Appel à communication : « Inventorier et cartographier les savoirs » (Paris, 15-16 septembre 2022)

Inventorier et cartographier les savoirs, de Gaignières au numérique

Colloque international, École du Louvre, 15-16 septembre 2022

 

Depuis 2014, le programme de recherche Collecta interroge les pratiques érudites du Grand Siècle et les met en perspective à partir de l’exemple de la collection de François-Roger de Gaignières (1642-1715). Sa reconstitution et sa mise en ligne ont requis la création d’un outil numérique (collecta.fr) qui tente de rendre compte des liens et des cheminements qui se trament, au sein de la collection :

  • à travers les stades du travail de l’érudit – des sources, notes et brouillons aux dessins mis au net et classés pour la présentation au public ;
  • à travers les matériaux réunis par l’érudit – tableaux et gravures, manuscrits et imprimés, dessins et copies d’archives ;
  • à travers les points d’entrée retenus par l’érudit – personnes, familles, institutions, lieux, périodes.

Se dessinent ainsi les itinéraires mentaux, documentaires, mais aussi spatiaux de l’érudit à travers ses sources, son réseau de contacts, les lieux qu’il visite, ses centres d’intérêt et les méthodes qu’il déploie dans son objectif d’inventaire des monuments et des familles du royaume et de l’Europe.

Gaignières sillonne l’espace par le biais de gravures, de courriers à des notables ou de visites dans les établissements ecclésiastiques et seigneuriaux. Il questionne la société par le biais de l’histoire nobiliaire, de la généalogie et de l’emblématique, mais aussi à travers une curiosité ethnologique qui s’incarne dans ses recueils de modes de France et d’Europe. Il contemple le patrimoine médiéval comme le témoin d’un monde qui change, entre les destructions des guerres, la réforme liturgique post-tridentine et les nouvelles modes esthétiques de l’âge classique.

Tout en constituant une source primordiale sur un passé largement disparu, il invite ainsi les chercheurs contemporains à se pencher autant sur leurs méthodes et présupposés que sur ceux des érudits d’Ancien Régime.

Le colloque cherchera donc à articuler un questionnement méthodologique sur les pratiques de la recherche contemporaine avec une réflexion sur les centres d’intérêt et les méthodes des érudits modernes : histoire des familles, de l’Europe, patrimonialisation et visualisation.

 

Quelques pistes, sans exclusive, donneront lieu à des sessions dédiées :

Une géographie des savoirs

Comme les autres érudits et comme les chercheurs d’aujourd’hui, Gaignières agit dans un espace géographique et social qu’il parcourt pour réunir sa documentation et diffuser ses recherches. L’érudit a ses régions d’élection, qu’il explore au fil d’itinéraires déterminés par des contraintes pratiques, sociales et financières. Les archives et les dessins de villes ou de monuments relatifs à ses contacts (patrons, hôtes, correspondants) et à son projet d’histoire de la monarchie s’en trouvent souvent surreprésentés. Dans sa documentation imprimée – qui représente la part majoritaire de la collection, ne serait-ce que pour des raisons de coût – cette géographie est aussi vraisemblablement dépendante d’autres contacts, avec les éditeurs et marchands d’estampes françaises ou étrangères. Des contributions permettant de mettre en perspective cette géographie de l’érudition, entre nécessités pratiques, patronage et enjeux scientifiques, seront les bienvenues, bien au-delà du seul cas de Gaignières.

Mais la collection organise aussi sa géographie propre. Point nodal de l’espace savant, elle draine les voyages physiques ou épistolaires de curieux qui y trouvent un abrégé de la France et de l’Europe. Chacun y a ses attentes, le visiteur comme le créateur de la collection : trouver une documentation sur une famille ou une région dans un but précis (généalogique, historique, politique) ou au contraire rêver et s’évader devant des images d’autres temps ou d’autres lieux. À l’intérieur même des collections, différents territoires s’articulent. Il y a d’abord le territoire du cabinet, qui se répartit en salles, rayonnages, boîtes et portefeuilles que l’érudit peut utiliser pour ordonner le monde et le donner à voir à ses visiteurs. Mais il y a aussi les territoires traités, au sein desquels l’érudit construit un voyage intellectuel pour lui et son visiteur. Il sera ainsi intéressant de questionner les collections savantes comme des lieux métaphoriques du voyage – vers lesquels on se rend, dans lesquels on circule et qui finalement, permettent de voyager à travers une vision du monde et du savoir.

