Appel à communication : « Variations sur l’outrance : esthétiques et expressions culturelles du trop aux XXe et XXIe siècles » (Limoges, 29 janvier et 8 avril 2016)

Paul-McCarthy, Installation, 1994« Rien de trop », pouvait-on lire sur le fronton du temple de Delphes, à côté de la fameuse sentence socratique « Connais-toi toi-même ». L’inscription pose le « trop », associé à l’idée de quantité, comme le dépassement répréhensible d’un degré convenable, de cette juste mesure dont Alain Brunn rappelle, dans son ouvrage Mesure et démesure, qu’elle est une vertu essentielle dans la pensée philosophique grecque. Il l’associe au concept grec d’hybris (« démesure », « violence injuste », « insolence », « absence de vergogne ») qui traduit ce qui excède l’homme : la démesure s’oppose, dans la conception sophistique, à l’honneur et à la justice, c’est-à-dire à la norme publique du comportement, puis, dans la pensée aristotélicienne, à la prudence, à la tempérance et au juste milieu. En d’autres termes, elle se définit comme une mauvaise proportion des choses, le bouleversement d’un ordre donné.

L’excès et la démesure représentent par conséquent l’autre pôle d’une dialectique morale qui met en évidence le jugement négatif traditionnellement porté sur l’idée de trop-plein, de surplus : ils vont à l’encontre de la sagesse, en ce qu’ils sont la conséquence de la violence des passions humaines qui tendent naturellement à déborder l’individu. Dans un tout autre contexte, à l’époque baroque, les jugements suscités par les excès d’une esthétique opposant la profusion, l’exubérance et le mouvement à l’harmonie et à l’équilibre du classicisme, sont un autre exemple de ce regard réprobateur porté sur l’outrance : Eugenio D’Ors rappelle ainsi que de telles caractéristiques valurent au baroque d’être communément considéré comme un art décadent, « un style pathologique, une vague de monstruosité et de mauvais goût », en rupture avec la création académique, et sa recherche d’une posture stable et raisonnable.

L’ambition de la présente réflexion est de dépasser ce jugement subjectif et réducteur afin d’extraire l’outrance du champ sémantique dépréciatif dans lequel elle est souvent circonscrite. Difficile à saisir faute de contenu déterminé, cette dernière s’impose comme une expérience de la limite, ou, pour reprendre les mots de Magali Tirel, auteure d’une thèse consacrée à l’excès, du « hors-limite » en ce qu’elle évoque nécessairement l’idée de transgression d’un seuil, dans le double sens physique et normatif du terme. L’outrance a aussi à voir avec l’excentricité, entendue dans le sens littéral d’écart, de ce qui échappe à la norme, et, par conséquent, avec la déviance et la marginalité. Le franchissement ou la déviation peuvent aller jusqu’à la subversion, c’est-à-dire au bouleversement, et même à la destruction de l’ordre établi. C’est cette limite malmenée, outrepassée et/ou déformée, qu’il conviendra d’interroger, en tenant compte de la subjectivité inhérente à une notion qui n’a de cesse de se remodeler en fonction des époques et des publics, et constitue par là même un véritable marqueur de sensibilité.

La bibliographie spécifiquement consacrée à ce sujet étant extrêmement réduite (1), notre objectif est de tenter de cerner les contours de l’outrance en la mettant en perspective, notamment, avec des notions similaires ou proches – l’excès, la démesure, le débordement, la distorsion –, mais aussi avec des concepts corollaires tels que la monstruosité ou l’obscène, par exemple. C’est une approche nécessairement plurielle du sujet qui s’impose, tant la variété des expériences que recouvre l’outrance est large : qu’elle soit érigée en écriture, en concept esthétique, ou bien reflète une posture sociale et/ou idéologique, individuelle ou collective, elle est une expression dont il importera d’examiner les modalités et les enjeux. Il s’agira d’explorer les multiples variations culturelles – littéraires, artistiques, linguistiques et sociales – de cette notion polymorphe en nous centrant chronologiquement sur les XXème et XXIèmesiècles. Le champ de la réflexion est ouvert à toutes les aires géographiques et cette dernière se nourrira de travaux menés en littérature (roman, théâtre, poésie…), en arts visuels (peinture, photographie, bande dessinée, cinéma…), en linguistique, en sciences sociales et en études culturelles. Ces échanges auront lieu dans le cadre de journées d’étude interdisciplinaires qui s’articuleront en deux volets.

Envoi des propositions

Rédigées en français, les propositions de communication de 300 mots maximum comporteront un titre et seront accompagnées de mots-clés, dequelques références bibliographiques, ainsi que d’une présentation de l’auteur(e) de 5 à 10 lignes. Elles seront envoyées à outrance2@gmail.com, avant le 1er novembre 2015.

Acceptation des communications : 15 décembre 2015.

Une publication des actes de ces journées d’étude est envisagée.

Journées d’Étude, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Université de Limoges, 29 janvier et 8 avril 2016. Les journées sont organisées par EHIC « Espaces Humains et Interactions Culturelles » (EA 1087, Université de Limoges), en partenariat avec l’École Doctorale n° 525 Lettres, Pensée, Arts et Histoire (Université de Limoges).

Organisatrices :

Rocío González Naranjo, docteure de l’Université de Limoges et de la Universidad de Huelva, chercheuse associée à EHIC (EA 1087).

Diane Bracco, (ATER, Département d’Études Ibériques et Ibéro-américaines de l’Université de Limoges), docteure de l’Université Paris 8, membre du Laboratoire d’Études Romanes (EA 4385).

1.  Dans le domaine de la littérature, nous pouvons signaler la publication de Tiphaine Samoyault, Excès du roman, paru en 1999 aux éditions M. Nadeau, ainsi que les travaux menés par le Centre de recherche sur les pays lusophones et dirigés par Jacqueline Penjon, Trop c’est trop : études sur l’excès en littérature (2005) et Débordements : études sur l’excès (2006), édités par les Presses de la Sorbonne Nouvelle.

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