Appel à communication : « La miniature, un dispositif artistique et un modèle épistémologique à l’ère du nano » (Arras, janvier 2017)

SAMSUNG DIGITAL CAMERALa miniature désigne une image de petites dimensions peinte de couleurs vives : ce terme qui dérive du latin minium (peinture rouge servant à tracer les lettres des enluminures), est vite rapproché des adjectifs mignon et minuscule. Il définit alors spécifiquement une peinture fine exécutée par des miniaturistes de diverses traditions qui représentent des sujets en changeant d’échelle. La miniature ne saurait être confondue avec le détail, le fragment ou le punctum : elle donne de l’objet représenté une vision totale et complète, en réduction, qui n’est ni fragmentaire ni partielle.

Mais la miniature ne concerne pas le seul domaine des Beaux-arts : à partir des années 1960, la miniaturisation révolutionne les techniques et les sciences : elle décuple la puissance des machines (inventions du circuit intégré en 1958, du microprocesseur en 1973) et ne semble pas avoir de limites. L’exploration de l’infiniment petit engendre de nouvelles questions sur la représentation de l’invisible et sur les lois qui régissent le monde des particules élémentaires, très différentes de celles du monde ordinaire et visible. « Le minuscule, porte étroite s’il en est, ouvre un monde », écrit Bachelard dans La Poétique de l’espace (p. 146) et c’est ce rapport au monde qu’il s’agit d’interroger. En littérature, la miniature se distingue de la forme brève (contes ou nouvelles, formes poétiques brèves ou maximes) et désigne un régime particulier de l’imaginaire qui réduit les dimensions de l’objet représenté pour en offrir d’autres sens à déchiffrer, voire à décoder.

À la croisée des sciences, des techniques et des arts (arts plastiques, de la scène, ou littérature), nous proposons d’abord d’examiner les fonctions plurielles de la miniature et leurs interactions depuis le milieu du XXe siècle, dans une perspective synchronique, sans remonter à son origine médiévale ou étudier son âge d’or pictural. La fonction ludique de la miniature (jouets, maquettes, maisons de poupées) se combine à une fonction didactique. La miniature peut servir de dispositif cognitif pour appréhender tel objet dans sa totalité et sa complexité. Elle peut également constituer l’étape d’un projet (modèle réduit, maquette d’architecture, décor de cinéma) dans un processus d’invention ou de création. Elle implique un nouveau processus de connaissance car « dans le modèle réduit la connaissance du tout précède celle des parties » (Lévi-Strauss, p. 38). Elle permet d’explorer ce qui est invisible ou inaccessible à l’œil nu (micro-caméras en médecine), d’agir sur la matière et la transformer (micro-robots), d’accroître considérablement la puissance de l’information et de la communication (microprocesseurs). Outil pour penser, rêver, agir, jouer, apprendre, la miniature est utilisée dans un grand nombre de domaines.

Mais la miniature ne se limite pas à ces fonctions : certains artistes continuent à la considérer comme un dispositif qui constitue sa propre finalité, comme une œuvre d’art à part entière qui change notre rapport au monde et modifie notre regard (telles les œuvres de Robert Devriendt, Andrea Branzi, Dan Ohlmann). Qualifiée de naturelle par Bachelard (La Poétique de l’espace, p. 141), l’imagination miniaturante mérite d’être reconsidérée à une époque de grands bouleversements scientifiques et techniques. À l’ère des nanotechnologies, certaines inventions déterminent de nouvelles modalités de représentation et de modélisation, produisent de nouvelles images et posent la question de notre rapport au visible. Parmi les nombreuses questions soulevées par la miniature figure par exemple la tension entre la sensibilité et l’intelligibilité : « la vertu intrinsèque du modèle réduit est qu’il compense la renonciation à des dimensions sensibles par l’acquisition de dimensions intelligibles » (Lévi-Strauss, p. 39) ; la miniature permet ainsi d’accéder à une autre forme d’intelligibilité en modifiant l’échelle de la représentation (Musée des miniatures de Lyon ou de Porto Allegre). Bien d’autres paradoxes méritent réflexion : la réduction de taille rend la vision difficile et lointaine alors même que le miniaturiste semble vouloir saisir et approcher le réel dans sa totalité. La miniature allie la toute puissance de son pouvoir et la fragilité de son dispositif : par exemple, si la miniaturisation ludique réduit le monde « à ce qu’on peut en faire » à un « jouet qu’on manipule au gré de ses fantasmes », elle reste fragile (Meirieu). D’une manière plus générale, l’image d’un monde réduit est « à la fois la mieux composée et la plus fragile parce que c’est l’image du rêveur » (Bachelard, Études, p. 23). Elle fournit un moyen de comprendre et de dominer la complexité du réel sans la simplifier ni la disperser alors même que le monde ainsi offert à une nouvelle forme d’intelligibilité se dérobe aux lois physiques communes : le nanomonde n’est pas régi par les mêmes lois que le monde physique visible. La miniature résulte d’une vision surplombante et aérienne du monde (cartographies, plans, panorama) qu’elle met à distance tout en le rendant plus consistant et plus cohérent, contrairement à l’analyse qui le décompose en rapprochant les objets et en les dispersant. (Ibid., p. 24).

