Plus de quarante ans ont passé depuis les premières réalisations du Land Art. Les œuvres canoniques, Spiral Jetty (1970) de Robert Smithson ou Double Negative de Michael Heizer (1969-1970), tentent de « sculpter » le paysage, en explorant souvent des lieux désertiques. À force, les ouvrages deviennent des monuments artificiels qui abandonnent tout dialogue pacifique avec le paysage et se placent en concurrence ouverte avec lui. Mais que reste-t-il de ces œuvres qui ont marqué des générations d’artistes ?
L’idée de ce colloque s’est imposée à la suite de la projection d’un film récent réalisé par Fabien Danesi, Fabrice Flahutez et Adeline Lausson (Le Désert n’a jamais tort –Sur la route du Land Art), qui sont partis sur les traces de ces travaux. Le sentiment qui se dégage de cette expérience est souvent celui d’une forme de désolation, d’effacement, comme si la nature avait recouvré ses droits. Soumises aux avaries du temps, à l’érosion, au processus de la décomposition parfois délibérément anticipé par l’artiste, les œuvres se modifient et s’effacent parfois même progressivement. A l’aide de ce film, mais d’autres aussi, plus anciens, on peut voir l’évolution de ces artefacts.
D’autres œuvres, de dimensions plus modestes, se situent souvent dans une proximité avec des parcs ou des lieux facilement accessibles. Collectes ou vestiges, elles s’approchent davantage de l’attitude d’un promeneur qui appréhende la nature en y laissant des signes discrets. « Ces artistes, écrit Tiberghien, œuvrent sur toute la gamme du végétal, depuis le tronc jusqu’aux feuilles, et vont ainsi d’une logique de l’objet, dans une optique plus traditionnelle, à un art du presque rien dont le support devient essentiellement photographique ». La proximité n’est pas uniquement géographique ; elle est aussi inscrite dans la volonté d’un contact sans médiation avec la matière. Mais, ces œuvres peuvent aussi se résumer en une carte géographique sur laquelle le trajet est matérialisé par une trace, témoignage du rapport toujours complexe entre la culture et le nomadisme.
Qu’il s’agisse de la disparition physiques des travaux de Land Art ou de leur dématérialisation liée à leur versant conceptuel, ces travaux sont souvent conservés et analysés à travers leurs traduction documentaire (vidéo, photographie). La validation qu’accorde l’histoire de l’art à ces témoignages, parfois même leur fétichisation, ne doit pas faire oublier qu’initialement ce sont ces créateurs qui s’insurgeaient contre l’économie de marché en fuyant hors du musée et des galeries.
L’objectif est de dresser un bilan du Land Art à travers le regard qu’on peut porter, de nos jours, sur ce mouvement. Probablement, plus que toute autre, cette tendance artistique se trouve à la croisée de différentes disciplines (géographie, géologie, écologie). De même, les travaux de Heizer, par exemple, posent la question des rapports que ces artefacts entretiennent de façon symbolique avec d’autres cultures (civilisations précolombiennes et cultures indiennes). Ce n’est pas un hasard si Richard Long porte une critique à ce sujet en remarquant : « J’admire l’esprit des Indiens plus que celui du “land artiste” ».
On pourra également interroger les liens (?) complexes de ces travaux situés dans la nature (ou « importés » dans une galerie) avec l’idéologie écologique. Le Land Art serait-il « en phase » avec cette prise de conscience ou favorise-t-il le retour à la mystique de la nature, renouant avec la tradition romantique du paysage ?
Plus inattendue est l’articulation du Land-Art et de l’actualité. Ainsi, appliqué par les artistes, revêt-il au Moyen-Orient de forts accents politiques. Gideon Ofrat remarque : « La version israélienne de l’art environnemental américain se voit alors complètement saturée de matériaux locaux : une géographie israélienne spécifique dotée d’une histoire controversée ».
Plus généralement, il semble que la vision de la nature dans un sens large garantisse au Land Art une portée pratiquement universelle. Comme l’écrit Barbara Rose : « On ne saurait parler… d’un style ou même d’une sensibilité ; il s’agit en effet davantage d’une attitude en regard de l’art – conçu comme un type d’activité ou d’exercice –, mettant en évidence le processus de la création des formes, en les faisant percevoir comme des structures aléatoires. Il témoigne également d’une attitude philosophique et d’une conception relativiste du monde, selon laquelle il y a interaction réciproque de l’art sur l’homme et la nature : l’art n’existe pas indépendamment de ceux-ci, à l’extérieur de l’expérience quotidienne, dans une tour d’ivoire statique et éternelle, ce qui est l’hypothèse fondamentale de tous les mouvements formalistes de l’art pour l’art ».
On souhaiterait donc réunir des spécialistes de tous bords – philosophes, géographes, géologues, historiens aux côtés d’historiens d’art et de plasticiens –, afin de pouvoir étudier le Land Art comme un phénomène annonçant une nouvelle rencontre entre le geste de l’homme et le fait de la nature.
Les propositions d’interventions doivent être envoyées à itzhak.goldberg@gmail.com
Date limite 1er septembre 2014.
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