A l’occasion de la sortie du 1er numéro de Journal18 <http://www.journal18.org/>, leurs fondatrices – Noémie Etienne, Meredith Martin et Hannah Williams* – nous ont accordé une interview pour nous en dire un peu plus sur cette nouvelle revue consacrée à l’art du 18e siècle qui a la particularité d’être entièrement online :
- Pourquoi une nouvelle revue ? qu’est-ce qui vous a motivé à créer Journal18?
L’idée est partie d’un simple constat : il n’y avait pas de journal consacré entièrement à l’art et la culture matérielle du 18e siècle, que ce soit imprimé ou en ligne. Nous avons donc souhaité créer un espace pour la communauté de chercheurs et étudiants qui travaillent sur ces sujets.
Journal18 est bisannuel et comprend deux sections : un journal à proprement parlé, avec des articles, environ quatre textes par numéro. Et une section de contributions plus courtes, très libres dans leur format, où nous publions des recensions de livres ou d’expositions, mais aussi des notes critiques, etc. Nous avons même publié l’extrait du journal intime d’une commissaire d’exposition ! [Ndlr : « Ceci n’est pas un portrait : A curator’s diary » by Melissa Percival]
Plus généralement, ce qui nous intéresse dans la forme même de la revue est la polyphonie qu’elle implique. Plusieurs auteurs, plusieurs textes et plusieurs perspectives dans un même espace, rendu flexible et accessible par le web : voilà ce qui nous a donné envie de lancer Journal18.
- Vous nous présentez le premier numéro de la revue ?
Le premier numéro a pour titre Multilayered. Sans restriction géographique ni limite en terme d’objets étudiés, il s’agit d’approcher la culture artistique et matérielle dans toute son épaisseur – celle-ci entendue dans un sens à la fois matériel et symbolique.
David Pullins s’intéresse à un processus de production singulier qui amène trois importants artistes à travailler ensemble sur un même tableau. Charlotte Guichard aborde les graffitis et autres incisions laissées sur les œuvres d’art à Rome. L’article de Kristel Smentek sur les vases chinois montés au 18e siècle souligne que la juxtaposition des matériaux – porcelaine de Chine, montures en bronze françaises – a aussi des implications symboliques et historiques. Enfin, Dipti Khera étudie des rouleaux de papiers qui ont été peints en Inde et sont à la fois des souvenirs et des cartes, suivant l’utilisation qui en est faite.
- Comment avez-vous choisi les auteurs du premier numéro et comment comptez-vous faire pour recruter de nouveaux auteurs ? sélectionner les articles ?
Nous avons invité les auteurs des deux premiers numéros. Pour le troisième numéro, intitulé Lifelike, il y a un appel à contribution sur notre site, avec un délai au 15 mai. L’appel à contribution pour le quatrième numéro, East-Southeast, est aussi en ligne sous la rubrique « Future Issues ». Nous réalisons une première sélection et commandons aux auteurs les articles. Ensuite, tous les articles sont revus par des pairs, deux fois et à l’aveugle. Nous invitons aussi des contributeurs ponctuels pour la rubrique Notes & Queries.
En outre, nous avons décidé de travailler avec des rédacteurs en chef invités. C’est une manière de multiplier les perspectives et d’aborder des sujets qui sont loin à priori de nos domaines d’expertise. Ainsi le quatrième numéro sera édité par Kristina Kleutghen et portera sur les échanges entre les différents pays d’Asie au 18e siècle. Et puis nous avons un comité éditorial qui est très important pour nous : nous comptons sur eux pour nous recommander des auteurs ou des éditeurs, nous suggérer des pistes.
- Est-ce que vous demandez à vos auteurs une ligne directrice particulière, un angle d’approche précis ou préférez-vous rester ouvertes ?
