Appel à communication : « Le mauvais goût : marginalités, ambiguïtés, paradoxes » (Versailles, 23 mai 2018)
Cette journée d’étude, centrée sur les XIXe, XXe et XXIe siècles, entend redonner tout son droit au mauvais goût, en déconstruisant les mécanismes qui tendent à le marginaliser et en tentant d’analyser les potentialités créatives, expressives et revendicatives de ce parent pauvre de l’esthétique.
Du baroque au kitsch, du maniérisme à l’obscène, du camp au trash, du grossier au ringard, du populaire au pop, le mauvais goût a connu bien des déclinaisons à travers les âges. En dépit des anathèmes régulièrement lancés contre lui, le mauvais goût n’a pourtant de cesse de se renouveler et peut parfois même être érigé au rang de modèle esthétique : ainsi, dans le Gai Savoir, Nietzsche réclamait que le « mauvais goût [ait] son droit autant que le bon goût ». Celui-ci se réinvente sous des formes multiples, au point même d’être chargé d’une valeur positive, à la faveur de renversements de valeurs.
La récurrence des reproches adressés au mauvais goût permet d’ailleurs de dégager un certain nombre de critères sur lesquels repose cette catégorie :
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L’expressivité foncière du mauvais goût, qui se traduirait par l’outrance, le « tape à l’œil », le sentimentalisme (usage immodéré de la couleur, recours à des émotions « faciles », ostentation visuelle),
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La dimension dépassée, datée. Le désuet, le ringard, l’obsolète qui seraient par nature de mauvais goût car refusant de se conformer au goût du jour,
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Le conservatisme esthétique, à travers les accusations d’académisme ou de conformisme,
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L’absence de respect des règles, et partant, la dimension provocatrice, politiquement incorrecte voire révolutionnaire du mauvais goût,
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La dimension populaire (autrement dit vulgaire), dans la mesure où, suivant les travaux de Pierre Bourdieu1, la recherche du bon goût aurait précisément pour vocation de se distinguer, d’affirmer son appartenance à une classe socialement et culturellement dominante,
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Et enfin la dimension mercantile, à travers la critique du kitsch, de la société de consommation et de la notion d’industrie culturelle théorisée par Adorno et Horckheimer2.
A partir de ces différents constats, il s’agira de questionner les mécanismes sociaux du goût à travers l’exemple d’institutions qui imposent et diffusent les canons d’une époque telles que les académies, les revues, les sociétés d’amateurs, l’université, les critiques littéraires, la presse ou plus généralement les médias, et qui participent à l’exclusion de certaines productions et pratiques culturelles. Dans cette perspective, les interventions des chercheurs pourront mettre en avant la persistance plus ou moins explicite d’un système de hiérarchisation des genres dans les domaines de la littérature, des arts visuels, de l’architecture, des arts de la scène et du cinéma, de la musique ou encore des médias (télévision, radio, presse) et n’oublieront pas de revenir sur la notion de « sous-genres », dépréciés voire ignorés au profit des genres dits nobles et institutionnalisés. La question de savoir qui a l’apanage du mauvais goût sera également posée, dans une perspective sociologique. Est-il systématiquement associé aux classes populaires et si oui, pourquoi ? N’est-il pas volontiers associé à une certaine esthétique bourgeoise ? Se peut-il qu’il existe aussi, comme l’affirmait Baudelaire3, une « aristocratie du mauvais goût » ?
A ce titre, il sera nécessaire de considérer les cas où le mauvais goût s’affirme comme valeur positive, où il devient de bon goût d’avoir mauvais goût. Certaines pratiques visent en effet à se réapproprier cette qualification pour mieux la subvertir. Il conviendra alors d’appréhender les motivations (éthiques, esthétiques, politiques) qui poussent une partie de la société à revaloriser et à revendiquer le mauvais goût et de voir dans quelle mesure celles-ci comprennent une part de provocation, de transgression, quand elles ne s’érigent pas en manifeste avant-gardiste (exemple des termes de « jazz » ou d’« impressionnisme » qui avaient initialement une valeur dépréciative). A travers la question du kitsch (voire du néo-kitsch) et du camp, on considérera de quelle façon le mauvais goût peut faire l’objet d’un jeu de citation ironique qui, par le biais d’un effet de médiation, réhabilite un mauvais goût au second degré.
