Scansion de l’histoire, catalyseur d’oeuvres parfois inoubliables, tradition reprise par le happening dans l’art contemporain, la provocation ne pouvait être méconnue dans la réflexion qu’e-LLA mène sur les déclencheurs de l’acte créatif. Après avoir questionné des poïétiques de l’erreur, de la vacance et de la passe, fallait-il revenir sur la très attendue provocation ? N’aurait-elle pas pris un coup de vieux ?
Du latin provocare, de pro « en avant » et vocare « appeler », la provocation relève du cri qui interpelle et réveille, mais aussi de l’appel. L’acte provocateur scandalise le sujet, le dérange, le violente. Il le met systématiquement au défi de réagir. Acte se donnant comme performance, la provocation requiert pour exister pleinement une troisième instance, médiatique cette fois-ci, qui pourra la diffuser. Qu’importe le domaine dans lequel elle fait irruption, la provocation redonne la norme, en redéfinissant les frontières de ce qu’elle bouscule. Il s’agit toujours pour elle d’ébranler un seuil de permissivité lequel diffère selon les moeurs, les déontologies des cultures et des individus. En cela elle donne à voir et à penser par son insolence ; une insolence qui par l’excès, l’exagération, la démesure, parfois, la condamne à la censure.
Seulement qu’en est-il aujourd’hui ? Que se passe-t-il quand une société semble, hypocritement, tout tolérer, au nom de la liberté d’expression ? Et qu’en est-il notamment quand le développement des médias de masse et leur accessibilité permettent à tout un chacun d’user ou d’abuser de cette liberté d’expression en trouvant la troisième instance nécessaire à toute provocation ? Celle-ci ne devient-elle pas alors une marchandise consommable à souhait sur Internet ? L’objet d’un marketing viral, rythmant notre société par la profusion de réactions esvanescentes ? Cette possible démocratisation de la provocation peut parfois aller jusqu’à prendre le visage de la pornographie de l’image. La provocation ne serait plus que manipulation publicitaire ou, dans le pire des cas, esthétisation de la politique (Walter Benjamin). Plus loin encore, la provocation peut, dans ses effets les plus retors, se faire le complice insidieux du conformisme dans une société allant vers l’ « insignifiance » (Castoriadis) et dominée par le pouvoir de l’image et du simulacre (Baudrillard). Ainsi, la provocation ne serait-elle pas condamnée à stagner au stade du simple choc visuel ?
En dépit de cet état des lieux, nous pouvons aussi percevoir la survivance d’une provocation dans ce qu’elle a de plus incisif et de plus créatif. Elle demeure malgré tout – et c’est ce « malgré tout » que nous voulons interroger. Dans le domaine de l’art contemporain par exemple, Nathalie Heinrich distingue subversion et transgression de provocation. Ce qui illustre le point de vue dépréciatif que l’on peut aujourd’hui porter sur cette dernière au contraire des deux premiers processus perçus, quant à eux, comme constructifs.
Pourtant la provocation, prise dans le sens allemand de défamiliarisation (Verfremdung), peut être une autre piste de réflexion dans le cadre du renouvellement de la notion. Elle crée le sentiment d’étrangeté en juxtaposant les différents registres et contextes historiques. Dans nos sociétés mondialisées et uniformisées, retrouver le sentiment d’étrangeté est parfois une gageure dont la provocation peut et doit jouer.
C’est le cas dans l’installation vidéo Touching reality de Thomas Hirschhorn (2011), le spectateur se trouve confronté, dans une mise en abîme vertigineuse, à une main soigneusement manucurée exposant par des gestes délicats sur un écran tactile des photographies de guerres et de corps mutilés, jouant ainsi sur le sentiment de décalage qui nous vient après coup ; lorsque nous sommes de nouveau immergés dans ces gestes qui rythment notre quotidien. On peut aussi penser, dans le domaine littéraire, à Don DeLillo, dans Falling Man (2007), qui exhume et exhibe le souvenir effacé des « jumpers », ces hommes et ces femmes qui se jetèrent des tours du World Trade Center en 2001, venant ici provoquer, voire attaquer le déni national au sujet de ces suicides, compris comme une capitulation, une défaite de la toute-puissance américaine. Ainsi, la provocation offre deux visages : celui d’un procédé dépassé, presque devenu un lieu commun, et en même temps une démarche interne au fonctionnement de toute société, participant à l’autoréflexivité des cultures.
La journée d’étude pluridisciplinaire ets organisée par les doctorants en Langues, Lettres et Arts de l’université Aix-Marseille.
Les propositions d’intervention dans les champs disciplinaires des lettres, langues et arts (privilégiant le XXIe siècle) sont à soumettre avant le dimanche 16 décembre 2012 à E-Lla@univ-provence.fr. Elles contiendront environ 500 mots, hors notes de bas de page. Les propositions d’installations plastiques seront aussi examinées.
La journée d’études se tiendra le mercredi 13 février 2013 à l’Université d’Aix-Marseille (site Schuman à Aix-en-Provence) et sera suivie de la publication des actes dans le prochain numéro d’e-LLA à paraître en juin 2013. Les auteurs souhaitant publier dans e-LLA à la suite de leur intervention auront un mois et demi pour rédiger leur article (entre 20 000 et 30 000 caractères au format Word).
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