A la suite des travaux de Max Dvořák sur la notion de « valeur historique » et dans la continuité des recherches de Louis Grodecki sur « les monuments dans l’histoire », il ne s’agit plus aujourd’hui d’aborder le chantier de restauration aux seules fins discriminantes de la « critique d’authenticité ». Le chantier de restauration implique en effet des questions matérielles, techniques, économiques, sociales et spirituelles qui relèvent de l’histoire, de l’archéologie – « Archéologie des restaurations » récemment valorisée par Nicolas Reveyron – de l’anthropologie et de la sociologie.
Le fil conducteur des débats envisagés par ce colloque sera donc moins les restaurateurs célèbres ou les chantiers emblématiques que les procédés techniques et les savoir-faire des métiers (du gros-œuvre comme du second-œuvre) ainsi que l’organisation et la vie des chantiers. Partant, la documentation qui devra alimenter les communications ne sera pas celle, déjà largement exploitée, des propos théoriques mais bien celle, quasi inédite, des sources historiques et archéologiques éclairant sur les hommes, les matériaux et les pratiques.
L’objectif est à la fois de s’interroger, à la faveur d’exemples puisés en Europe du Nord, sur les stratégies d’approvisionnement en matériaux, sur l’évolution des procédés techniques associés à leur façonnage et à leur mise en œuvre, de même que sur les enjeux humains, économiques, sociaux et théologiques qui motivent ces usages. Les démarches engagées pour l’achat de la pierre et les raisons qui contribuèrent au choix des carrières seront par exemple envisagées. Il s’agira également d’évaluer les critères qui présidèrent à la sélection des essences de bois, bois dont on parle peu, pour les XIXe et XXe siècles industriels, mais qui reste très présent sur le chantier pour les cintres, les échafaudages, les outils de levage et de calage. L’enjeu est par ailleurs de mesurer la place et le rôle du métal dans la restauration (boulon, liaisonnage au plomb…) autant que l’apport de nouveaux matériaux comme les ciments, le béton, le zinc, la fonte, le goudron et, plus largement, des nouvelles méthodes de protection telles que la silicatisation. Dans le prolongement de ces questions sur la nature des matériaux, il conviendra, par le biais des textes et des traces archéologiques, d’identifier et d’analyser les outils de façonnage (manuel ou mécanique) et les techniques de mise en œuvre. Parallèlement, un intérêt accru sera réservé aux procédés techniques destructeurs, mobilisés pour faire disparaître certaines « strates » du bâti ancien préalablement à sa restauration à proprement parler. Enfin, il ne faudra pas négliger, dans le cadre d’une architecture sacrée, l’impact des contingences spirituelles et théologiques (incarnation du divin en toute matière) dans le choix des nouveaux matériaux (zinc, fonte, ciment …) ou la substitution de substance symboliquement chargée (abandon de la cire pour le gaz…).
Il s’agira par ailleurs de dévoiler l’organisation interne des chantiers, notamment les aspects humains, politiques et économiques qui sous-tendent ces entreprises. Les méthodes propres aux activités encadrées par des administrations d’Etat (soumission, adjudication, attachement figuré), la hiérarchie entre les hommes (architecte, inspecteur, entrepreneur, vérificateur) et entre les métiers feront par exemple l’objet d’un intérêt particulier.
Il conviendra enfin de mettre en résonance les chantiers de restauration des XIXe et XXe s. avec les chantiers de construction contemporains et des périodes antérieures. La transmission des savoirs tacites et formulés (pour reprendre ici les catégories définies par François Caron) dans le milieu du bâtiment traverse les générations à un rythme autonome peu sensible aux gesticulations de l’histoire politique et formelle. En dépit des révolutions industrielles et de l’évolution des théories, transmettre implique une relative permanence des techniques comme des savoir-faire. Il s’agit de lignes de force qui parcourent les périodes et rassemblent les bâtisseurs de plusieurs temps. Il en résulte une longue histoire matérielle de l’architecture – médiévale notamment –, une sorte de « méga-période » panofskienne dont les échos comme les traces animent les chantiers de restauration modernes et contemporains. Parfois, le rejeu des gestes et des techniques n’est pas le fruit volontaire d’une reproduction à l’identique mais simplement celui d’un héritage non formulé. Cet héritage tacite tombé entre les mains du restaurateur nous éclaire ainsi sur les problématiques matérielles du constructeur. Ce colloque ambitionne donc d’évaluer la valeur du chantier de restauration comme source documentaire (historique et archéologique) du chantier de construction médiéval.