Enfin, on ne négligera pas de revenir sur la dimension toute relative de ce mauvais goût à travers des mises en regard d’ordre géographique (récits de voyage, contexte de nationalisme) et temporel (changements de modes, réévaluation d’artistes ou de formes d’art oubliées). Les différentes études de cas apporteront chacune un éclairage sur des productions culturelles traditionnellement considérées comme de mauvais goût, dénigrées, oubliées ou confinées à des périmètres bien limités. Mais elles démontreront également que celles-ci peuvent être remises au goût du jour, réhabilitées et reconsidérées après un certain temps.
Cinq axes d’étude sont proposés :
I Les visages multiples du mauvais goût : kitsch, ringard, vulgaire…
Que nous révèle cette multiplicité des notions connexes du mauvais goût ? Est-il possible de donner une définition du mauvais goût ou ne se dévoile-t-il que dans sa dimension kaléidoscopique ? N’est-il pas une notion par essence fuyante, en ce qu’il s’agirait de l’autre du goût ?
II Le mauvais goût en société : mécanismes de distinction et de prescription
Qui énonce ce qui est de mauvais goût aux XIXe, XXe et XXIe siècles ? L’affirmation toujours plus forte de la subjectivité à partir du XIXe siècle ne rend-elle pas caduque toute dénonciation du mauvais goût ? Quelles ont été les grands affrontements autour du mauvais goût ? Est-il assignable à une catégorie sociale ?
III La culture du mauvais goût : quand il est de bon goût d’avoir mauvais goût
Quels mécanismes permettent une réhabilitation du mauvais goût ? Que révèlent-ils de la modernité esthétique ? Vit-on toujours dans cette « époque rêveuse du mauvais goût » dont parlait Walter Benjamin pour qualifier le XIXe siècle ? Quelles sont les motivations qui conduisent à adopter le mauvais goût comme mot d’ordre ? S’agit-il de provoquer, de s’amuser, de s’illusionner, ou simplement de se distinguer ?
IV Politique du mauvais goût : une éthique de la provocation ?
Dans quelle mesure le mauvais goût a-t-il affaire avec la politique et avec la morale ? Etre de mauvais goût, est-ce revendiquer une certaine forme d’immoralité ? L’humour de mauvais goût est-il forcément politiquement incorrect ? Contre quelles valeurs politiques et morales s’érigerait une éthique du mauvais goût ?
V Le mauvais goût des autres
Le mauvais goût est-il toujours celui des autres ? Que nous révèlent les récits de voyages du relativisme de cette notion ? La distance géographique ou temporelle aidant, un pays ou une époque sont-ils jamais à l’abri du mauvais goût ? Le rejet du mauvais goût ne résulte-t-il pas d’une mise à distance de ce qui est différent et, partant, d’un refus de l’altérité (humaine, mais aussi culturelle et temporelle) ?
Calendrier :
Retour des propositions : au plus tard le lundi 26 février 2018
Réponses : le lundi 26 mars 2018
Date de la journée d’études : le mercredi 23 mai 2018 (UVSQ / Saint-Quentin-en-Yvelines)
Modalités :
Cette journée d’études se veut pluridisciplinaire et ouverte à différents champs de recherche tels que la sociologie, l’histoire, l’histoire de l’art, la musicologie, la littérature, les études théâtrales, les études cinématographiques, l’histoire visuelle ou encore les sciences de l’information et de la communication.
Cet appel à communications est ouvert à tous les doctorants, ou docteurs ayant soutenu ces dernières années, en France ou à l’étranger.
Les communications se feront en français ou en anglais.
Les propositions de communication (500 mots environ) sont à envoyer, accompagnées d’une courte présentation de l’auteur (comprenant le titre, la discipline de la thèse, l’année de soutenance le cas échéant, ainsi que l’université et/ou l’organisme de rattachement), au plus tard le lundi 26 février 2018 à l’adresse suivante : doctorants.chcsc@gmail.com
>Télécharger l’appel à communications [PDF – 162 Ko] en français
>Télécharger l’appel à communications [PDF – 235 Ko] en anglais
>Télécharger l’affiche [JPG – 26 Ko]
1Pierre Bourdieu, La Distinction, Critique sociale du jugement, Editions de Minuit, 1979.
2Dans leur essai de 1944 intitulé La Dialectique de la raison.
3 « Ce qu’il y a d’enivrant dans le mauvais goût, c’est le plaisir aristocratique de déplaire », in « Fusées », dans Œuvres complètes (1980), Charles Baudelaire, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2004, V, p. 391
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