Le territoire des familles

Gaignières dresse une cartographie multiple du territoire des familles qui va des archives aux vues de monuments et dans laquelle l’articulation entre héraldique, toponymes et anthroponymes est centrale. La matière héraldique s’y déploie comme une mise en image du nom des personnes et des lieux, qui permettait aux individus et aux réseaux familiaux de marquer l’espace. Elle évoque le quadrillage emblématique qui caractérisait le paysage de l’Ancien Régime : tombes, portails, monuments jalonnaient les villes et les campagnes pour borner les fiefs, s’approprier les églises, proclamer les juridictions et inscrire dans le temps la puissance des familles et des individus sur leurs territoires, au même titre que les trésors archivistiques et généalogiques. Des contributions pourront donc porter sur la question de l’empreinte emblématique des puissants sur l’espace, mais aussi sur ses rapports avec les témoins et les « écritures grises ». Gaignières s’intéresse surtout aux tombes, parce qu’elles concentrent les informations dont il a besoin pour son projet : armoiries certes, mais aussi souvent portraits, dates, lieux, noms, fonctions qui complètent les informations des cartulaires. Les autres témoins avaient-ils d’autres priorités ?

Les armoiries avaient un autre avantage pour l’histoire des familles telle que la concevait Gaignières et ses contemporains : l’accumulation des quartiers dans un même écu ou à plusieurs endroits d’un monument en faisait un abrégé des filiations, utile à une histoire des lignages et de leurs prétentions généalogiques (et donc territoriales). Une réflexion sur les enjeux et les modalités de ce marquage généalogique, qui dessinait une carte des familles (cette fois déployée dans le temps et l’espace social), sera appréciée : monuments, sceaux, documentation permettent-ils de saisir des programmes, des contextes, des évolutions ? Surtout, leur évocation par les témoins, les érudits puis les savants et les universitaires permet-elle de réfléchir sur la réception et la compréhension de ces signes à travers le temps : ont-ils été l’objet d’argumentations ? de remplois ? de réinvestissements généalogiques ou polémiques, artistiques ou idéologiques ?

La mise en récit du patrimoine

Jean-Pierre Babelon et André Chastel ont jadis fait de Gaignières le préfigurateur d’une réflexion sur le patrimoine – au sens contemporain du terme. La collection donne en effet l’impression d’un inventaire des monuments artistiques et archivistiques du royaume et de l’Europe, organisé chronologiquement et géographiquement. Mais loin de n’en faire qu’une simple liste, l’érudit a mis cet inventaire en récit.

D’une part, il montrait sa collection, qui regorge d’indications contextuelles sur l’emplacement, les abords, l’échelle, l’état, l’historique des objets et des vues. Ces derniers se trouvent ainsi replacés dans une région, une époque ou un thème (histoire ecclésiastique, topographies, histoire dynastique, histoire du costume…) par des jeux d’échelle d’observation et de renvoi d’un portefeuille à l’autre. Gaignières créait ainsi des parcours et des récits qu’il adaptait au visiteur. Ils le menaient, à la manière d’un guide de voyage ou d’une démonstration juridique, dans une mise en récit du royaume, d’une contrée ou d’une famille où chaque vue ou objet avait un sens et une place. Cette attention à la contextualisation des objets patrimoniaux dans les collections d’érudits mérite toute notre attention et doit être replacée dans l’invention de notre approche historique, bien au-delà du cas de Gaignières : cette démarche était-elle isolée ? d’où tirait-elle ses racines ? en trouve-t-on des traces et des témoignages ailleurs ? quels en étaient les moyens ?