L’aire géographique envisagée (Allemagne, Belgique, France, Pays-Bas) résulte d’un compromis pragmatique entre l’approche nationale, trop étroite pour permettre d’envisager la fortune précise et la circulation transfrontalière des matériaux, des pratiques et des hommes, et l’approche globalisée à l’ensemble de l’Europe, qui semble encore prématurée compte tenu de la maigre bibliographie que le thème étudié a suscité à ce jour. La cadre temporel retenu, enfin, à savoir le XIXe siècle et le début du XXe siècle, jusqu’à la Première Guerre mondiale, doit permettre d’évaluer l’évolution des pratiques sur un temps suffisamment long et de réserver une place de choix aux nouvelles techniques qui se multiplient à la charnière des deux siècles. L’ambition de ces rencontres est donc, in fine, d’écrire les premières lignes d’une histoire matérielle du chantier de restauration en Europe.
Afin d’orienter les réponses à cet appel, de mieux cerner les registres ou démarches possibles, et sans présager d’autres approches non évoquées ci-dessous, nous proposons aux intervenants potentiels quatre entrées :
- Une approche méthodologique destinée à fonder ou préciser les outils et principes d’analyse archéologique des chantiers de restauration de la période contemporaine.
- Une approche archéologique destinée à identifier et interpréter les traces, marques et vestigia des chantiers de restauration. Ce deuxième axe pourrait être alimenté par des études monographiques de monuments.
- Une approche anthropologique abordant le chantier de restauration comme lieu de reproduction de gestes, de savoir-faire et de techniques transmis par le chantier de construction.
- Une approche historique, par définition fondée sur les textes, pourra répondre aux questions d’organisation matérielle, hiérarchique et sociale. Cet axe pourrait être illustré par des monographies de chantiers.
Les membres du comité d’organisation attendent des propositions avant le 15 décembre 2016 à l’adresse suivante : julien.noblet@laposte.net ou julien.noblet@inha.fr Elles devront comporter un titre, un résumé (300 mots maximum, la langue envisagée (français ou anglais uniquement) pour la communication, les noms et qualités des intervenants ainsi qu’un bref CV d’une demi page.
Dans la mesure des possibilités offertes par la structure du programme choisi, les intervenants retenus de nationalité belges et autres, seront invités à prendre la parole à l’INHA-Paris le 14 décembre 2017 tandis que les intervenants de nationalité française et autres, prendront la parole aux Universités de Liège le 15 et de Namur le 16 décembre 2017.
Dates et lieux du colloque
Première journée, INHA Paris, jeudi 14 décembre 2017, salle Vasari, de 8h30 à 18h.
Deuxième journée, Université de Liège, Faculté d’architecture, vendredi 15 décembre 2017.
Troisième journée, Université de Namur, Faculté de philosophie et lettres, samedi 16 décembre 2017.
Comité d’organisation
Claudine Houbart, Univ. Liège, URi AAP (Art, archéologie, patrimoine).
Mathieu Piavaux, Univ. Namur, AcanthuM (Traces matérielles, création, patrimoine).
Arnaud Timbert, Univ. Lille, Laboratoire IRHiS UMR-CNRS 8529 – INHA Domaine « Histoire de l’Architecture ».
Comité scientifique
Stefan Albrecht, Univ. Bamberg.
Anna Bergmans, Univ. Gand.
Fabienne Chevallier, Musée d’Orsay.
Thomas Coomans, Univ. Leuven.
Gilles Maury, ENSAP-Lille.
Bruno Phalip, Univ. Clermont-Ferrand.
Muriel Verbeeck, ESA Saint-Luc, Liège.
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