Enfin la une d’un grand quotidien sur les problèmes des débouchés des doctorants et les conditions désastreuses de l’enseignement supérieur en France

À l’occasion des 10 ans du supplément « Science et médecine »,  le journal « Le Monde » publie plusieurs articles sur l’état de l’enseignement supérieur en France : édifiant, même si nous pensons que, malgré les conditions désastreuses de la recherche, on ne peut pas forcément parler de déclin.

Extraits du journal Le Monde, articles publiés le 28 septembre 2021.

Article de Alice Raybaud : « La France est un pays sans avenir pour les jeunes chercheurs » : à l’université, le désarroi des nouveaux docteurs

Un même sentiment de découragement parcourt les centaines de contributions de jeunes docteurs ou doctorants reçus par Le Monde après un appel à témoignages sur leur insertion à l’université. Dans les récits de ces titulaires du plus haut niveau de diplôme se lit un désarroi partagé face à un « manque de perspectives » dans le milieu académique, et à une « longue lutte » pour l’emploi. Pour ces jeunes chercheurs, l’entrée dans la carrière universitaire s’obscurcit un peu plus chaque année.

Alors que les effectifs étudiants ne cessent de croître, le nombre de postes de maîtres de conférences ouverts à candidatures a été divisé de plus de moitié en l’espace de dix ans. On ne comptait que 1 070 postes en 2019 contre 2 216 en 2009. Malgré une diminution constante des cohortes de docteurs, la compétition est rude : 7,4 candidats en moyenne pour un poste (contre 4,4 il y a dix ans), et un taux de réussite aux concours pour ces postes passé de 21 % à 13 %, selon une étude de la Conférence des praticiens de l’enseignement supérieur et de la recherche.

La tension est particulièrement forte en sciences humaines et sociales – certaines sections ne proposent plus qu’une dizaine de postes par an sur toute la France –, mais la problématique touche aussi les sciences et technologies, avec une baisse de 60 % des postes publiés en dix ans.

Deux phénomènes expliquent cette situation. D’un côté, le passage à l’autonomie des universités et l’allongement de la durée des carrières, avec la réforme des retraites de 2010, « qui poussent les établissements à se serrer la ceinture et à limiter leurs recrutements de fonctionnaires », pointe Julien Gossa, coauteur de l’étude et enseignant-chercheur en informatique à Strasbourg. De l’autre, une augmentation limitée de la dépense publique consacrée aux universités.

Cette dégradation maintient les docteurs en situation de précarité durant de longues années avant l’hypothétique titularisation, qui survient en moyenne à 34 ans. Soit environ cinq ans après la soutenance de thèse. Au milieu : un sas de contrats courts, de périodes d’inactivité et de vacations – ces dernières sont généralement payées par tranches de six mois, parfois plus. « Des docteurs reviennent chez leurs parents à plus de 30 ans, car ils ne peuvent plus payer le loyer », déplore Déborah Chéry, vice-présidente de la Confédération des jeunes chercheurs.

[…] Pour continuer leur recherche, nombre de docteurs décident de s’expatrier, à l’image de la lauréate du prix Nobel de chimie 2020 Emmanuelle Charpentier. Un jeune chercheur diplômé en 2014 sur trois occupait ainsi un poste à l’étranger trois ans après l’obtention de son doctorat.

 

– De retour à l’université, la lassitude des enseignants-chercheurs face à la « gestion de la pénurie » [extraits] Chaque année, le nombre d’étudiants augmente, mais les moyens ne suivent pas. Les enseignants observent, impuissants, la détérioration des conditions de travail et d’études. [extrait]
Par , et

« La France ne traite pas ses enseignants-chercheurs comme elle le devrait », abonde Manuel Tunon de Lara, le président de la Conférence des présidents d’université. Il estime que « si une partie des enseignants-chercheurs est désabusée, c’est à raison : ils sont moins bien payés, moins bien considérés que leurs homologues étrangers ». Les burn-out d’enseignants-chercheurs, s’ils sont peu recensés, existent.

 

– « La dépense par étudiant est en baisse, c’est un choix politique »
En donnant aux universités plus d’autonomie tout en les maintenant dans une situation de forte dépendance vis-à-vis de l’Etat, la France s’est arrêtée au milieu du chemin, estime l’enseignante-chercheuse en économie Asma Benhenda, dans un entretien au « Monde ». [extrait]

La question du manque de moyens dans les universités françaises revient à chaque rentrée. Pourquoi ?

Entre 2008 et 2018, le nombre d’étudiants dans l’enseignement supérieur en France est passé de 2,2 millions à 2,7 millions, soit une hausse de plus de 20 %, alors qu’en parallèle, le budget de l’enseignement supérieur n’augmentait que d’environ 10 %, en prenant en compte l’inflation. La dépense par étudiant a donc baissé de presque 10 % sur la période. Le décrochage s’est opéré autour de 2010. Certes, ce n’est pas une chute libre, et l’effet sur le quotidien des étudiants et enseignants n’est sans doute pas mécanique, mais le fait que la dépense publique augmente moins vite que les besoins est un choix politique.

Il est d’ailleurs important de noter que cette baisse du budget par étudiant est loin d’être uniforme : la hausse des effectifs étant beaucoup plus faible dans les classes préparatoires [CPGE] et les BTS en raison de la sélection qui s’y opère à l’entrée, le budget par étudiant dans ces deux filières a très peu baissé. En 2018, l’Etat dépensait presque 16 000 euros pour un élève de CPGE, quelque 14 000 pour un autre de section de technicien supérieur… et environ 10 000 pour un étudiant à l’université.

Leave a Reply