La grande cuisine française serait née dans les fourneaux des cuisiniers italiens qui accompagnèrent Catherine de Médicis lors de son mariage avec le futur Henri II en 1533. Présente tant en France (préface des Dons de Comus, 1739, article « cuisine » du chevalier de Jaucourt dans l’Encyclopédie, 1754) qu’en Italie (La cuciniera piemontese, 1771, Giovanbattista Roberti, Lettre sur le luxe, 1772), cette affirmation s’impose durablement à partir du XVIIIe siècle. Bien que combattue dans la seconde moitié du XXe siècle, elle demeure encore aujourd’hui un lieu commun fortement associé à la Renaissance et à son goût du sucre. Pourtant la nouvelle cuisine française rejette les épices, refuse l’aigre-doux et dévalorise le sucre. En revanche, Giovanni de’ Rosselli, auteur d’une nouvelle mouture des recettes de Martino en 1517 (Opera nova chiamata Epulario…), se présente, dès la page titre du traité, comme étant français, reconnaissance explicite de la qualité de sa cuisine !
La question controversée de l’influence de l’Italie sur la cuisine française sera au cœur de ce colloque organisé dans le cadre d’une exposition sur la table au temps des derniers Valois (château royal de Blois, été 2012). Son objet est de repérer et d’évaluer, entre le XVe siècle et la première moitié du XVIIe siècle, les influences réciproques entre l’Italie et la France dans le domaine de l’alimentation, de la production des mets à leur consommation. Sans perdre de vue la question centrale des échanges entre l’Italie et la France, la prise en compte des apports d’autres aires culturelles, par exemple les Etats bourguignons ou l’Espagne, devrait également nous permettre de nuancer les réponses.
Plusieurs thèmes seront abordés :
(1) la circulation des professionnels de l’alimentation, notamment des officiers de bouche des familles aristocratiques italiennes et françaises, et des savoir-faire techniques tant dans le domaine de la cuisson et de la découpe des viandes que dans les arts de la table (automates de table) ou l’art de la confiserie. Une attention particulière sera portée à l’organisation des cuisines, notamment à la présence ou à l’absence du potager du côté français.
(2) Les vecteurs matériels de circulation d’une culture de table, leur diffusion et leur réception : livres de cuisine, régimes de santé, livres de confitures, traités spécialisés dans l’art de la découpe, traités de civilité… mais aussi les représentations iconographiques (scènes de repas, intérieurs de cuisine, représentations de mets et d’aliments, planches des traités de cuisine et des arts de bien servir…), le mobilier, comme la crédence / credenza, et les pièces de vaisselle… La question des traductions – adaptations en français des œuvres italiennes, par exemple Le platine en Francoys en 1505 ou l’Histoire macaronique de Merlin Coccaie en 1606 d’après l’œuvre de Folengo, devrait nous permettre d’apprécier des degrés de naturalisation d’une culture de table.
(3) Les ingrédients utilisés et leur fréquence dans les cuisines aristocratiques, l’ordre des mets et les types de repas, par exemple la collation / colazione, afin de déterminer des modèles. L’approche diachronique devrait nous permettre d’apprécier les influences mais aussi des résistances : l’usage du sucre et des épices, la consommation des salades, des légumes (asperge, artichaut, aubergine…) et des fruits (poire, melon…), la promotion des « terroirs », le prestige de la viande. Le cas du dindon, enfin, nous invite à comparer les attitudes des élites italiennes et françaises face aux denrées du Nouveau Monde.
(4) Les imaginaires associés à la culture de table de l’Autre de part et d’autre des Alpes, par exemple en étudiant les recettes dites alla francese dans les livres de cuisine italiens et celles associées à l’Italie dans les livres de cuisine français (fréquence, ingrédients, assaisonnement, cuisson…). Récits de voyage et sources littéraires permettent également de travailler sur ces représentations.
Les propositions de communication sont à envoyer par courriel avant le 30 novembre 2011, sous forme d’un court résumé (200 signes) accompagné d’un bref CV (1 page maximum) à pascal.brioist@free.fr et/ou florent.quellier@orange.fr. Le colloque se déroulera au Château royal de Blois.
Organisation scientifique :
Pascal Brioist, professeur d’histoire moderne, université de Tours, CESR
Florent Quellier, maître de conférences en histoire moderne, université de Tours,
Chaire CNRS histoire de l’alimentation des mondes modernes
Comité scientifique :
Michèle Bimbenet-Privat, Musée du Louvre, département des obejts d’art
Jean Céard, professeur émérite Paris Ouest-Nanterre-La Défense
Allen J. Grieco, The Harvard University Center for Italian Renaissances Studies, Florence
Elisabeth Latrémolière, Château royal de Blois
Bruno Laurioux, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
Massimo Montanari, Università degli Studi di Bologna
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