Appel à contribution : Orients ? L’architecture entre altérité, internationalisation et fin de l’ethnocentrisme (Paris, 10 juin 2016)

Journées d’études doctorales (Paris, INHA – 10 juin 2016)

Orients ?

L’architecture entre altérité, internationalisation et fin de l’ethnocentrisme

Journée d’études doctorales proposée par Simon Texier (Université de Picardie, CRAE) dans le cadre du séminaire doctoral en Histoire de l’architecture organisé par Anne-Marie Châtelet (EA Arche, ENSA Strasbourg, Université de Strasbourg), Hélène Jannière (EA Histoire et critique des arts, Université Rennes 2) et Jean-Baptiste Minnaert (InTRu, Université François-Rabelais, Tours).

« Il me semble que je devais aussi opposer une résistance intérieure à l’idée d’une complète transformation de ces pays, que l’on me prouvait obligés, pour y arriver, de passer par l’Occident, par ses sciences, ses méthodes, ses idéologies, ses organisations sociales systématiques.

J’aurais voulu que l’Inde au moins et la Chine trouvent le moyen de s’accomplir nouvellement, de devenir d’une nouvelle façon de grands peuples, des sociétés harmonieuses et des civilisations régénérées sans passer par l’occidentalisation[1]. »

Dans l’histoire des évocations de l’Autre, ces mots de l’écrivain Henri Michaux sont l’exception plutôt que la règle. Le regard de l’Occident sur les mondes lointains s’est en effet plutôt traduit par une projection de soi, qu’elle se manifeste in visu (représentation) ou in situ (production). Quand, par exemple, les écrivains jésuites du XVIe siècle décrivaient les villes chinoises ou mexicaines, ils voyaient d’abord Venise ou figuraient géométriquement des villes qui ne l’étaient pas ; à travers cette géométrie, toutefois, « la ville constitue un parangon de civilisation et institue l’Autre, l’étranger, comme le partenaire d’échanges sociaux[2] ». La production de la ville serait ainsi le signe le plus éloquent de l’humanité de l’Autre, dont l’identification et la représentation constituent aussi, par conséquent, une forme d’édification : édification graphique et intellectuelle, voire institutionnelle. Qu’en est-il après – et au terme de – cinq siècles d’hégémonie occidentale en matière de production de l’espace ? Quand un historien européen ou américain observe aujourd’hui Dubai ou Shanghai, il convoque encore fatalement ses propres images et des modèles familiers qui, de fait, ont été l’objet d’un intense processus d’import/export depuis la fin du XIXe. Mais cette projection de soi revêt désormais un caractère réflexif qui, à lui seul, peut être vu comme une rupture dans l’histoire des interactions culturelles. L’altérité n’est plus tant un outil de construction de soi que le miroir déformant dans lequel la modernité observe les métamorphoses de ses fondements.

Laissant de côté la question du colonialisme, territorial et/ou culturel, ce sont ces régimes d’analyse que l’on cherchera à explorer, en partant du postulat que la période actuelle marque ou devrait marquer un grand tournant épistémologique – du même ordre que celui qui touche la culture technique[3] ou l’anthropologie[4] – dans le domaine de la recherche à caractère comparatif. Car depuis le XVIIIe siècle et jusqu’à il y a une trentaine d’années – c’est-à-dire avant la globalisation –, la notion d’universalisme était essentiellement perçue comme une idée occidentale et, ce, malgré les contours qu’avait pu en proposer Emmanuel Kant dans son Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique (1784). À l’inverse, la propension à l’internalisation de l’Autre (ce que certains nommeront inclusion additive[5]) qui caractérise notre présent cosmopolitique rend désormais possibles des universalismes divers, oxymore aussi prometteur que celui de « folklore planétaire » développé, dans les années 1960, par le plasticien Victor Vasarely. Or l’état présent de l’architecture semble témoigner, entre autres, d’une capacité du modernisme occidental à se survivre en se fondant dans des situations et des contextes d’une grande diversité.

