Pour la cinquième année consécutive, les doctorants de première année du Centre de Recherche Interdisciplinaire en Histoire, Arts et Musicologie de l’université de Poitiers, organisent une journée d’études dans la lignée des travaux du laboratoire. Après des journées d’études et colloques organisés autour de la guerre, des reliques politiques et de la violence, il semble important de s’intéresser à la mort, qui se situe à l’intersection de ces derniers thèmes.
Selon le philosophe Ludwig Wittgenstein, « la mort n’est pas un élément de la vie. La mort ne peut être vécue ». Pourtant, si la vérité concrète de la mort échappe à la personne vivante ou moribonde, la mort est bien un élément récurrent du monde vivant comme idée abstraite. Quel que soit l’espace culturel et l’époque étudiée, l’Homme entretient un rapport étroit avec la mort. Elle est la pierre angulaire de nombreuses réflexions philosophiques, de postures sociales, de fantasmes et de croyances (L.-V. Thomas, Anthropologie de la mort, 1988). La mort effraye et attriste. Elle interpelle constamment l’individu et le collectif. Quand elle ne les frappe pas directement, elle agit sur eux à travers la mémoire (deuil, tombes, pratiques, objets et œuvres commémoratifs etc.).
La mort est un silence qu’il faut rompre avec des mots, signes, images, symboles. Face à la mort, l’Homme se donne pour but rassurant de « sémantiser l’absurde » (L.-V. Thomas, J.-D. Urbain, La société de conservation…, 1978). En somme, elle est un point de réflexion sur la vie même. Paradoxalement, la mort peut également être un objet de plaisir cathartique (histoires morbides, films d’horreur) ou d’évocations ironiques (chez les expressionnistes entre autres). Réceptacle des conceptions morales, des perceptions culturelles et idéologiques ainsi que des réalités sociales de chaque époque, le rapport à la mort est un objet d’étude essentiel dans l’histoire des mentalités (M. Vovelle, La mort et l’Occident…, 1983). Les arts, les pratiques discursives, les écrits scientifiques, philosophiques ou religieux ainsi que les rites mortuaires forment un ensemble de témoins qu’il s’agit d’étudier et de mettre en perspective (A. Carol & I. Renaudet, La mort à l’œuvre…, 2013).
D’après Philippe Ariès, nous vivons, depuis environ la seconde moitié du XXe siècle, « une révolution brutale des idées et des sentiments traditionnels » (P. Ariès, L’homme devant la mort, 1985). Ce « déni de la mort » se traduit notamment par une part de moins en moins visible accordée au corps et à la sépulture, comme en témoigne l’usage de plus en plus fréquent de la crémation. D’un autre côté, les médias d’information, de plus en plus dominés par les images et la logique qui s’y attache, s’intéressent surtout à la mort comme élément spectaculaire (faits divers, accidents, crimes, catastrophes naturelles, défunts célèbres etc.) La mort est partout. Les morts sont nulle part.
Michel Vovelle a observé que la période allant de la fin du XVIe siècle au début du XVIIe siècle marque également un tournant dans le rapport à la mort. À cette époque, les conceptions héritées de la société médiévale disparaissent progressivement. Ainsi, cette journée serait une réponse, pour les époques moderne et contemporaine, à une historiographie déjà riche sur ce thème pour les époques anciennes. Le laboratoire HERMA a d’ailleurs récemment organisé une manifestation sur les rites mortuaires. Il s’agit de mener cette réflexion selon trois principaux axes : les œuvres et discours autour de la mort, les pratiques rituelles et l’expertise du corps mort.
