Appel à communication : colloque international « L’impressionnisme à travers champs – Nouveaux regards interdisciplinaires » (Paris, 16-17 mai 2024)
Université Paris Nanterre/Musée d’Orsay
A l’occasion de l’exposition Paris 1874. L’instant impressionniste qui célèbrera au musée d’Orsay, puis à la National Gallery de Washington, les 150 ans de la première exposition impressionniste, et dans la continuité d’Impressionnisme(s) : nouveaux chantiers qui s’est tenu au musée en 2009, un colloque international et interdisciplinaire sera co-organisé au printemps 2024 par le musée d’Orsay et la Fondation de l’université Paris Nanterre, dans le cadre du programme de recherche sur l’impressionnisme de sa chaire Arts-Cultures-Patrimoines.
Fruit d’une longue collaboration entre une université associée aux débats des sciences humaines et sociales depuis les années 1970 et un musée qui place la recherche au cœur de ses missions, ce colloque postule que la recherche sur l’impressionnisme, qui s’est renouvelée à l’aune des travaux académiques récents, se met en œuvre tout particulièrement sur le terrain de l’exposition, réunissant ainsi « les deux histoires de l’art[1] ». Conçu comme un état des lieux de la recherche sur l’impressionnisme, son histoire et son historiographie, ce colloque vise à présenter évolutions passées, tendances actuelles et perspectives, selon une approche inter- et transdisciplinaire. De la question écologique au dialogue entre les arts, des analyses monographiques à l’intégration des humanités numériques, l’étude actuelle du mouvement prend la forme d’un véritable carrefour disciplinaire, où l’histoire de l’art est abordée à la croisée de multiples champs (histoire du climat, de la littérature ou de la musique, narratologie, etc.). Ce colloque, qui entend à la fois refléter et stimuler cette diversité de la recherche sur l’impressionnisme, pourrait s’organiser selon les axes suivants.
- L’écriture de l’histoire de l’impressionnisme/Historiographie de l’impressionnisme dans le champ des sciences humaines et sociales
Ces dernières années, aussi bien en France qu’à l’étranger, de nombreuses études ont été consacrées à la réception des impressionnistes par la critique, l’histoire et la théorie de l’art. Ces travaux, notamment favorisés par le développement des bibliothèques numériques – qui donnent accès à un nombre croissant de sources et impliquent de nouvelles pratiques de la recherche – ne témoignent pas seulement de l’affirmation de l’histoire de l’histoire de l’art en tant que champ d’étude autonome. Ils procèdent aussi d’un vaste tournant autoréflexif, qui amène les historiens de l’art à interroger les catégories forgées par leurs prédécesseurs et à questionner leurs approches.
Nous proposons ici de remonter le fil de cette historiographie afin d’examiner les définitions et redéfinitions du mouvement, ses remaniements et réappropriations, les réflexions sur sa physionomie individuelle ou collective, ainsi que les courants qui ont façonné puis éclairé l’histoire de l’impressionnisme depuis les premières études publiées par l’entourage des peintres, les essais fondateurs de Pierre Francastel[2] et John Rewald[3], jusqu’aux approches contemporaines. L’histoire sociale et culturelle, les études visuelles (Cultural et Visual Studies), l’anthropologie du regard et des images, l’histoire mondiale (Global Art History) ou bien encore les Gender Studies pourront faire l’objet de communications, sans que cette liste soit limitative.
Les propositions pourront emprunter à l’histoire des idées, à la sociologie, ou bien encore à l’analyse du discours pour éclairer l’apport de ces différents courants à l’historiographie du mouvement.
- L’impressionnisme à travers les arts
L’impressionnisme s’est construit dans un tissu d’interférences avec les autres arts, que nous proposons d’explorer sous différents points de vue : réflexion sur l’-isme et sa circulation entre peinture, littérature et critique ; étude des rapports entre impressionnisme, naturalisme et symbolisme ; dialogue des arts et intermédialité ; génétique des œuvres ; réseaux de sociabilités ; bibliothèques d’artistes, etc.
Quels liens d’amitié unissent les peintres impressionnistes à leurs contemporains, qu’ils soient sculpteurs, écrivains, ou musiciens ? Quelles sont les qualités « littéraires », « musicales » ou « cinématographiques » des tableaux impressionnistes ? Inversement, l’adjectif « impressionniste » peut-il qualifier d’autres manifestations artistiques contemporaines ? Peut-on parler d’un « impressionnisme » littéraire (poétique, théâtral, critique…), musical ou cinématographique ? Quelle est la nature du lien entre la « nouvelle peinture » et les autres grands mouvements culturels contemporains ?
