Appel à communication : « Création et circulation artistique entre la France et l’Algérie (1930 à 1964) ; entre enjeux politiques et esthétiques » (Aix-Marseille Université, 6 avril 2022)

Appel à communication pour la journée d’études « Création et circulation artistique entre la France et l’Algérie (1930 à 1964) ; entre enjeux politiques et esthétiques ».

Aix-Marseille Université/ TELEMMe/ Département d’histoire de l’art et d’archéologie

6 avril 2022

Date limite des propositions : 17 décembre 2021

Sous la direction scientifique de Gwenn Riou et Fadila Yahou

Cette journée a pour objectif d’interroger les enjeux esthétiques et politiques qui se manifestent dans le contexte de la colonisation et de la guerre d’indépendance algérienne. Dans un premier temps, il est question de faire un état des lieux de la recherche afin de retracer au mieux cette période déterminante pour les arts en France et en Algérie. Il apparaît pertinent de ne pas opérer de distinction entre les deux territoires, étant avéré que de nombreux échanges s’effectuent entre les deux rives méditerranéennes.

Durant les années 1930, alors que la France célèbre avec ostentation le centenaire de la colonisation, des intellectuels et artistes – dits libéraux – établissent des lieux culturels en dehors de la sphère étatique. Edmond Charlot ouvre sa Galerie-Librairie Les Vraies Richesses en 1936 à Alger ; Robert Martin, la Galerie-Librairie Colline à Oran en 1941, etc. Toute une vie culturelle s’organise autour d’eux et la génération de l’indépendance, née à cette période, s’y forme. L’histoire et le rôle de ces relais artistiques dans la formation des jeunes artistes algériens restent à écrire.

Les artistes comme Mohammed Khadda, Abdallah Benanteur, Choukri Mesli et M’Hamed Issiakhem – qui appartiennent à cette génération de l’indépendance – arrivent à Paris après la Seconde Guerre mondiale. Comment vivent-ils cet éloignement ? Arrivent-ils à s’insérer dans les circuits artistiques ? Si oui, lesquels ? Sont-ils amenés à faire des concessions quant à leurs idées, leurs pratiques artistiques ? Sont-ils bridés ou au contraire sommés de réagir à l’actualité du moment ? Cette dernière les met-elle en danger ou, à l’inverse, met-elle en lumière leurs travaux?

Nous savons qu’ils se tiennent à l’écart des pratiques avant-gardistes, tout en adoptant – dans leur grande majorité – un vocabulaire abstrait. Loin de considérer l’abstraction comme un art dépolitisé, elle leur semble être le meilleur moyen de se défaire du lourd héritage figuratif de l’orientalisme. À cet égard, Abdallah Benanteur évoque, lors d’un entretien avec Djalil Kadid en 1998, ses premiers souvenirs plastiques. Il mentionne alors une décoration de café réalisée à partir de l’affiche Banania. Cette anecdote édifiante d’un apprentissage aliénant de la peinture peut-elle expliquer le choix de l’abstraction ? D’autant que la pratique de Benanteur est strictement abstraite, à quelques exceptions près.

En France, dès le milieu des années 1950, l’abstraction est remise en question. Elle est soupçonnée d’être un nouvel académisme mais aussi un art du « non-dire[i] », selon les communistes. Les artistes qui l’adoptent éliminent-ils pour autant toute politisation ? A quel moment la peinture figurative perd-elle le monopole d’un art dénonciateur ? Et dans quelle mesure le contexte de la guerre participe-t-il de ce phénomène?

Dans un second temps, il s’agira de soulever quelques problématiques centrales : dans quelle mesure la (dé)colonisation a-t-elle influencé les arts contemporains ? Quels sont pour nous, historien·es de l’art, les outils pour étudier des pratiques artistiques sous domination ? Dans quelle mesure les arts « extra-occidentaux » sont-ils exclus du concept de « modernité » ? Comment interroger cette notion et/ou la redéfinir ? Quels sont les échanges par-delà les rives méditerranéennes ? Et quelles influences ont-ils eu sur l’Histoire de l’art ? Et enfin, comment repenser l’Histoire de l’art ?

Les propositions de communications peuvent s’inscrire dans un ou plusieurs des axes de réflexion suivants :

  • L’enseignement artistique en Algérie

Les formations au sein des écoles des Beaux-Arts d’Oran, d’Alger et de Constantine peuvent faire l’objet d’interventions. Les artistes algériens étant assignés à des « sections indigènes » jusqu’en 1948, il serait intéressant d’interroger les enseignements qui y sont menés, sachant que Mohamed Racim y fut professeur en 1933[ii] et qu’il établit par la suite sa propre école d’art traditionnel dans la Casbah d’Alger.

Nous pourrions également interroger l’existence d’ateliers et d’académies privés en Algérie. Qui les fondent ? Pour quel(s) public(s) ? Quel(s) enseignement(s) y sont dispensés, etc.

  • Lieux, personnalités, réseaux majeurs ; la circulation artistique par-delà la Méditerranée

Des communications se concentrant sur le rôle d’artistes-pivot tels que Jean de Maisonseul, Denis Martinez, Kateb Yacine, Jean Sénac, Jean Amrouche, Edmond Charlot, Robert Martin etc. sont les bienvenues. Comment contribuent-ils à la vie intellectuelle et artistique ? Dans quelle mesure créent-ils des ponts des deux côtés de la Méditerranée ?

