Appel à contribution : « Ce que la censure fait à l’exposition : stratégies de monstration, contournements et nouvelles donnes » (revue ExPosition)
Le prochain dossier de la revue propose de considérer la place de la censure dans les expositions d’art contemporain et d’interroger les systèmes et procédés de monstrations, repensés ou alternatifs, qui sont mis en place pour contourner les interdictions politiques, à savoir la privation de la liberté d’expression ou de se mouvoir. Loin d’être un inventaire complet, les exemples et questionnements qui suivent viennent nourrir les réflexions sur ce sujet que l’on espère prolifique.
En 2005, la photographe britannique Leah Gordon et le plasticien haïtien André Eugène fondent à Port-au-Prince, dans le quartier de Grand Rue, la Ghetto Biennale. Partant du constat que les œuvres haïtiennes voyageaient pour servir des expositions internationales sans être accompagnées de leurs auteurs, régulièrement privés de visa et victimes de censure sous couvert de lois migratoires, ils décident que les événements artistiques auraient lieu in situ. Pari fou, peut-être pour un pays riche culturellement mais aux infrastructures défaillantes, pari néanmoins couronné de succès. Plus de dix ans plus tard, l’événement existe toujours. Ce qui est proposé là n’est pas la simple proposition d’une nouvelle biennale d’art contemporain, à la suite d’Istanbul, Dakar, Johannesburg ou Shanghai par exemple, car les expositions de la Ghetto Biennale doivent s’adapter aux moyens du bord, s’inventer de nouvelles formes à faible économie, obéir aux règles des collectifs d’artistes locaux et s’adresser à un public aux sensibilités multiples. En outre d’un réinvestissement des pratiques curatoriales et pédagogiques, l’objectif de la Ghetto Biennale est de malmener la trop présente dichotomie Centres/Périphéries en invitant – sans aucune subvention – les porteurs du discours dominant à travailler sur place. Ainsi, artistes, critiques, architectes, commissaires doivent, afin d’y participer, être porteurs d’un projet territorialisé et favorisant les échanges avec les artistes haïtiens. Si l’événement est baptisé « biennale » et qu’il est doté d’un appareillage critique et théorique relativement classique dans la forme (catalogue rétrospectif, entre autres), le souhait des initiateurs est de concevoir des modèles d’exposition inédits. Ici, comme ailleurs, les difficultés de circulation des artistes, acteurs de l’art ou œuvres obligent à mûrir des solutions parallèles et innovantes. On pourra alors se demander si les exemples de décentralisation culturelle dus à la censure sont pléthore et, le cas échéant, quels en sont les aboutissements en terme de diffusion ? Quelles formes spécifiques peuvent prendre de telles expositions ? Les auteurs, artistes, commissaires travaillant sur ce sujet d’un point de vue global ou par le prisme d’un exemple précis, sont vivement invités ici à partager leurs recherches.
Parler de censure dans le monde de l’art n’est pas chose nouvelle, cependant les formes d’expositions qu’elle engendre prennent des formes variées, innovantes, camouflées ou indisciplinées que les nouvelles technologies peuvent soutenir, entre autres. Ainsi, dans les pays subissant de fortes répressions, de plus en plus d’expositions et de collections se font virtuelles et se visitent seul ou en petit groupe hors du domaine public. Qu’implique alors ce mode de présentation aplanissant les œuvres, abolissant les médiums autant que la scénographie ? L’utilisation du numérique inventerait-elle des manières de monstration innovantes et en dehors des cadres – plus – traditionnels connus ? L’exposition – ou la monstration, il faudra d’ailleurs se questionner sur les dénominations de ces formes de diffusion – ainsi donnée à voir dans la sphère privée par un regardeur isolé, si elle a l’objectif constant d’instruire et d’activer les idées, peut-elle encore induire chez le spectateur l’opportunité de pensées collectives ? Est-il alors pensable, dans les pays où sévit la censure que l’exposition devienne polymorphe : en somme, ce qui s’expose publiquement serait-il amplifié par des avatars numériques approfondissant la réflexion à l’abri des interdits ?
Afin de ne pas souscrire à la tentation de l’enclosure de l’art et à l’accroissement de son enfermement dans les classes sociales aisées ayant les outils nécessaires pour contourner la censure qui empêche autrement un accès ouvert au web, d’autres préfèreront travestir le vocabulaire artistique. L’exposition devient un événement créatif, l’œuvre d’art un artefact décoratif et le lieu un café ou un restaurant. Renommer donc pour exposer. Il faudra alors se questionner sur la visée de cette lexicologie de camouflage quant à la place singulière qu’occupe normalement l’œuvre et son impact sur celui qui fréquente l’exposition. L’originalité inhérente à l’art et la lecture particulière qu’en propose l’accrochage ne sont-elles pas mises à mal ? Et celui qui la fréquente est-il dupe ou dupé ? Dupée, hélas et malgré ces stratégies, la censure ne l’est pas toujours. Les fermetures d’exposition sont ordinairement fréquentes, irrationnelles et violentes – l’exemple servant de modèle, le délit de blasphème est brandi à tort et à travers.