Si cette question se pose de manière prégnante pendant le développement historique du mouvement, elle revient aujourd’hui en force, comme le montrent les nombreux dialogues entre peintres impressionnistes et les arts contemporains – de la peinture à la vidéo ou la danse – qu’organisent les musées français[4] ou l’usage largement répandu du terme « impressionniste » dans la critique. De la même manière, les résurgences d’une esthétique ou de motifs impressionnistes dans des formes d’expression artistique très diverses (peinture, installation, bandes dessinées ou jeux vidéo) pourront être interrogées.
Les interventions pourront prendre la forme de dialogues interdisciplinaires entre historiens de l’art, de la littérature, de la photographie ou du cinéma, ou bien encore avec des artistes contemporains.
- Ecologie, territoire, environnement
L’impressionnisme est contemporain de la Révolution industrielle et de l’avènement de l’écologie, en tant que « science des conditions d’existence[5] » et, déjà, prise de conscience environnementale. Aussi, l’émergence actuelle d’une « histoire environnementale de l’art » pose-t-elle de nombreuses questions à cette « nouvelle peinture », dont les paysages oscillent entre ville et campagne, monde industriel et monde naturel, nature sauvage et anthropique, site rural et « jardin planétaire », pour reprendre la formule du paysagiste Gilles Clément.
Les propositions pourront interroger le positionnement des artistes et de leurs œuvres dans le débat naissant de l’écologie : la peinture impressionniste relève-t-elle d’une « poétique de la pollution » ou d’une « vision écologique » ? Les paysages atmosphériques des impressionnistes, en entremêlant phénomènes météorologiques et pollution, traduisent-ils une simple fascination pour le monde industriel ou expriment-ils une première forme d’inquiétude environnementale ? Cette même ambivalence se retrouve dans le lien de l’artiste à son motif. Les paysages impressionnistes expriment différents rapports au monde, allant de la protection à l’appropriation, de la quête d’une nature préservée à la volonté de refaçonner le monde, d’une vision harmonieuse à une vision anthropocentrée du rapport de l’homme à la nature.
La pensée écologique questionne ainsi notre rapport à l’environnement, au territoire ou bien encore au vivant. Ces notions, souvent confondues avec celle de nature, s’avèrent pourtant très opérantes pour analyser la peinture de paysage impressionniste qui, réciproquement, pourra contribuer à penser une histoire longue de cette question environnementale, de ses prémices à son actualité la plus récente, par le choix des activistes défenseurs du climat de prendre pour cible des œuvres impressionnistes.
Ce sont ces problématiques que nous voudrions soulever, à travers notamment des dialogues entre historiens de l’art et historiens de l’environnement, du climat ou de la botanique, géographes, physiciens ou bien encore anthropologues.
- Identités plurielles
Les catégories de « genre », de « classe » ou de « race », auxquelles d’importants travaux ont été consacrés dans les années 1980/1990, sont revenues au centre des débats avec l’affirmation des études post-coloniales ou, plus récemment, l’émergence d’un mouvement en faveur d’une « histoire queer de l’art[6] ».
Ces questions d’identité, soulevées par les générations actuelles des historiens de l’impressionnisme, favorisent l’émergence de nouvelles interrogations : qu’est-ce que le « noir » (dans sa pluralité sémantique) introduit dans l’étude de la peinture « claire » ? Entre un Pissarro juif et anarchiste, un Sisley apatride et un Renoir antisémite, quelles tensions sociales, politiques et raciales traversent subrepticement l’histoire du mouvement ? Quels éclairages la question centrale des masculinités et des féminités jette-t-elle sur l’étude des portraits impressionnistes ? Qu’en est-il des âges de la vie dans l’art impressionniste ?
Il s’agit de comprendre ce que ces approches ont, et peuvent encore, apporté à la compréhension de l’impressionnisme, tant du point de vue des œuvres que des rapports de force se jouant à l’intérieur même du mouvement.
- Matérialité(s)
La révolution de l’art impressionniste a été rendue possible par le recours aux tubes de peinture ainsi qu’aux pigments de synthèse, également utilisés aussi dans différents domaines des arts décoratifs et industriels, du textile aux affiches. Elle peut aussi être rapprochée des théories de Fresnel sur la lumière, et des avancées de l’optique physiologique. Ces liens entre art, science et industrie propres à la période peuvent aussi être abordés sous l’angle d’une histoire matérielle de la peinture.