Des artistes moins étudiés mais tout aussi actifs et/ ou essentiels durant la guerre, pro-indépendantistes ou non ; René Sintès, Abdelkader Guermaz, Jean-Michel Atlan, Sauveur Galliero, Georges Mathieu, Ladislas Kijno, Hatim el Mekki, Souhila Bel Bahar etc., pourront également faire l’objet de communications.

Comme dit précédemment, les Galeries-Librairies, les cafés littéraires en Algérie constituent des relais privilégiés de la création artistique pendant la période étudiée.

Les lieux d’exposition en France participent également à cette circulation artistique. La galerie Transpositions qui expose Khadda en 1961, en est l’exemple. De même, la place d’artistes algériens dans les salons parisiens peut être explorée.

Enfin, l’exposition de 1964, « L’Art et la révolution algérienne » et la donation des œuvres à l’Algérie qui s’ensuit pourraient être réinterrogées.

  • Le lien entre le monde de l’art, la presse et les revues

La presse (quotidiens, hebdomadaires, magazines, revues, etc.) participe à la circulation et à la connaissance de la création artistique par la reproduction ou la critique d’œuvres et d’expositions. Aussi, Les Lettres françaises, de l’Humanité, d’Arts, de Cimaises, d’Entretiens sur les Lettres et les Arts ou encore d’Alger républicain. La Nation algérienne, L’Algérie libre, Paris Match, Soleil, Rivages, Terrasses, Consciences Algériennes, etc. constituent des sources précieuses.

  • Le lien entre le monde de l’art et les organisations politiques

La question des artistes, galeristes, éditeurs et éditrices, critiques, etc. et leur(s) lien(s) avec le PCA, le PCF, le FLN etc. peut faire l’objet d’une étude. Il serait intéressant de s’interroger sur comment se traduisent ces connexions entre le monde de l’art et celui du politique et du militantisme avant, pendant et après la guerre.

  • Quel art pour dénoncer la colonisation ?

Le lien entre la facture de l’œuvre et sa dimension politique est un sujet qui mérite d’être approfondi.

Jusqu’en 1954, le réalisme socialiste est considéré par le PCF comme la méthode de création la plus à même de dénoncer les affres du capitalisme et de l’impérialisme et d’annoncer l’avènement du socialisme. Les œuvres de Boris Taslitzky et de Mireille Miailhe réalisées en 1952 en Algérie en sont l’exemple. Pourtant, après 1954, la question se pose pour certains communistes : quelle forme d’art est la plus à même de dénoncer la colonisation et la guerre ?

Le poids du PCF, à travers ou non le PCA, en ce qui concerne la création artistique en Algérie peut ainsi être examiné. Il est également possible de s’attarder sur la permanence de l’enluminure et de la calligraphie traditionnelle dans l’art non figuratif. Est-ce un moyen de contestation ? Comment ce contexte politico-artistique influe-t-il sur les choix esthétiques des artistes ?

Les deux derniers axes suivants constituent des points aveugles de la recherche et nous encourageons les propositions dans ce sens :

  • Le rôle des collectionneurs

Le Docteur Oury, en charge de la clinique Laborde, accueille M’Hamed Issiakhem durant la guerre. Il constitue dès lors une collection que sa famille mettra en vente dans les années 1980.

Il paraît essentiel de s’attacher à reconstituer ces réseaux de soutien. Les artistes en France bénéficient-ils de l’appui de collectionneurs privés ? Quelle(s) relation(s) entretiennent-ils avec les institutions publiques ? S’intéressent-elles à leurs travaux ?

  • Les actrices du monde de l’art

En outre, nous savons qu’aucune femme n’intègre les Beaux-Arts avant ou durant la guerre. Toutefois l’exemple de Souhila Bel Bahar, artiste autodidacte, témoigne d’une participation active bien que discrète. Niki de Saint-Phalle, autodidacte également, bénéficie, elle, d’un succès fulgurant à partir de 1960. Formées en dehors des écoles et des académies, elles offrent un autre regard sur le monde.

Pourrions-nous retracer la présence et l’activité d’autres artistes femmes dans le contexte de la colonisation et de la guerre d’indépendance ? De quelle manière participent-elles au développement des arts de 1930 à 1960 ? Il serait également pertinent de s’attarder sur l’action des femmes galeristes, critiques, etc. et sur les modalités de leurs contributions au champ artistique.

 

Les propositions émanant d’autres disciplines que l’histoire de l’art sont les bienvenues et même souhaitées.

Les intervenant·es seront sélectionné·es sur la base d’un projet de communication. Les communications seront limitées à 20/25 minutes. Les propositions de communication (3000 signes, espaces compris, bibliographie non comprise), accompagnées d’un bref curriculum vitae (une à deux pages) sont à envoyer avant le 17 décembre à l’adresse suivante : art.algerie.france@gmail.com

[i] Louis Aragon, « Le destin de l’art », l’Humanité, 27 septembre 1947, p. 4.

[ii] Cette connivence avec les institutions coloniales le lui sera reprochée par la suite.

 

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