Appel à contribution : Regard·s homoérotique·s / Images re-vues

Date limite: propositions, 30 septembre ; articles,  30 novembre 2018

Regard·s homoérotique·s

Images re-vues N °17

Numéro coordonné par Giorgio Fichera et Chloé Maillet

Pietro di Cristoforo Vannucci, dit le Pérugin, Saint Sébastien, 1495, Musée du Louvre, Paris

Qualifier une image d’homoérotique sous-entend deux idées : que les images ont une performativité (érotique c’est-à-dire qui suscite un désir sexuel ou amoureux) et qu’on peut leur assigner une « préférence » sexuelle, en l’occurrence homosexuelle, bien que le terme n’existe que depuis la fin du XIXe siècle. Se construire et se reconnaître aujourd’hui en tant que personne homosexuelle ou queer c’est aussi se lier à un patrimoine-matrimoine d’images qui a participé à la création de ces identités. Dans un ouvrage récent, Elisabeth Lebovici a montré l’enjeu politique des représentations culturelles durant les années sida (Lebovici, 2017). Nous ne cherchons pas à identifier des représentations des sexualités, mais à comprendre ce que font les images. Ce numéro voudrait contribuer à élargir et préciser les liens entre la construction des images et des sexualités.

Ceci dit, le concept d’homoérotisme, qui relève de la question de l’efficacité des images et donc affaire de re-présentation (Marin, 1993), est très, sans doute trop, marqué par une connotation psychanalytique. Le concept d’» homoérotisme » est d’abord défini, à la fin du XIXe siècle, comme le désir pour le même sexe dans le « passage » entre l’autoérotisme enfantin et l’hétérosexualité, selon une idée linéaire de la sexualité qui impliquerait une « phase homosexuelle ». Si désormais les concepts ne conviennent plus à des définitions des sexualités plus larges et plus précises (dans la vie comme dans les théories et les études LGBTQI+) les mythes historiographiques persistent, contribuant à la formation d’un « imaginaire homosexuel »  ancré dans le « sens commun » (Halberstam, 2011) qui a encore aujourd’hui une certaine performativité malgré les remises en cause de la pensée straight (Wittig, 1992).

Pourtant Linda Nochlin nous a invité depuis longtemps à complexifier les rapports entre identité sociale (genrée et sexuelle) et production artistique au sein de l’histoire de l’art (Nochlin, 1971). L’homoérotisme interrogé par l’image pose le problème de la coïncidence entre œuvre et producteur·rice, de l’époque dans laquelle il se situe. Les images peuvent-elles témoigner de la sexualité d’un moment historique ? Si la biographie d’un artiste inclut son orientation sexuelle, est-il pour autant valable de penser que les images que l’artiste produit en soient le reflet ? L’historien et militant John Boswell (1985) a reposé les questions longtemps évincées : est-ce que l’omniprésence de nus masculins sur les chapiteaux de certaines églises romanes, par exemple, nous informe réellement sur la subculture gaie dans les monastères du XIe-XIIe siècles (Wirth, 1999) ?  En interrogeant les premières œuvres de Caravage, considérées  homoérotiques, Donald Posner (1971) détaillait les éléments visuels internes aux tableaux, déplaçant ainsi la question de l’homosexualité, associée au commanditaire et à l’artiste, aux mécanismes picturaux. Un déplacement du regard sur le « travail de l’image », figuratif et figural (Vancheri, 2015) qui fait de l’image un lieu de résistance à la catégorisation (Creissels, 2016), et par conséquence ouvre la réflexion sur la force et l’impact de l’image en matière de sexualité.

La réception sexuée, qui introduit le problème de l’anachronisme, inscrit également les images dans une trajectoire de sens, les soumettant à la projection d’une identité homosexuelle figée.

Mozat, Victoires, Saint-Pierre-de-Mozat, Auvergne, c. 1080 (ou milieu du XIIe siècle)

La fable d’Apollon et Hyacinthe, par exemple, est considérée comme le récit d’un premier amour entre hommes. Elle est devenue référence fondatrice autant pour les représentations visuelles que les jugements et les regards critiques portés sur cette image. Cette interprétation a conduit à des destins de réception inattendus, comme La Mort d’Hyacinthe de Jean Broc (1801), conservée au Musée Sainte Croix à Poitiers, dont l’association avec la peinture de David Hockney dans les années 1970 a fait une icône homoérotique, et le tableau désormais le plus emprunté du musée, quasiment toujours absent des accrochages du musée (Clauzier, 2013). Comme pour le cas de saint Sébastien qui, comme Karim Ressouni-Demigneux (2000) avait montré, a été cristallisé en personnage « charmant » par le Pérugin avant d’entrer dans la culture visuelle homoérotique au cours du XIXe siècle.

