La mesure ne se conçoit pas sans l’excès, sa fonction est de le réguler. De même l’excès est toujours excès d’une mesure, c’est-à-dire d’une norme. D’après Littré, l’excès est « ce qui dépasse une limite ordinaire, une mesure moyenne ».
Cependant, ces termes sont évidemment mouvants : mesure pour les uns est excès pour les autres. La dialectique de la mesure et de l’excès semble être au cœur des préoccupations aux XVIIe et XVIIIe siècles en Angleterre comme dans le nouveau monde, de la réflexion comme de l’action.
Les explorateurs se lancent à la conquête du monde pour amasser des fortunes, mais aussi pour en mesurer l’immensité. Au-delà des instruments de mesure qui se multiplient (cartes maritimes, globes et autres instruments marins), l’unité de mesure est une affaire d’État, puisque la reine elle-même confirme la mesure du pied anglais en 1588, qui est reconduite en 1758. Cette volonté de cerner la profusion du réel caractérise les travaux de taxinomie d’un John Ray qui imposent un ordre sur les innombrables espèces animales et végétales en les mesurant.
En politique, la mesure est une action visant à prévenir ou à contenir de possibles excès. Largement influencés par la philosophie antique, les philosophes anglais de l’époque moderne font de la mesure la pierre de touche aussi bien de la paix civile que de la sagesse face aux excès de la guerre civile et des conduites immorales. Pour Francis Bacon, la voie de la vertu se trouve à mi-chemin entre l’excès et le manque, morale de la parabole de la chute d’Icare dans De la Sagesse des anciens.
Les relations complexes qui font de la mesure et de l’excès un couple inséparable informent les débats théologiques, les tensions et les persécutions religieuses, où, par exemple, la foi anglicane, pensée et vécue comme via media par ses pères fondateurs et ses membres, se voit rejetée comme excessivement catholique par les puritains.
Que ce soit dans les arts ou les lettres, mesure et excès correspondent à des esthétiques souvent opposées, mais qui en réalité coexistent et ne prennent sens que de cette confrontation. La rhétorique de Cicéron, qui prône un style oratoire mesuré, se place contre les excès de l’asianisme, trop enflé, d’une part, et de l’atticisme, trop aride, de l’autre. En architecture et en musique, la mesure, au sens littéral du terme, si elle impose un ordre à l’espace et au temps, participe parfois de la démesure. Dans la poésie, la mesure, c’est-à-dire le mètre, canalise les débordements de la passion en les rendant plus vifs encore, comme l’écrit explicitement John Donne. Si la mensura en peinture désigne la justesse des proportions, nombre de peintres, et non des moindres, s’affranchissent de cette contrainte, pour allier une mensura feinte à un véritable excès des proportions. L’excès baroque s’oppose ainsi à la mesure classique, mais ne saurait exister sans cette dernière. De même, la clarté si chère aux écrivains néoclassiques anglais (on pense à Dryden et à Pope qui écrit « Between excess and famine lies a mean;/Plain, but not sordid; though not splendid, clean » [Horace II, Satire 2]) se conçoit, en partie au moins, comme réaction face au style allégorique d’avant la guerre civile, perçu comme excessivement obscur.
On s’interrogera sur les liens multiples qui unissent mesure et excès aux XVIIe et XVIIIe siècles dans le monde anglophone, dans des champs aussi variés que la politique, la théologie, les belles lettres, l’architecture, la peinture, la musique, mais aussi dans les mœurs, où le luxe côtoie l’austérité, sans oublier, bien sûr, les sciences comme la géographie, la physique ou encore l’astronomie.
Modalités
Les propositions de communications, accompagnées d’une bibliographie sélective et d’un CV bio-bibliographique, sont à envoyer en parallèle à :
Guillaume COATALEN
Pierre DEGOTT
pierre.degott@univ-lorraine.fr
Guyonne LEDUC
Date limite d’envoi des propositions : 25 avril 2013
Remise de la décision du comité scientifique : 30 juin 2013
http://1718.fr/
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