est indissociablement lié à la problématique de la marge spatiale et sociale. Cependant, alors que l’interstice est défini par des usages, des fonctions ou des appropriations, la périphérie, dans ses différentes configurations historiques, entretient un rapport spatial empruntant à plusieurs espaces, un peu au centre, un peu à ceux qui sont au- delà d’elle-même. Le passage de l’un à l’autre peut être soit très formalisé (défini par des critères précis – une muraille en architecture urbaine) soit au contraire très subtil, soumis à l’accumulation insensible de signes, comme c’est le cas du passage de la campagne à la ville dans les sociétés occidentales. Auquel cas, la périphérie peut alors sinon nous apparaître comme un interstice spatial entre ville et campagne, du moins favoriser l’existence d’interstices polymorphes qui échappent à la détermination spatiale.

 Appropriations politiques des interstices. L’interstice semble ainsi échapper à la rationalité de l’organisation de l’espace et à la norme dominante. On pourrait même poser l’hypothèse que  l’absence d’interstice serait  totalisante, voire totalitaire.  Objet d’appropriations aux intérêts divergents, l’interstice peut en effet susciter l’intervention des pouvoirs politiques et économiques  visant  à  en  rétablir  le  contrôle,  à  en  redéfinir  les  fonctions,  voire  à  le supprimer. L’appropriation de l’interstice par la gestion urbaine, dont les logiques et finalités évoluent dans le temps et selon les contextes locaux, procède ainsi, à l’aide de dispositifs techniques destinés à mieux les maîtriser, à transformer les interstices en espaces aux fonctions normées, les sortant alors de leur catégorie interstitielle. Pour leur part, ceux et celles qui créent des interstices peuvent résister ou s’ajuster à ces mises à la norme, selon des formes de mobilisation qu’il sera intéressant d’interroger.

Les communications pourront s’inscrire dans l’une ou l’autre de ces trois entrées ou leur être transversales.

Si les interstices urbains peuvent apparaître comme des « creux », à l’inverse les communs urbains semblent davantage figurer des « pleins ».

•    Axe « Communs : le collectif dans la ville » :

La notion de « communs » est attestée depuis l’Antiquité et constitue un thème d’étude pour les historiens des sociétés anciennes – notamment sous ses aspects juridiques ou économiques. Elle fait actuellement l’objet de débats au sein des disciplines qui s’en sont emparées (principalement, l’économie, le droit, les sciences de l’environnement, la philosophie) et hors du monde académique. La frontière entre les deux sphères est d’ailleurs poreuse, les chercheurs qui s’intéressent au sujet pratiquant souvent une science engagée. On peut trouver chez Benjamin Coriat une définition générique du terme, qui s’accorde aux objectifs de ce colloque : « ressource en accès partagé, gouvernée par des règles émanant largement de la communauté des usagers elle-même, et visant à garantir, à travers le temps, l’intégrité  et  la  qualité  de  la  ressource »  (Coriat,  in  Cornu  et  al.,  2018).  Les  communs touchent ainsi autant à l’idéal qu’au quotidien des sociétés civiles. Les efforts de définition du  mot  se  réfèrent souvent  à  des enjeux d’action  (ainsi  la  commission  Rodonta, qui  a cherché à instituer une troisième catégorie de bien – ni privé, ni public).

 Appliquée à l’urbain, l’idée de communs est peu séparable de la critique de la ville néolibérale. Elle a notamment été investie par des mouvements sociaux et par la géographie critique,  aux  États-Unis  dans  un  premier  temps.  Ce  colloque,  sans  ignorer  ces  débats, voudrait  les  élargir  en  croisant  les  différentes  disciplines  intéressées  par  la  notion  de commun urbain. En s’ouvrant à des versants inexplorés de la question, il vise à déplier cette thématique  de  façon  à  créer  autant  d’ouvertures  que  possible :  nouvelles  approches, nouveaux terrains, nouvelles interrogations…. L’optique interdisciplinaire adoptée par le colloque vise également à enrichir le dialogue et stimuler la réflexion autour de ces enjeux.

La visée consiste aussi à produire des conclusions communes, sur sept axes privilégiés, mais non exclusifs d’autres propositions :

Les  lieux  des communs :  quels sont  les  lieux urbains  investis  comme des communs ou caractérisés  comme  tels ?  Depuis  quand  le  sont-ils ?  Comment  et  pourquoi  des  lieux deviennent-ils communs ? Comment et pourquoi cessent-ils de l’être ?

Les  collectifs  d’usagers :  les  communs  urbains  sont  toujours  créés  et  attachés  à  des collectifs. Comment ces collectifs se construisent-ils ? Sur quelles durées ? Comment les décrire et les caractériser ? Quelles évolutions connaissent-ils ?

