Appel à communication : « Architecture et Vêtement. Perspectives anthropologiques, de Semper à Rudofsky » (Paris, 2 février 2022)

Les architectes A. Stewart Walker déguisé en Fuller Building, Leonard Schultze en Waldorf-Astoria, Ely Jacques Kahn en Squibb Building, William Van Alen en Chrysler Building, Ralph Walker en no1 Wall Street, D. E. Ward en Metropolitan Tower et Joseph J. Freelander en Musée de la Ville de New York, au bal « Fête Moderne – a Fantasie in Flame and Silver » de la Society of Beaux-Arts Architects, organisé le 23 janvier 1931 à l’Hôtel Astor.

« Les commencements de l’architecture coïncident avec ceux du textile » affirme Gottfried Semper dans Der Stil (1860-1863) : les parois tissées de la tente, qui clôturent l’espace tout en l’habillant, seraient la première forme de l’habitat humain, et le « revêtement » (Bekleidung), le principe premier de l’architecture avant la construction. Loin de se limiter à une fonction de protection, de dissimulation ou même de décoration, le revêtement tel que le pense Semper fonde la similitude du vêtement et de l’architecture sur un commun besoin d’habiller et de « masquer », c’est-à-dire un désir de nier la réalité́ et la matérialité pour atteindre une nouvelle dimension d’existence, obéissant aux lois de la théâtralité et de la suggestion. Cette communauté de fonctions se vérifie selon lui par une origine étymologique commune, qui réunit les termes « Wand » (la cloison, le mur), et « Gewand » (le vêtement).

Bénéficiant depuis plusieurs décennies d’un vif regain d’intérêt dans le champ de la théorie de l’architecture et de l’ornement, ces thèses sempériennes sur une origine commune du vêtement et de l’architecture restent peu abordées dans l’historiographie de la mode et du vêtement. Cela alors qu’elles invitent par leur teneur même à un dialogue disciplinaire : nées dans la seconde moitié du XIXe siècle, où les croisements entre histoire de l’art et anthropologie ouvrent un champ de recherche inédit, la pensée de Semper situe l’étude de l’architecture et du vêtement dans le domaine commun d’une histoire de l’art élargie voire globale, réinterrogeant ses hiérarchies, ouverte à différents types de techniques et matériaux, autant qu’à de nouveaux horizons culturels. C’est ce chemin que souhaite emprunter la journée d’études « Architecture et Vêtement ».

La reprise, aujourd’hui, des réflexions de Semper sur les liens entre vêtement et architecture, appelle bien sûr à l’examen de leur contexte historiographique et théorique : ce second XIXe siècle, où les rapprochements entre textile et architecture ont acquis une importance inédite et où se multiplient des « grammaires ornementales », non moins interdisciplinaires et inventives d’un point de vue méthodologique. Dans le vaste champ d’investigation qui s’ouvre, les grammaires ornementales d’Owen Jones, Aloïs Riegl, Jules Bourgoin devront être examinées, car elles se mettent en quête des règles logiques d’une esthétique universelle, transversale à tous les médiums. Se fondant sur l’hypothèse d’une « volonté d’art » (Riegl), ou d’un « désir d’ornementation » (Jones) commun à tout le genre humain, elles abordent, de fait, aussi bien la question du tissage, des parures et du tatouage, que de l’ornement architectural, sans pour autant se pencher explicitement sur des problématiques vestimentaires, paradoxe qui reste à interroger. Mais ce n’est pas seulement du point de vue de l’ornement que les deux termes du vêtement et de l’architecture peuvent se lier : pour le philosophe de la technique Ernst Kapp, le vêtement est « une habitation portative », intuition analogique dont on retrouve des échos dans l’œuvre de Bernard Rudofsky, spécialiste de l’architecture vernaculaire et auteur de travaux novateurs sur la logique évolutive de l’habillement moderne, centré sur la question de l’ergonomie du vêtement (Are Clothes Modern ? An Essay on Contemporary Apparel, 1947).

Ce sont ces dialogues interdisciplinaires, de Semper à Rudofsky, réunissant vêtement et architecture dans la perspective d’une histoire de l’art anthropologique, dont cette journée d’études souhaite faire l’histoire et explorer les enjeux conceptuels.

Les axes de réflexions suivants sont envisagés, sans s’y restreindre :

– Ornement et décor

Quel rôle joue le vêtement dans les débats architecturaux sur l’ornement (et réciproquement) ? Comment la perspective de l’anthropologie influe-t-elle sur ces débats ? Comment les analogies ou rapports généalogiques entre vêtement et architecture permettent-ils de repenser l’ornementalité dans les deux domaines ?

– Revêtement

Comment penser le rapport entre vêtement et revêtement ? Qu’est-ce qu’une architecture vestimentaire ? Que devient le vêtement lorsqu’il se fait métaphore, dans les débats architecturaux ? Sous quelles conditions le concept de revêtement peut-il être mobilisé dans la théorie de la mode et du vêtement ?

– Espace

Quelles nouvelles pensées de l’espace émergent lorsque se rapprochent vêtement et architecture ? Comment le vêtement porté pourrait-il à son tour définir un espace ? Comment permet-il d’envisager de nouveaux rapports entre espace quantifiable, espace vécu et espace suggéré ?

– Enveloppe

Comment penser les rapports entre l’enveloppe individuelle de l’habit et l’enveloppe collective de l’architecture ? Quels différents rapports entre intérieur et extérieur de ces deux types d’enveloppes peuvent s’observer ? Comment les fonctions de séparation et de protection y varient-elles ?

– Habitat

Comment se lient habit, habitude, et habitat ? Que peuvent apporter les théories architecturales de « l’habiter » comme celle de Bachelard au vêtement ? Comment la question de l’habitabilité se décline-t-elle dans les domaines croisés du vêtement et de l’architecture ?

Cette journée d’études est ouverte à toutes les disciplines. Si l’angle historique privilégie les XIXe et XXe siècles, des propositions portant sur d’autres périodes peuvent bien sûr être soumises.

Elle se tiendra le 2 février 2022 in situ (sous réserve) au Campus Condorcet ou à distance, selon l’évolution des consignes sanitaires. Les propositions de communication devront comprendre un titre et un résumé (250 mots environ, en français ou en anglais), une brève bio-bibliographie et des informations de contact. Elles doivent être envoyées avant le 15 septembre 2021 à l’adresse suivante : sartoria.contact@gmail.com

Le comité d’organisation répondra aux propositions durant la première quinzaine d’octobre 2021. Une aide financière peut être proposée aux participants afin de couvrir les frais de voyage et d’hébergement dans la mesure du possible.

Comité d’organisation sous le comité scientifique du Campus Condorcet : Camille Napolitano (École pratique des hautes études ED-472, Histara EA-7347), et l’association Sartoria : Émilie Hammen (Institut Français de la Mode), Adrian Kammarti, Camille Kovalevsky, Khémaïs Ben Lakhdar Rezgui (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ED-441, HiCSA EA-4100, Institut Français de la Mode), Gabrielle Smith (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ED-441, HiCSA EA-4100, Institut Français de la Mode, École du Louvre).

Cette action est soutenue par le Campus Condorcet.

Source : https://sartoria.hypotheses.org/1411

 

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