Axe 1 – Représenter la mort : arts et pratiques discursives
Les manières dont la mort est représentée dans les arts ou évoquée dans les pratiques discursives sont de premiers indicateurs de la place de celle-ci dans l’imaginaire collectif ou individuel. Représenter la mort devient-il un moyen pour l’Homme de lui faire face ? Selon les problématiques de l’histoire sociale et des mentalités, il s’agit de comprendre les intéractions entre geste créateur, processus de création, réception des œuvres et contextes intellectuel et culturel. Entre autres questions, nous pouvons nous demander quel lien existe t-il entre le rapport à la mort et l’idéologie ou les croyances de celui qui créé, parle ou écrit ? Comment la mort est-elle abordée par la classe politique ou militante, selon les circonstances ? Quels particularismes, évolutions et résurgences observe t-on dans la mise en œuvre de thèmes récurrents sur la mort ? Comment la mort est-elle figurée dans les arts, comme objet esthétique, rhétorique, dramatique ? Quels débats intellectuels et artistiques le sujet de la mort a t-il pu soulever ? Comment purent s’opérer les éventuelles transgressions des tabous et interdits sur la mort ? Jusqu’à quel point ces dernières pouvaient-elles être tolérées ?
Axe 2 – Accompagner le défunt : pratiques rituelles, objets et arts funéraires
Les rites mortuaires sont au cœur de dynamiques diverses formant, elles aussi, un ensemble témoin du rapport à la mort. Les rites funéraires sont les occasions d’accompagner, de célébrer le défunt et d’entretenir sa mémoire. Qu’elles intéractions peut-on observer entre ces problématiques et celle liées à l’esthétique ? Existe t-il une ou des esthétiques picturales, sculpturales ou musicales de la mort à des époques données ? Quelle place tient le rite funéraire dans les différentes couches de la société que ce soit dans l’espace sacrée, comme dans l’espace domestique ? Les monuments funéraires sont des objets de recueillement et de représentation du défunt, au-delà du rituel religieux. Quels enjeux sont engagés autour de la création de ces monuments afin de répondre à la volonté de représenter dignement le défunt ? Peut-on observer des récurrences dans la publicité des funérailles de personnalités dans les médias ? Qu’est-ce que les nouveaux médias apportent à ce rapport ? À quel point les funérailles publiques et/ou médiatisée, de quelle que manière que ce soit, peuvent, ou non, servir à une quelconque pédagogie idéologique ? Quels sont les lieux et moments d’exposition et de transport du corps ?
Axe 3 – Expertiser le corps mort : usages, statut, normes et tabous
La mort est le passage par lequel le corps devient cadavre. Cette transformation pose différents types de questionnements, notamment sur sa place dans les dispositifs sociaux et culturels, ainsi qu’à la définition clinique de la mort. Qui nnonace la mort ? Comment est elle observée ? Quels sont les signes cadavériques ? Comment concilier l’usage et le respect du cadavre au cours des autopsies, des expériences ou bien lors des utilisations muséologique ? Avec les progrès des techniques de réanimation et l’apparition de « corps à la frontière » peut-on parler de vivants en sursis ou de mort en puissance ? Comment sont traités les corps marginalisés (les anonymes à la morgue, les fœtus, les condamnés à mort…) ? Quel est le sort réservé aux morts en masse (victimes de guerres, d’épidémies, de catastrophes…) du fait de leur nombre, mais aussi de leur état ?
Conditions de soumission
Cette journée d’études est l’occasion pour les jeunes chercheurs de différents horizons disciplinaires de se rencontrer et de dialoguer avec des spécialistes. La listes de questions ci-dessus n’est évidemment pas exhaustive.
D’autres propositions, qui restent dans le cadre de cette journée, sont les bienvenues.
Les propositions de contribution, d’environ 3 000 signes, devront être transmises aux trois organisateurs avant le 16 mars 2016 compris.
La journée aura lieu le 20 avril 2016.
Comité d’organisation
- Guillaume Avocat (Univ. Poitiers, doctorant) guillaume.avocat@univ-poitiers.fr
- Camille Conte (Univ. Poitiers, doctorant) camille.conte@univ-poitiers.fr
- Julien Gaillard (Univ. Poitiers, doctorant) julien.gaillard@univ-poitiers.fr
Comité scientifique
- Frédéric Chauvaud (Univ. Poitiers, Professeur, Histoire contemporaine)
- Vincent Cousseau (Univ. Limoges, MCF, Histoire moderne)
- Thierry Favier (Univ. Poitiers, Professeur, Musicologie époque moderne)
- Jérôle Grévy (Univ. Poitiers, Professeur, Histoire contemporaine)
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