Les règles génératrices de communs : les communs existent au travers de « règles pratiques élaborées collectivement » selon Pierre Dardot et Christian Laval. Quelles sont les règles susceptibles d’organiser des communs urbains, voire de les instituer ? Comment sont-elles construites   et   mises   en   pratique ?   La   copropriété,   propriété   collective   née   d’une « communauté d’intérêt »  (Chaigneau, in Cornu et al., 2017), régime très répandu (environ 40 % des logements en Europe en relèvent) peut-elle en être le socle ? Au-delà de cet exemple  il  s’agit  de  se  demander  si  les  règles  génératrices de  communs  procèdent  de « l’activation sociale du droit », selon la formule de Jacques Commaille (2015) ou si elles naissent de l’inscription dans l’espace de pratiques partagées.

Les ressources mises en commun : quelles sont précisément les éléments, les ressources que les communs urbains mettent en partage ? S’agit-il d’espaces ou d’objets et, dans ce cas comment  les  caractériser  (terrains,  bâtiments,  instruments)  ou  bien  des  usages,  des pratiques (services municipaux, lieux culturels, etc.). Perçoit-on des évolutions ?

Lart et le commun : comment l’art représente-t-il et s’approprie-t-il les communs ? Se pose la question de l’occupation de lieux abandonnés par des collectifs d’artistes (projet Berlin Art Bang, squat d’artistes de Tacheles à Berlin, Les Frigos ou 59 Rivoli à Paris…) ou des collectifs de spécialistes de l’évènementiel (Soukmachines, Collectif MU…). Celle de l’appropriation de ces espaces par les grapheurs se pose également, appropriations la plupart du temps sauvages, mais néanmoins codées. De même, le street art et le graffiti sont des gestes graphiques dissidents qui marquent l’appropriation des communs urbains par l’individu, du mobilier urbain aux murs de la ville. Cette perspective recoupe celles déployées dans l’axe « interstices ».

 Les propositions de communication ou de poster pourront être fondées sur des recherches empiriques ou sur des réflexions spéculatives. Elles pourront prendre une forme monographique et se référer à un ou plusieurs champs disciplinaires.

Les  auteurs  sont  invités  à  expliquer  précisément  leur  démarche :  leur  méthode,  leurs sources, leur cadre théorique.

 Les propositions de communications compteront 3000 signes au plus (espaces compris), et seront assorties d’une courte bibliographie et déposées directement sur le site web du colloque via la rubrique « Inscription ». Elles seront rédigées en français ou en anglais.

 

Date limite d’envoi des propositions 15 juin 2020.

 Ce colloque donnera lieu à la publication d’actes.

 Site web du colloque : https://espacesasaisir.sciencesconf.org/

COMITÉ D’ORGANISATION/CONSEIL SCIENTIFIQUE

Comité d’organisation :

  • Raphaële Bertho (historienne de l’art, université de Tours)
  • Didier Boisseuil (historien, CeTHiS)
  • Romeo Carabelli (géographe, Citères, équipe Emam)
  • Christine Dupouy (chercheuse en littérature, ICD)
  • Gülçin Erdi (sociologue, Citères, équipes Cost et Emam)
  • Bénédicte Florin (géographe, Citères, équipe Emam)
  • Ulrike Krampl (historienne, CeTHiS)
  • Marie-Pierre Lefeuvre (sociologue, Citères, équipe Cost)
  • Christophe Morin (historien de l’art, Intru)
  •  Anna Perraudin (sociologue, Citères, équipes Cost et Emam)
  •  Margot Renard (historienne de l’art, Intru)
  •  Manuel Royo (archéologue et historien de l’art, CeTHiS)
  • José Serrano (chercheur en aménagement et urbanisme, Citères, équipe Date)

Conseil scientifique :

  • Sophie Allain (sociologue, chargée de recherche à l’INRA, Paris),
  • Isabelle Backouche (historienne, directrice d’études à l’EHESS, membre du CRH, Paris),
  • Pavlos-Marinos Delladetsimas ( professeur en économie à l’université d’Harakopio, Athènes).
  • Daniela Festa (juriste et géographe, Visiting Researcher au département sociologie de Columbia University)
  • Martina Löw (sociologue, professeure à l’université technique de Berlin)
  • Margit Mayer ( professeure de sciences politiques à la Freie Universität de Berlin )
  • Jean-Baptiste Minnaert (professeur d’histoire de l’art à Sorbonne Université, directeur du Centre André Chastel)
  • Stéphane Narath (professeur de science politique à la faculté de droit, des sciences criminelles et d’administration publique de Lausanne)
  • Walter Nicholls (sociologue, assistant professor au département [ http://uppp.soceco.uci.edu/ | Urban Planning and Public Policy ], University of California)
  • Susanne Rau (historienne, professeure à l’Université Erfurt, Allemagne) ,
  • Tom Slater (géographe, reader à l’université d’Edinburg),
  • Jean-Louis Tissier (géographe, professeur émérite à Sorbonne université)
  • Savas Zafer Sahin (politiste et spécialiste de sciences administratives, Atilim university, Turquie)

 

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