Appel à communication : « L’œuvre hantée par le concept » (Aix-en-Provence, 18 mai 2016)

348051« Un spectre hante la création : le spectre du concept ». Cette phrase, qui détourne les premières lignes du Manifeste du Parti Communiste, nous l’employons pour désigner certains des héritages auxquels se confronte le créateur, consciemment ou inconsciemment. Plus que tout autre, en effet, le créateur est sujet à la hantise.

Des fantômes hantent la création et pèsent tout à la fois sur le créateur et la critique. En littérature ou en art, on convoque sans cesse les spectres de Heidegger, Derrida, Deleuze ou encore Bakhtine. En linguistique, on invoque Saussure, Jakobson, Chomsky, Genette, ou encore Culioli. Mais il en va de la recherche et de la création comme du monde, elles connaissent des modes. Puis les modes passent. L’engouement pour tel théoricien ne risque-t-il pas de s’effacer demain, en même temps que la vogue des concepts qu’il a développés ?

Force est de constater que l’on cite parfois certains auteurs (qu’ils soient philosophes, narratologues, théoriciens ou autres) sans se demander si les théories, les concepts, qu’ils ont développés sont pertinents pour la lecture de toute œuvre ; si bien qu’on arrive parfois à un forçage des œuvres par lesdits concepts. L’on convoque à l’envi fantômes, spectres, ou esprits ; l’on parle de hantise, de retour du refoulé, de survivances, de traces ; l’on en appelle à la commémoration, au travail du deuil ou encore à l’image dialectique. Ces termes, qui nourrissent une pensée où l’on tend à puiser de façon plus ou moins consciente pour interpréter et ouvrir les œuvres, finissent parfois par les tordre et les contraindre. À trop vouloir éclairer ces dernières et à leur appliquer toutes les grilles de lecture possibles, ne risque-t-on pas de les forcer à entrer dans un moule théorique qui contraint le sens plus qu’il ne le libère ?

Du point de vue du créateur, cette association de la théorie et de la création n’est pas nouvelle. Elle s’observe au XIXe siècle, avant que les avant-gardes ne se la réapproprient. L’art du XXe siècle se décline alors selon cette dialectique, qui aurait parfois pour conséquence, selon Jean-Marie Schaeffer, une déperdition du plaisir et de l’émotion de l’ « expérience esthétique ». Pour le philosophe, la primauté du concept sur l’œuvre serait une conséquence de ce qu’il nomme la « théorie spéculative de l’art », qui émerge dans la philosophie de l’art de tradition allemande. Un artiste conceptuel comme Joseph Kosuth considère, quant à lui, qu’« une œuvre d’art est une sorte de proposition présentée dans le contexte de l’art en tant que commentaire sur l’art ». Cependant, on peut poser la question du rapport entre théorie et création sous un autre angle, plus général : celui de l’influence, contraignante ou féconde, des concepts sur la production d’œuvres. Il est important de s’arrêter à ce point où création et critique se rencontrent pour se nouer.

Cette « revenance » — qui n’est pas le retour thématique du passé dans l’œuvre — peut parfois devenir la condition de possibilité des œuvres : non seulement elle apparaît comme porteuse d’un sens originel à partir duquel celles-ci s’élaboreraient, mais encore elle indiquerait que la création n’a pas pu se passer sans elle. Ceci peut se comprendre comme une contamination du créateur par le discours théorique. Le concept excite la création ; la rhétorique et la poétique particulière du discours théorique fournissent les matériaux et les formes d’une technique nouvelle. Il y a une véritable séduction exercée sur la création par le discours théorique dans ce sens où celui-ci forme déjà en soi une espèce d’œuvre d’art. D’aucuns penseront à Barthes, d’autres à Derrida, pour ne citer qu’eux : il n’y a pas seulement un style, mais une poétique de la critique dont la terminologie serait le fonds. Les lecteurs des théoriciens, parmi lesquels se trouve l’artiste, prennent un véritable plaisir à ces lectures parce que pour eux elles prennent rang parmi les œuvres à proprement parler.

Il y aurait alors une volonté de la part de certains créateurs d’allier l’intelligence du concept à la beauté du texte et de cela résulterait une véritable influencepoétique de la critique. Si le concept est fécond pour l’art, si la critique hante les œuvres, elle le fait au moyen de divers procédés : citations, archaïsmes, collages, pratiques de la récriture et de la référence, jeux de l’intertextualité, parodies et pastiches. Écriture de soi, archivage et témoignage, mais aussi usages de l’allégorie et de la prosopopée, jusqu’à la psychographie (écriture automatique) sont d’autre part autant de recours et de techniques, qui s’inscrivent dans ce que l’on pourrait nommer une « poétique de la revenance », au sein du discours théorique.

Les Chantiers de la Création, en proposant de réfléchir à « l’œuvre hantée », entendent donc faire plus que décrire des processus et des modes d’intégration dans l’œuvre des concepts. C’est la possible séduction, toute poétique, que la terminologie exerce sur les œuvres — qu’elles soient l’expression d’un discours de l’art ou qu’on leur fasse tenir ce même discours — qui nous retiendra ; et s’il y a un forçage des œuvres par le concept, avant ou après leur gestation, s’il y a des œuvres hantées par leur concept, c’est ce que nous invitons à clarifier.

En tant que revue pluridisciplinaire de jeunes chercheurs, nous souhaitons donc proposer une réflexion sur les choix effectués dans la création et dans la recherche, sur la convocation de concepts utilisés pour éclairer la création au sens large qu’elle soit littéraire, musicale, plastique, cinématographique ou qu’elle ait trait à la langue ou à des événements historiques. Il s’agira donc de discuter les concepts qui, tout en étant nécessaires et éclairants, « hantent » la production et l’analyse des œuvres.

Cette édition appelle donc des communications qui pourront porter, entre autres mais pas seulement, sur :

—la « revenance » comme condition de possibilité de la création : n’y a-t-il de création que de « citer le passé à comparaître » ? En quoi le concept peut-il être fécond pour le créateur ?

—une réflexion sur les relations entre les discours théoriques et les œuvres, sur la question du rapport de celle-ci au concept, tant au niveau de sa création que de sa réception ou de sa critique ;

— une œuvre ou un auteur dont les principes se revendiquent du discours théorique ou s’en trouvent influencés. On pourra décrire ces poétiques et en exposer la critique, celle-ci pouvant d’ailleurs être le fait de l’auteur lui-même et constituer un discours théorique propre dont il sera intéressant de dégager les enjeux.

Les propositions d’intervention dans les champs disciplinaires des lettres, des langues, des arts et de la civilisation sont à soumettre jusqu’au 28 février 2016 inclus à revue.lcc@gmail.com. Elles contiendront 500 mots (+ ou – 10%), hors notes de bas de page, et seront accompagnées d’une biobibliographie de l’auteur. Les propositions d’installation plastique seront aussi examinées.

Merci de nommer vos fichiers comme suit : NOM_TITREPROPOSITION_LOEUVREHANTEE2016

La journée d’étude se tiendra le 18 mai 2016 à l’Université d’Aix-Marseille (site Schuman à Aix-en-Provence) et sera suivie de la publication des actes dans le prochain numéro des Chantiers de la Création à paraître en septembre 2016.

Les communicants devront soumettre leur article à paraître à une date qui leur sera communiquée ultérieurement (entre 20 000 et 30 000 caractères au format Word et répondant à la feuille de style de la revue, consultable à l’adresse suivante : http://lcc.revues.org/786). Il sera ensuite évalué par le comité de lecture.

https://lcc.revues.org/974

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