De nombreux tableaux impressionnistes ont fait l’objet de restauration et/ou d’étude matérielle approfondie ces dernières années. Les toiles passées aux rayons X ont fait apparaître des peintures sous-jacentes, l’étude des châssis et des revers apporte également des renseignements sur l’historique des œuvres et leur parcours, et celle des pigments réellement utilisés par les peintres remet en cause certaines idées reçues.
D’apparence immatérielle, la révolution numérique donne en réalité une nouvelle matérialité aux œuvres. Les numérisations en très haute définition ou les technologies de rayon qui traversent les couches de pigment influencent notre manière de regarder les toiles avec un jeu d’échelle qui n’est pas sans rappeler celui que les critiques contemporains mettaient en avant, insistant sur le fouillis des touches qui prend tout son sens en reculant de quelques pas.
Quels chantiers sont en cours ? Quels domaines sont encore à explorer ? Qu’est-ce que l’étude matérielle des œuvres nous apprend sur la pratique des artistes ? Sur leur époque ? Quels peuvent être les apports de ces nouvelles technologies ? Le numérique, en nous permettant de voir autrement les images, change-t-il notre rapport à la matérialité des œuvres ? Ce sont quelques-unes des questions auxquelles pourra répondre un dialogue entre restaurateurs, physiciens, chimistes, Data Scientists et historiens de l’art, et plus largement entre arts et sciences.
- De la mise en exposition au médium exposition
En lien avec le propos de l’exposition Paris 1874. L’instant impressionniste, il s’agit d’aborder la question des expositions selon une approche non seulement historique et historiographique mais aussi sociologique et économique. De nouveaux outils, en particulier les humanités numériques – en transformant les sources de l’histoire de l’art en données visualisables sous forme de courbes et de graphiques – permettent de développer une analyse à grande échelle, plus contextualisée du mouvement impressionniste et de la carrière des peintres. Enfin, les expositions sont aussi à étudier sous l’angle de l’accrochage et des discours esthétiques qu’ils véhiculent, et donc comme ressource d’une histoire visuelle de l’art.
Dans le contexte de profonds bouleversements des “mondes de l’art” dans lequel se développe l’impressionnisme, quel est le rôle des huit expositions dans la construction du mouvement, dans sa réception puis sa mise en récit ? Peut-on questionner l’identité « impressionniste » de ces huit expositions ? Quelle place accorder aux autres expositions (internationales, individuelles, etc.) dans l’histoire du mouvement ? Quels sont les acteurs et les réseaux mobilisés autour de ces manifestations, et par qui ?
Les caractéristiques propres au médium exposition, choix des œuvres, accrochage, scénographie et catalogue (intitulation, rédaction des notices, référence aux propriétaires), pourront aussi être étudiées. En quoi l’exposition a-t-elle permis aux impressionnistes, et d’abord à Monet, de présenter l’idée de série ? En quoi les expositions d’art impressionniste, depuis les blockbusters jusqu’aux expositions-dossiers, ont-elles permis (ou limité) le renouvellement des approches, ou l’élargissement des publics ? Qu’en est-il enfin des expositions à l’heure du numérique et de ses nouveaux formats ? Les expositions immersives ou virtuelles participent-elles d’une spectacularisation, permettent-elles de reconstituer l’histoire des expositions impressionnistes ou ouvrent-elles d’autres voies d’exploration ou de questionnement de la production artistique ?
L’ensemble de ces pistes ne sont ni exhaustives, ni exclusives, et toutes les propositions seront examinées avec intérêt. Quels que soient le sujet, le thème et l’approche (monographique, transversale, thématique, iconographique, etc.) des propositions, le comité scientifique sera attentif à leur portée contextuelle ou historiographique, à leur dimension interdisciplinaire, ainsi qu’aux réflexions engagées sur l’actualité de l’impressionnisme. Les communications, accessibles à un large public, autant qu’aux spécialistes, donneront lieu à la publication d’un ouvrage.
