Comité: Marie C. Seguin, Bernadette Mimoso Ruiz, Dastugue Gérard
Publication : Presses Universitaires ICT, prévue en octobre 2022
Article : 4500- 6000 mots, Times New Roman 12, interligne double
Résumé: 100-120 mots + mots clé
Ce thème nous est suggéré par l’action actuelle, à l’échelle mondiale, de la démolition et de l’abattement des statues, des stèles dans un geste de destruction volontaire des vestiges, symboles et icônes du passé liés à l’histoire coloniale et impériale, acte que l’on peut considérer comme une mise en ruines en tant que telle. Pouvait-on imaginer une liquidation des ruines-vestiges du passé pour signifier la ruine d’un passé ? Lorsqu’on remplace un état -un objet ou une forme- par un autre, c’est moins pour atteindre celui-ci que pour échapper de celui-là, écrivit Giorgio Agamben dans Stanze. La nouvelle forme, état ou objet, en tant que « Facticia » comme « objet féérique ou enchanté » et du latin « Facere – Facio » pose le rapport avec la valeur religieuse de « faire un sacrifice ». On a l’image des incendies des véhicules dans les zones urbaines des grandes cités, les casses des vitrines des magasins. Ce statut de la ruine illustre le mécanisme et symptôme de l’objet-fétiche décrit par Barthes, dans nos sociétés contemporaines. Comme le révèle l’ambiguïté de tout changement, l’état -ou la forme- de référence se trouve négativé en même temps qu’évoqué, dans la grandeur ou la beauté du résultat. La temporalité propre aux ruines filmées, photographiées et filées dans des images métaphoriques, débordée entre passé et présent, offre une inscription du temps sur la matière qui se perd. Cette valeur esthétique du « détruit », un bon nombre de cinéastes comme Delpeut, et Morrison l’ont traitée, mais qu’en est-il des photographes et des romanciers depuis la modernité ?
Le caractère hybride fondamental de la ruine réside dans le principe stylistique de l’art moderne du non-fini ou de l’inachevé en tant que point d’évitement de la limite ; si le cinéma est un « art moderne des ruines » (Païni), la photographie, la musique et la littérature trouvent aussi une certaine part de leur modernité dans les ruines, que ce soit par l’image, la mélodie ou dans la représentation des formes actuelles du discours. Dès lors, on peut penser que les ruines informent directement et indirectement un nouveau régime de signes : « comme celui du cinéma de « l’image-temps » deleuzien, [voir aussi les travaux de Didi Hubberman] pensé à partir de la seconde guerre, où se développe une sensibilité ruiniste, pas encore un goût pour les ruines, mais plutôt la reconnaissance d’une sorte d’évidence -ou d’évidement- des ruines…». (A. Habib). La ruine, les ruines nous offrent une certaine façon de concevoir les esthétiques actuelles, passées au filtre de l’interprétation postmoderne de la société tels le nihilisme, l’incertitude, la fragmentation, la fin des discours totalisants : « une ruine de la fiction, la valorisation de l’errance, la perte géographique et individuelle de repères, les décadrages, la rupture des enchaînements, des structures déliées ». On pourrait ainsi demander quelle est la relation entre la valorisation des esthétiques fragmentées, elliptiques, et la ruine réelle, physique? De fait, les traits de la nouvelle image et des nouvelles métaphores, telles que sont la : « […] (situation dispersive, liaisons faibles, forme-balade, errance, conscience des clichés, dénonciation) sont pensables à partir des ruines, des situations optiques et sonores pures qu’elles instaurent, d’un nouveau régime de signes qu’elle mobilise et, surtout, d’une nouvelle perception du temps : une image directe du temps ». (A. Habib)
La problématique générale est le suivante:
En quoi les ruines, saisies dans leur intention d’inscrire des signes du présent, soutiennent-elles une société engagée jusqu’à la lie dans une interprétation postmoderne de ses réalités, quels en sont les répercussions dans notre mode de vivre (en) la société du XXI ° siècle ?
« les ruines sont d’étranges médiatrices, car elles représentent une continuité historique à partir de la coupure qu’elles représentent ; elles inscrivent les choses dans l’histoire, précisément parce qu’elles ont interrompu l’histoire. Les ruines sont l’image d’un arrêt du temps sur l’histoire, ou de l’histoire sur le temps ». (A. Habib)
Qu’en est-il aujourd’hui dans la démolition des vestiges ou ruines du passé ? N’est-on pas en train de ré-écrire une histoire, une histoire palimpseste, et d’inscrire dans un mouvement historique cette inscription du passé, lesquels font émerger les nouveaux signes du présent ? Quelles sont ces signes émergents, quels en sont les agents, les vecteurs et les limitations que cela engendre ?
