Appel à publication, Revue « Images du travail, travail des Images » : « Le monde ouvrier dans la photographie (1945-2014) »

Capture d’écran 2014-09-19 à 10.58.15Si le développement de la photographie et, par la suite, du cinéma a accompagné l’essor de la société industrielle, ni l’une ni l’autre n’ont eu le monopole de la représentation du monde ouvrier ; peintres, dessinateurs, caricaturistes ou propagandistes, notamment, ont largement contribué à produire des images du monde ouvrier aux fins les plus diverses. Photographes et cinéastes – producteurs de fictions ou documentaristes – n’en ont pas moins joué un rôle important : si les premiers se sont montrés plus constants dans leur volonté de donner à voir le monde ouvrier au travail, dans ses luttes ou dans son existence quotidienne, les seconds se sont montrés plus distants, quitte à témoigner plus récemment d’un regain d’intérêt (Cadé, 2000) pour le monde ouvrier, au moment même où, « morcelé et silencieux » (Autrement, 1992),  il tendait à devenir « invisible ». Et si les photographes n’ont pas souvent pu entrer dans le « laboratoire secret de la production » (Marx, 1867) – ou ont dû user de subterfuges divers pour y pénétrer – ils sont nombreux à avoir eu à cœur de documenter les conditions d’existence du monde ouvrier. Ce sont ces rapports complexes, entretenus par les producteurs d’images avec le monde ouvrier et les représentations qu’ils en ont proposées, qui nous intéresseront ici.

Pour resserrer la focale et viser l’un des secteurs de la production d’images sur le monde ouvrier, nous proposons de nous pencher plus particulièrement sur celles produites par les photographes. Comment leurs représentations du monde ouvrier ont-elles évolué ? En fonction des événements historiques ou des conjonctures économiques et sociales ? Des contextes culturels ? Comment ces représentations se sont-elles inscrites dans les discours tenus sur le monde ouvrier ? Au bénéfice de quels projets, idéologiques ou politiques ? Ont-elles contribué à nourrir les analyses en présence, à les infléchir ? En fonction des points de vue de ceux qui les produisaient ? Et si les photographes n’ont pas toujours pu entrer à leur guise dans les usines, les représentations du monde du travail n’en posent-elles pas aussi, comme en creux, la question de la possibilité même de photographier le travail ouvrier ? Quel rôle ont pu jouer l’outil qu’ils utilisaient ou les techniques qu’ils mettaient en œuvre ? Parmi toutes ces questions, celles qui renvoient aux représentations du monde ouvrier français proposées depuis la fin de la deuxième guerre mondiale jusqu’à l’effacement actuel – présumé – de la classe ouvrière, nous intéresseront plus spécialement.

Robert Doisneau a eu l’occasion de photographier les ouvriers au travail aux Usines Renault en 1947 ; ses photographies font écho à d’autres photographies du monde ouvrier, réalisées par d’autres photographes reconnus – nous pensons à celles de Gérald Bloncourt par exemple – ou de photographies saisies à la sortie de l’usine : aux ouvriers montrés par Robert Doisneau répond, par exemple, l’ouvrier qui apparaît sur la couverture du livre que Martine Sonnet a consacré à son père, également ouvrier chez Renault. Tous arborent les mêmes tenues et tous ont un béret vissé sur la tête ! S’agirait-il donc d’images typiques sinon iconiques ou, plutôt, d’images que le décalage temporel fait apparaître comme telles ? Ou alors d’images qui témoignent, plus modestement, d’un état particulier de la classe ouvrière française, saisie dans ses attitudes au travail ou au moment de la sortie de l’usine ? Il s’agira donc d’interroger ces images – celles que nous venons d’évoquer, certes, mais aussi toutes les autres, quelles que soient leurs conditions de réalisation – que les photographes nous ont données, leur mode production, leur signification dans leur contexte de production ou leur sens aujourd’hui. De prendre, en quelque sorte, la mesure du temps écoulé et des transformations qui ont affecté tant les manières de photographier le monde ouvrier que les modes de réception de ces photographies. De cerner les usages tant passés qu’actuels de ces photographies. D’interroger ces images depuis notre actualité et de les confronter aux images produites aujourd’hui sur le monde ouvrier.