La démarche du miniaturiste (artiste, plasticien, photographe, didacticien, savant, écrivain, architecte, designer, informaticien) pourra être confrontée à celle du spectateur ou usager de miniatures : quelle démarche particulière est alors mise en œuvre selon ces deux points de vue ? Quelle transformation subit le rapport au monde visible et invisible ?

Calendrier
Les propositions de communication, d’une vingtaine de lignes et d’une bibliographie, seront envoyées aux deux adresses suivantes avant le 30 janvier 2016 : isabelle.rousselgillet@univ-artois.fr  et evelyne.thoizet@univ-artois.fr 

Elles seront accompagnées d’une présentation de l’auteur. Elles seront examinées par le comité scientifique du colloque qui répondra dans les meilleurs délais.

Coordination : Isabelle Roussel-Gillet et Évelyne Thoizet.
Suivre l’actualité du colloque : http://miniatures.zz.mu

Bibliographie et ressources :

Bachelard Gaston, « Le monde comme caprice et miniature » [1933-1934], inÉtudes, Paris, Vrin, « Bibliothèque des textes philosophiques », 1970, p. 23-38.
Bachelard Gaston, La Formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin, [1938], édition de 2011, chapitre 11, p.  251-283.
Bachelard Gaston, La Terre et les rêveries du repos, José Corti, 1948, « Les Massicotés », 2004, p. 19-26.
Bachelard Gaston, La Poétique de l’espace, Paris, PUF, 1957, « Quadrige », 2001, chapitre 7 : « La miniature », p. 140-167.
Delmotte Benjamin, « Au risque de la disparition : Miniaturisation et dématérialisation dans l’œuvre sculptée d’Alberto Giacometti », Nouvelle revue d’esthétique, 2011/2 (n °8), PUF, p. 98-108.
Exposition OtherworldlyOptical Delusion and Small Realities MAD, New York (2011). Otherwordlydes mondes irréels, MUBA, Tourcoing, (2013).
Iehl Corinne, « Le texte en son lieu La Galerie Bovary », Sociologie de l’Art, 2005/2 Opus 7, p. 39-62.
Lévi-Strauss Claude, La Pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, Pocket, 1990.
Meirieu Philippe, « La télécommande et l’infantile », Médium, 2005/1, n°2, p. 44-59.
Müller Christian, Miniatures psychiatriques. Témoignages d’un médecin au travail, Labor et Fides, Genève, 2007
Tisseron Serge, « L’intelligence des jouets », Gallimard, Cahiers de médiologie, 2000/1, n°9, p. 135-139.
Kermisch Céline et Pinsart Marie-Geneviève, Les nanotechnologies ; vers un changement d’échelle éthique ?, Fernelmont, Éditions E.M.E et Intercommunications, 2012.
Rey Olivier, Une question de taille, « Les essais », Stock, 2014.
Richard Sébastien, Le Nanomonde des chercheurs, analyse des pratiques et des discours sur l’instrumentation en nanotechnologies, thèse sous la direction d’Alain Gras et de Céline La Fontaine,
Walser Robert, L’Écriture miniature1927-1930, Trad. Marion Graf, Genève, Éditions Zoé, 2004.

Leave a Reply