D’autre part, avec son mémoire au roi en vue d’établir un conservatoire des monuments nationaux dont sa collection d’originaux, de dessins et de copies est la préfiguration, Gaignières mettait en récit la transformation de la notion de patrimoine de son sens privé (le patrimoine d’un individu ou d’une famille) à son sens public (le patrimoine national). Chez lui, l’inventaire des monuments sert un double but : appuyer une histoire des familles et dresser une histoire de la monarchie. La fonction privée de preuve d’une histoire nobiliaire y rejoint donc la fonction publique de témoignage du récit national. La multiplication des mentions de destructions dans le dessin et les commentaires, ainsi que la place importante que prennent les Guerres de religion dans sa documentation historique mettaient cependant ces récits au défi d’une prise de conscience de la fragilité de ces patrimoines. Gaignières invite ainsi à réfléchir de façon globale sur les pratiques érudites comme lieu d’invention d’une réflexion sur les monuments du passé : preuves historiques à l’appui de droits, traces d’une histoire nationale à contextualiser, œuvres fragiles à conserver, toutes ces perceptions visibles dans l’érudition classique influencent encore nos propres conceptions.

« L’histoire qui se prend par les yeux » : du portefeuille au numérique

Chez Gaignières, l’image est centrale et son usage systématique. Au sein des portefeuilles, le jeu des copies articulées à différentes échelles et selon différentes thématiques sert à la fois l’élaboration de sa matière et son souci pédagogique et mondain d’offrir une vitrine à montrer à ses visiteurs.

Ces séries inscrivent sa collection dans la longue lignée des dispositifs visuels porteurs d’associations inattendues au service d’un savoir en construction. Certains, comme Bernard de Montfaucon ou plus tard Séroux d’Agincourt, rendront publics leurs dispositifs en multipliant les planches gravées illustrant leurs ouvrages ; d’autres tel Aby Warburg avec son Atlas Mnemosyne maintiendront comme Gaignières la dimension « artisanale » de leur objet, ouvert et évolutif, soutenu par un discours possiblement changeant et adaptable.

La révolution numérique, qui permet de multiplier les expériences visuelles à partir de corpus de données sous forme de cartes, de graphes ou de divers schémas, repose la question de ces dispositifs et de leur dimension critique et interprétative. Elle réinterroge les choix, loin d’être neutres, qui président à la collecte des corpus, mais aussi les usages et la diffusion des résultats obtenus. Il sera donc intéressant de considérer les formes visuelles du savoir qui ont modelé la matière historique sur le long terme. Quels sont les enjeux épistémologiques de ces visualisations construites sous l’Ancien régime ? Dans quelle mesure ont-elles contribué à forger nos savoirs et nos méthodes scientifiques ? Le design numérique qui propose une réflexion sur la forme et l’usage peut-il résoudre les difficultés des historiens face à la technicité du numérique ?

 

Informations pratiques

Le colloque se tiendra les 15 et 16 septembre 2022 à l’École du Louvre (Palais du Louvre – Porte Jaujard, Place du Carrousel / 75038 Paris CEDEX 01).

Le transport et l’hébergement des participants résidant en dehors de l’Île-de-France seront pris en charge par le programme ANR « Archive numérique géolocalisée : la collection Gaignières ».

La langue principale du colloque sera le français, mais il est possible de proposer des interventions en anglais.

 

Modalités de soumission

Les participants peuvent inscrire leur intervention dans un ou plusieurs des axes proposés. Les propositions, d’une page maximum et accompagnées d’une courte biographie d’une demi-page, seront envoyées à colloquecollecta2022@ecoledulouvre.fr au plus tard le 14 janvier 2022.

 

Comité scientifique

François Bougard (CNRS-IRHT)

Damien Bril (École du Louvre)

Laurent Costa (ArScAn)

Pierre Couhault (IRHT-CNRS)

Sophie Fétro (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)

Laurent Hablot (EPHE)

Michel Pastoureau (EPHE)

Anne Ritz-Guilbert (École du Louvre/IRHT-CNRS)

Flavia de Rubeis (Ca’ Foscari)

Benoît-Michel Tock (Université de Strasbourg)

Nicolas Verdier (EHESS)

 

Comité d’organisation

Anne Ritz-Guilbert (École du Louvre/IRHT-CNRS)

Damien Bril (École du Louvre)

Pierre Couhault (IRHT-CNRS)

 

Télécharger l’appel à communication (format PDF).

 

 

 

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