La question se pose donc pour et dans le regard. Et cette question inclut une interrogation genrée. La tradition d’une construction « masculine » du regard (spectateur/observateur) voudrait que les images soient féminines, et le spectateur masculinisé. Laura Mulvey l’a théorisé pour le cinéma en Male Gaze (1975). La construction homoérotique de l’image est-elle aussi masculinisée ? Elle l’a été par l’historiographie du XIXe siècle qui a construit l’imaginaire « homosexuel » masculin. Les critiques contre ce regard au cinéma et dans les musées sont anciennes, et la fameuse installation de Zoe Leonard à la Documenta 1992, qui avait remplacés certaines œuvres du musée en photographies de vulves en avait créé une image frappante. Comment l’imaginaire lesbien construit-il le regard ? Qu’ont en commun les œuvres célébrées de Lubaina Himid (Turner Prize 2017), avec l’histoire lesbienne de l’art ancien ? Que signifie l’exposition des œuvres de Rosa Bonheur dans une histoire LGBTQI+ (Lesbien·ne Gay Bi Trans Queer Intersexe et plus) de l’art ?

A partir de ces questions, nous souhaiterions réunir des contributions autour de nouvelles interrogations apportées par les études sur les sexualités, les regards portés dans les images et sur les images. L’idée qui nous anime n’est pas de publier des catalogues d’images autour d’une thématique, mais bien d’interroger la manière dont les images contribuent à la définition des sexualités. Le numéro s’adresse à toutes les périodes historiques s’ouvre à l’histoire de l’art, à l’anthropologie visuelle, et aux historien·ne·s des images. Une attention particulière sera portée aux propositions concernant sur l’art ancien, sur lequel les lacunes historiographiques sont plus importantes.

 

Des propositions de 3000 signes maximum sont à adresser avant le 30 septembre 2018. Les articles sont à adresser avant le 30 novembre 2018

à chloemaillet@yahoo.com et giorgio.fichera@gmail.com

 

Appel à contribution PDF : Regard·s homoérotique·s

Bibliographie indicative :

Leo Bersani et Ulysse Dutoit, Caravaggio’s Secrets, Cambridge-London, The MIT Press, 1998

Boswell, John, Christianisme, tolérance sociale et homosexualité : les Homosexuels en Europe occidentale des débuts de l’ère chrétienne au XIVe siècle, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 1985

Giovanni Careri, « Un regard mordu par un lézard. Note sur un tableau du Caravage », Luca Acquarelli (dir.), Au prisme du figural. Les sens des images entre forme et force, Rennes, Presses Universitaire de Rennes, 2015

Daniel Clauzier, « Origine et développement d’une iconographie », Jean Broc, La mort d’Hyacinthe, Musées de Poitiers, 2013

Anne Creissels, « Mythe/Metamorphose », Juliette Rennes (dir.), Encyclopédie critique du genre, La découverte, Paris, 2016

Whitney Davis, Queer Beauty, Sexuality and Aesthetics from Winckelmann to Freud and Beyond, Columbia University Press, 2010

Mechthild Fend, Les limites de la masculinité. L’androgyne dans l’art et la théorie de l’art en France (1750-1830), Paris, Éditions INHA-CAHA-La Découverte, 2011

Guy Hocquenghem, Le désir homosexuel, Paris, Éditions Universitaire, 1972

Patrick Johnson, and Handerson, Queer Black Studies, A critical Anthology,  Duke University, 2005

Elisabeth Lebovici, Ce que le sida m’a fait, Art et activisme à la fin du XXe siècle, Paris, JRP Ringier, 2017

Eve Kosofsky Sedgwick, Epistemology of the Closet, Berkeley, University of California Press, 1990

Masculin-Masculin. L’homme nu dans l’art de 1800 à nos jours, cat. exposition, Paris, Musée d’Orsay, RMN, 2013

Linda Nochlin, “Why Have There Been No Great Women Artists?”, Art News, 1971

Donald Posner, Caravaggio’s homo-erotic early works, Art Quarterly, 1971

Queer British Art 1861-1967, Clare Barlow (dir.), London, Tate Publishing, 2017

Karim Ressouni Demigneux, « Le culte de saint Sebastien », Dictionnaire des cultures Gaies et Lesbiennes, sous la direction de Didier Eribon, Editions Larousse, 2003

Karim Ressouni Demigneux, « La personnalité de saint Sébastien : exploration du fonds euchologique médiéval et renaissant, du IVe au XVIe siècle », Mélanges de l’École française de Rome. Moyen-Age, tome 114, n°1. 2002. pp. 557-579

Florence Tamagne, Mauvais genre, une histoire des representations de l’homosexualité, Paris, Éd. LM, 2001

Monique Wittig, The Straight Mind and Other Essays, Boston, Beacon Press et Hemel Hempstead, Harvester Wheatsheaf, 1992

Jean Wirth, L’image à l’époque romane, Le cerf, 1999

 

 

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