Le programme de recherche Impressionnisme, lancé en 2018, est conduit en partenariat avec le contrat Normandie Paris Ile-de-France : Destination impressionnisme et soutenu par le Contrat de Plan Interrégional au développement de la Vallée de la Seine (CPIER). Il a déjà permis d’organiser, en partenariat avec le Labex Les passés dans le présent et le laboratoire Histoire des arts et des représentations de l’université Paris Nanterre ainsi que l’université de Rouen, un colloque international sur les collectionneurs d’art impressionniste. Dans le cadre de la quatrième édition du festival Normandie impressionniste, ce colloque dialoguait avec l’exposition du musée des Beaux-arts de Rouen sur son collectionneur-donateur François Depeaux, qui fut impliqué dans la genèse de la série des Cathédrales de Monet[7]. Les actes viennent de paraître sous la forme d’un ouvrage collectif en version française et anglaise[8].
Le colloque sera précédé d’une journée d’étude préparatoire à l’automne 2023 sur l’interdisciplinarité comme outil et méthode pour renouveler les études impressionnistes.
Les propositions de communication (1500-2000 signes), accompagnées d’une notice bio-bibliographique (500-700 signes), et, si possible, de l’indication de l’axe (ou des axes) dans lesquelles elles pourraient s’insérer, seront envoyées par mail, sous format Word, à l’adresse impressionnisme2024@gmail.com
Le colloque se tiendra à Paris et bénéficiera d’une diffusion numérique. Les communications pourront être données en français ou en anglais.
Calendrier
Date limite de soumission des propositions : 30 septembre 2023
Date de réponse du comité scientifique aux propositions : fin octobre 2023
Envoi des textes pour publication : 15 septembre 2024
Comité scientifique : Andre Dombrowski ; Félicie Faizand de Maupeou ; Kimberly Jones ; Ségolène Le Men ; Mary Morton ; Natacha Pernac ; Sylvie Patry ; Paul Perrin ; Scarlett Reliquet ; Anne Robbins ; Olivier Schuwer
Comité d’organisation : Alessandra Cava ; Félicie Faizand de Maupeou ; Yannick Gnanou ; Ségolène Le Men ; Natacha Pernac ; Scarlett Reliquet ; Olivier Schuwer
[1] The Two Art Histories- The Museum and the University, edited by Charles W. Haxthausen; with essays by Dawn Ades, Andreas Beyer, Richard R. Brettell, Stephen Deuchar, Sybille Ebert-Schifferer, Ivan Gaskell, Eckhart Gillen, Richard Kendall, John House, Patricia Mainardi, Griselda Pollock, Mark Rosenthal et al., Yale University Press, 2003.
[2] Pierre Francastel, L’impressionnisme. Les origines de la peinture moderne de Monet à Gauguin, Paris, Les belles lettres, 1937.
[3] John Rewald, The History of Impressionnism, New-York, 1947.
[4] On peut citer Monet/Morellet au musée d’Orsay en 2007 et Monet/Fromanger en 2019 ou Monet/Fehr en 2023 au musée Marmottan Monet. La programmation du musée de l’Orangerie développe particulièrement ces dialogues avec l’art contemporain : David Hockney. A year in Normandy en 2021, Ange Leccia-(D’)Après Monet en 2022, Mickalene Thomas-Avec Monet en 2022 et Philippe Cognée en 2023 au musée de l’Orangerie, ainsi que les chorégraphies de Carolyn Carlson en 2020 et Trisha Brown en 2023 dans les Nymphéas.
[5] Ernst Haeckel, Generelle Morphologie der Organismen : allgemeine Grundzüge der organischen Formen-Wissenschaft, mechanisch begründet durch die von Charles Darwin reformirte Descendenz-Theorie, Berlin, G. Reimer, 1866.
[6] Damien Delille, « Pour une histoire queer de l’art : récits alternatifs et expériences de déplacement », Perspective, 2022/2, p. 229-248 ; le groupe ARQ (Arts et Représentations Queers) a également été fondé, en 2021, au Laboratoire HAR (Histoire des arts et des représentations).
[7] Exp. François Depeaux : collectionneur des impressionnistes, Sylvain Amic et Joanne Snrech dir. [exposition, Rouen, Musée des beaux-arts, 3 avril-7 septembre 2020], Paris, In fine-Réunion des musées métropolitains Rouen Normandie, 2020.
[8] Collectionner l’impressionnisme. Le rôle des collectionneurs dans la constitution et la diffusion du mouvement et Collecting Impressionism, A Reappraisal of the Role of Collectors in the History of the Movement, Milan, Silvana editoriale, 2023.
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