Montrer l’art dans ces situations de privation de certaines libertés relève inlassablement de l’urgence et lui enlever toute valeur officielle peut apparaître comme une solution. L’exposition peut se faire alors portative obligeant à une miniaturisation des œuvres afin de trouver place dans une galerie lilliputienne. En 2005, Evelyne Jouanno, à l’initiative de l’Emergency Biennale qui prend place dans des lieux clandestins en Tchétchénie, et épaulée par Jota Castro, invitent d’autres artistes à créer une œuvre contenue dans un système de monstration pouvant se glisser dans la valise diplomatique afin de voyager clandestinement jusqu’à Grozny, puis de continuer sa circulation à travers le monde. « Reste qu’entre ces deux balises historiques, l’art portatif n’aura eu de cesse de faire dérailler la machine, celle du musée et de l’impossible face à face qu’il orchestre entre les œuvres et le spectateur, celle du marché, celle du champ politique aussi quand il se conçoit le plus souvent comme un art de l’urgence. », évoque Claire Moulène dans Une histoire de l’art portatif[1].
L’exposition devient nomade et protégée – normalement – par les institutions étrangères relais (ambassades, centres culturels étrangers etc.). Réduire donc la forme d’exposition afin d’augmenter sa mobilité et son impact sur un public large est aussi une méthode adoptée par les cultures underground à l’aide des tracts et prospectus. Interloqués face aux interdictions sévères que subissent les expositions au Vietnam, les deux artistes newyorkais Aiden et Nu se saisissent en 2014 de la forme du fanzine comme lieu d’exposition des œuvres de la communauté LGBT. Loin d’être une petite revue facilement dissimulable dans la sphère privée, elle a pour but de relier les membres de la communauté entre eux et d’être le fruit d’un travail collectif.
Pour ce nouveau numéro, la revue exPosition encourage des propositions explorant les modes d’expositions soumises à la censure. Quelles sont les stratégies adoptées par les acteurs des expositions (artistes, commissaires, directeurs de lieux…) qui subissent la censure ? Comment ces nouvelles formes de monstration agissent-elles sur le spectateur ? Quelle place peuvent-elles prendre dans l’écriture de l’histoire de l’art et, plus particulièrement, dans celle de l’exposition ? Ces pistes, loin d’être exhaustives, appellent à être complétées par d’autres explorations et discussions.
Les artistes, commissaires, directeurs de lieux, critiques, universitaires, sont invités à partager leurs expériences et leurs recherches de manière à comprendre les mécanismes employés pour contourner la censure en s’appuyant sur des exemples précis ou des analyses globales argumentés.
Modalités :
Les propositions pourront être soumises à Marion Duquerroy, la coordinatrice de ce dossier thématique jusqu’au 25 juin 2018 à l’adresse suivante : marionduquerroy@yahoo.fr. Ces textes prendront la forme d’un résumé de 3000 signes maximum, contenant un titre – même provisoire – et une problématique précise.
En cas d’avis positif (début juillet 2018), l’auteur s’engagera à remettre son article entièrement rédigé (40 000 signes maximum, espaces et notes incluses) en s’assurant du respect des normes de la revue pour le 30 septembre 2018.
Une fois reçu, le texte sera anonymé et soumis à une évaluation en double aveugle assurée par les membres du comité de rédaction et des experts extérieurs formant le comité de lecture propre à chaque numéro. À l’issue du processus d’évaluation, l’auteur recevra les avis argumentés de ses trois relecteurs. Son texte pourra être accepté, soumis à correction ou refusé.
[1] Moulène Claire, « Une histoire de l’art portatif », Revue Initiales, n°21, en ligne : <http://www.revueinitiales.com/pdf/gm/INITIALES_21_moulene.pdf>, consulté le 15/05/2018.
Vous pouvez soumettre tout au long de l’année des propositions d’articles pour la rubrique « Varia » en envoyant un mail à contact@revue-exposition.com, sous la forme d’un résumé de 3000 signes maximum, contenant un titre – même provisoire – et une problématique précise.
Leave a Reply
You must be logged in to post a comment.