C’est pourquoi nous souhaitons recevoir des textes qui prennent appui sur des photographies, dont il conviendra de préciser les conditions de production, pour en proposer une analyse qui cerne les circonstances ou le style d’une époque et se soucie de situer ces photographies dans une perspective historique ou dans leur actualité récente.

Le dossier pourrait s’organiser autour des trois questions suivantes :

  • Première question : photographier le monde ouvrier et / ou photographier le travail ouvrier ?

Si les photographes ont donné à voir les ouvriers au travail ou à la sortie de l’usine, ils les ont montrés aussi au cours de leurs luttes (grèves, manifestations notamment) ou dans leur milieu de vie. D’où cette question : s’il est possible de montrer le monde ouvrier en action ou dans son existence quotidienne, est-il possible de donner à voir le travail ouvrier en train de se faire ?

  • Seconde question : quelles représentations du monde ouvrier les photographes ont-ils proposées ?

Quelles images les photographes ont-ils données du monde ouvrier au cours de la période qui nous concerne ? Les images proposées révèlent-elles de la seule description du monde ouvrier – d’une volonté quasi documentaire – ou s’inscrivent-elles dans la dénonciation de ses conditions de travail ou d’existence ? Voire, au contraire dans une sorte d’idéalisation d’un groupe social appelé à transformer le monde ? Que nous disent ces images de la place, tant subjective qu’objective, du monde ouvrier dans la société au fil du temps ?

  • troisième question : photographier un monde devenu invisible ?

Les photographes ont grandement contribué à documenter les transformations du monde ouvrier : que nous disent leurs photographies aujourd’hui, à un moment où la classe ouvrière semble évincée du devant de la scène politique ? Où elle parait engloutie dans ce que d’aucuns désignent aujourd’hui par l’expression « classes populaires ». La photographie peut-elle encore – comment ? – montrer un groupe ouvrier qui serait devenu invisible ?

Ces questions sont ouvertes ; elles ne sont pas exclusives. L’organisation du dossier prendra forme à travers les articles qui nous seront effectivement proposés.

Modalités de soumission

Les propositions doivent satisfaire aux critères suivants : l’article reposera sur l’analyse d’un corpus d’images (uniquement des productions iconographiques, à l’exclusion des images mentales ou littéraires). Ces images, ou au moins une partie d’entre elles, figureront dans la proposition et seront reproduites dans l’article. Rappelons que Images du travail, travail des images  est une revue entièrement, numérique, gratuite et ouverte. L’auteur devra à ce titre s’assurer de la disposition des droits d’utilisation et de diffusion.

Les articles d’un format maximum de 50 000 signes sont attendus à l’adresse suivante : imagesdutravail@gmail.com

au plus tard le 15 novembre 2014.

Consulter les consignes aux auteurs.

Coordinateurs scientifiques

  • Henri Eckert
  • Nicolas Hatzfeld
  • Martin Thibault

Bibliographie

  • Autrement (1992), Ouvriers, ouvrières. Un continent morcelé et silencieux, Paris, Éditions Autrement (numéro coordonné par G-P. Azémar).
  • Beaud S. et Pialoux M. (1999), Retour sur la condition ouvrière. Enquête aux usines Peugeot de Sochaux-Montbéliard, Paris, Fayard.
  • Bloncourt G. et Lallaoui M (2004), Les prolos, à travers le témoignage photographique de Gérald Bloncourt, Paris, Éd. Au nom de la mémoire.
  • Cadé M. (2000), L’écran bleu. La représentation des ouvriers dans le cinéma français, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan.
  • Marx K. (1867/1963), Le capital, livre I, Paris, Gallimard, coll. Folio-Essais (pour l’édition de 2009).
  • Touraine A. (1955), L’évolution du travail ouvrier aux usines Renault, Paris, Centre national de la recherche scientifique.
  • Weil S. (2002/1951), La Condition ouvrière, Paris, Gallimard, coll. Folio-Essais (pour l’édition de 2002).

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