Dans cette perspective, nous entendrons par « Orients » un ensemble volontairement large d’espaces culturels (arabo-musulman, indien, extrême-oriental, etc.), de concepts, de formes considérés comme autres, dont l’architecture occidentale s’est non seulement nourrie à travers les siècles, mais qu’elle a aussi constamment regardés et interprétés. Plus spécifiquement, l’européocentrisme a fait de l’Orient un paradis, un exutoire, une source d’inspiration et l’instrument d’une quête de soi. Reprenant le postulat selon lequel l’orientalisme du XIXe siècle fut, avant tout, un regard de l’Occident sur lui-même[6], il est possible d’élargir le champ d’analyse mais encore de l’inverser. La donne a en effet radicalement changé aujourd’hui ; c’est pourquoi cette journée d’études entend moins enrichir le corpus, déjà très riche, des travaux sur l’orientalisme dans son acception habituelle[7], que susciter de nouvelles approches sur les problématiques des regards, des transferts, des analyses comparatives.

L’architecture et l’urbanisme expriment avec une force particulière les mutations qui s’opèrent dans les rapports qu’entretiennent les mondes – on évitera d’employer le terme de civilisation – les uns avec les autres. Quels sont donc les Orients de l’architecture aujourd’hui, quels était-ils en 1950, en 1800 ou 1600 ? De quelles images ont-ils été les vecteurs ? Dans quelle mesure l’Occident a-t-il été et est-il un Orient pour certains (cf. le cas des reconstitutions de morceaux de villes européennes dans les villes chinoises) ? Qu’en est-il par ailleurs de la notion d’exotisme ? En remontant jusqu’au XVIe siècle, on pourra mettre en évidence des corpus de représentations (cartes, peintures, gravures, dessins de paysage et d’architecture), des lieux à partir desquels un jeu de transferts s’est opéré. On attend également des études sur l’émergence actuelle de modèles urbains et de scènes architecturales puisant à la fois dans l’héritage moderniste occidental et dans une large palette de références locales. Peut-on parler de synthèse, de syncrétisme, de nouveaux modèles destinés à s’exporter bien au-delà de leur lieu d’éclosion ? La mondialisation invalide-t-elle ou renforce-t-elle au contraire les notions d’identité culturelle et de transferts artistiques ?

Le spectre des propositions est, on le voit, volontairement vaste : sur le plan spatial il est ouvert à tous les continents ; sur le plan chronologique il appelle des communications qui donneraient à voir une certaine unité des périodes moderne et contemporaine.

Les propositions doivent être adressées d’ici le 25 mars aux adresses suivantes :

chatelet.schmid@wanadoo.fr, helene.janniere@club-internet.fr,

jean-baptiste.minnaert@univ-tours.fr, texiersimon@free.fr

[1] Henri Michaux, « Préface nouvelle » (mai 1967), Un barbare en Asie, Paris, Gallimard, 1967 (1ère édition 1933).

[2] Marie-Christine Gomez-Géraud, « Représenter les cités lointaines au xvie siècle. Palais orientaux et villes indiennes », La Forme de la ville de l’Antiquité à la Renaissance (dir. Stéphane Bourdin, Michel Paoli et Anne Reltgen-Tallon), Rennes, PUR, 2015, p. 189.

[3] Antoine Picon, Culture numérique et architecture. Une introduction, Bâle, Birkhäuser, 2010.

[4] Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.

[5] Jacinto Lageira, « Divers, pour une esthétique cosmopolitique », Suspended spaces 3. Inachever la modernité, Paris, Les Beaux-Arts de Paris Éditions, 2014, p. 266-276.

[6] Edward W. Saïd, L’Orientalisme. L’Orient construit par l’Occident, 1978, Paris, Le Seuil, coll. « Points », 2005.

[7] Le numéro « Figures de l’orientalisme en architecture » (dir. Catherine Bruant, Sylviane Leprun et Mercedes Volait), Revue du monde musulman et de la Méditerranée, n° 73-74, Aix-en-Provence, Édisud, 1996 a été suivi d’une très large moisson d’enquêtes sur l’architecture et l’urbanisme contemporains dans le monde arabo-musulman.

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