AXE 1= Esthétique de l’incomplétude
L’image (métaphore), à l’origine, « pense » et repose sur « laisser des traces ». Il s’agira de se demander quel est le sens de la valorisation esthétique et historique de la ruine dans le geste de mettre en ruines ou élever des ruines par l’image, le cinéma, la photographie, la littérature. On analysera ici le vouloir raconter la dégradation et le devenir d’un avant et d’un après par l’incomplétude de la ruine, par l’aspect fragmentaire de la ruine, dans son vestige physique mais aussi dans le symbole qu’elle représente. La question peut être déclinée ici sous un aspect philosophique et l’aspect sociologique trouve ici aussi sa place.
AXE 2 = Temps détruit et renouvelé
A travers l’image, qui selon Didi-Huberman est une « cendre vivante », on voit l’empreinte vivante du temps exposé vers un temps orienté vers la finitude, en tant que signe engagé dans le temps humain. On imagine des paysages urbains ou naturels où la mise en ruines invite à un nouveau regard, à de nouveaux codes, à une renaissance du temps. La dimension ostentatoire des ruines « parce qu’elles ne peuvent plus servir à articuler une action, qu’en elles se sont arrêté le temps; » (A. Habib) change lorsqu’on procède à leur destruction. Souvent, il faut d’abord mettre en ruine pour reconstruire ou pour mieux construire. La ruine aussi peut nous enseigner sur la fragilité et l’éphémère, corolaires du temps actuel. Est-ce que mettre à bas les signes du temps arrêté, revient à vouloir faire table rase du passé ou encore nous oblige à revisiter le passé?
AXE 3 = L’imaginaire et la créativité
Il s’agira de se demander quel est le nouveau sens qui s’offre à notre imaginaire dans l’action de mettre en ruines des symboles, des statues, des monuments et icônes partout dans le monde, et de se demander comment les cinéastes, les documentaristes, les romanciers s’emparent de cette nouvelle source de sens. La mise en ruines que l’on observe aujourd’hui est contraire à ce que Jean-Louis Déotte voyait dans la créativité artistique et littéraire comme un « mode d’apparaître des choses et de l’art », qui donne à voir de quoi une chose est faite, mais en la rendant non fonctionnelle. On s’interrogera ici sur les signes qui répondent à la construction et la production d’un imaginaire s’alimentant des soubresauts des sociétés actuelles à travers la mise en ruines des symboles du passé.
Bibliographie
AUGÉ, Marc, Le temps en ruines, Paris, Éditions Galilée, 2003.
CADAVA, Eduardo, « Lapsus imaginis : The Image in Ruins », October (no 96, 2001), p.35-60.
CHERCHI USAI, Paolo, The Death of Cinema. History, Cultural Memory and the Digital Dark Age, Londres, British Film Institute, 2001.
DELEUZE, Gilles, L’image –temps, Paris, Éditions de Minuit, 1985.
DÉOTTE, Jean-Louis, Oubliez ! Les ruines, l ’Europe, le Musée, Paris, Harmattan, 1994.
DUPREY, Jennifer “Ruins, Loss, Rebirh”, The Aesthetics of the Ephemeral: Memory Theaters in Contemporary Barcelona, State University of New York Press, 2014, p 39-80.
HABIB André, « Des ruines au cinéma : question(s) de temps » in Post-Scriptum, Université de Montréal, https://post-scriptum.org/02-04-des-ruines-au-cinema-questions-de-temps/
IZQUIERDO, Yolanda, “El emblema de las ruinas: alegorías de la alegoría en Walter Benjamin“, Pensar en ruinas: Jornadas interdisciplinarias, 21-23 de abril, Facultad de Estudios Generales, UPRRP 2009.
PAÏNI, Dominique, Le cinéma, un art moderne, Paris, Éditions de l’Étoile, Cahiers du cinéma, 1997.
RIEGL, Alois, Le culte moderne des monuments, son essence, sa genèse, trad. D. Wieczorek, Paris, Éditions du Seuil, 1984.
SCHEFFER, Jean Louis, « Du monde et du mouvement des images », Paris, Cahiers du cinéma, 1997.
SIMMEL, Georg, « Les ruines. Essai d’esthétique », La Parure et autres essais, trad. Florence Vinas, Paris, Éditions de la maison des sciences de l’homme, 1998 [1907], p.113.
ROSEN, Charles “The Ruins of Walter Benjamin” On Walter Benjamin: Critical Essays and Recollections, Ed. Gary Smith, Cambridge, London, The MIT Press, 1988, pp. 129-175.
VIRILIO, Paul, Bunker archéologie, Paris, Les Éditions du demi-cercle, 1991.
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