Éditer un journal est certainement l’occasion de promouvoir des auteurs et des thématiques qui nous paraissent importantes. Il y a un engagement dans le champ de l’histoire de l’art et une position disciplinaire. En résumé, nous dirions que ce qui nous intéressent sont les questions liées à la matérialité des objets d’art, aux différentes formes que peut prendre l’écriture de la discipline au 18e siècle, ou encore au développement actuel d’une histoire de l’art plus globale – sans négliger toutefois des approches locales, comme le montre notre prochain numéro, « Louvre Local », consacré à l’histoire sociale du Louvre au 18e siècle et co-édité avec Mia Jackson.
Mais il est important pour nous de rester ouvertes : il n’y a aucune volonté d’imposer une uniformité de questions ou de méthodes. Nous souhaitons créer une plateforme, donner à entendre des voix singulières, qui sont celles des chercheuses et chercheurs qui font la richesse et la variété du champ aujourd’hui.
- Qu’est-ce qui vous a décidé à prendre le parti du tout online ? n’est-ce pas dangereux ?
Ce qui nous a attiré vers les humanités digitales est avant tout l’accessibilité que le web permet. Journal18 est en accès libre : il est disponible gratuitement et sans inscription pour toutes les personnes qui souhaitent le consulter. C’est un choix qui est à la fois scientifique et politique. Nous sommes en effet soucieuses d’atteindre un lectorat large et diversifié, provenant de différents pays, et n’ayant pas forcément d’affiliation institutionnelle ou d’accès aux bibliothèques et ressources académiques en ligne. De plus, le web permet aussi d’avoir différents rythmes de publication. La rubrique Notes & Queries est mise à jour régulièrement, ce qui rend possible un engagement différent dans l’actualité du champ. Enfin, nous sommes intéressées par ce que le numérique offre comme outils spécifiques (nombre et qualité des images, visualisation des données, la possibilité d’établir des connexions avec des objets, des discussions, par l’inclusion de liens). Pour toutes ces raisons, nous pensons que publier en ligne a de nombreux avantages sur l’imprimé.
- Vous nous dites quelques mots sur les aspects techniques du site ? qui vous héberge ? comment gérez-vous les images ? les droits ?
Journal18 est affilié à l’Association des historiens d’art et d’architecture du dix-huitième siècle (HECAA) et à l’Institute of Fine Arts-NYU à New York. Le site a été construit avec WordPress et est hébergé sur un serveur indépendant. Nous sommes aussi sur le point de devenir membre de l’Open Access Scholarly Publishers Association, qui formule les standards académiques de qualité pour les publications digitales. En ce qui concerne les questions techniques, nous avons consulté deux développeurs et techniciens du Web, Mia Ridge (British Library) et Jason Varone (IFA). Jason est également responsable des logos que vous voyez sur le site et sur les réseaux sociaux.
Pour les images, nous suivons le code éthique proposé par CAA, l’association des historiens d’art américains. Ces dernières années, en particulier aux Etats-Unis, la notion de « fair use » s’est développée de manière considérable : elle permet à un journal comme le nôtre, sans but lucratif, d’avoir une certaine marge de manœuvre dans la publication des images.
- Pouvez-nous nous en dire un peu plus sur vous ? comment vous vous êtes rencontrées, où en êtes-vous de vos recherches actuelles (collectifs et/ou individuels) ?
Le projet a pris forme à Los Angeles en mars 2015 : nous avons partagé une maison dans le quartier de Silver Lake lors du congrès annuel de la American Society for Eighteenth-Century Studies, où Hannah donnait une conférence, tandis que Meredith et Noémie présidaient ensemble un panel qui a offert le noyau des contributions pour ce premier numéro. Nous avons organisé une fête pour célébrer la fin du colloque, et le lendemain, nous avons été faire une marche dans un canyon : c’est là qu’est née l’idée du journal. En plus de nos intérêts scientifiques communs, notamment pour le 18e siècle français, il y a aussi beaucoup de spontanéité et de tendresse au cœur de ce projet.
- Où peut-on vous joindre ?
A notre adresse email : editor@journal18.org. Mais aussi sur Twitter et Facebook, et bien sûr sur notre site : http://www.journal18.org/.
Pour plus de détails sur nos recherches respectives, vous pouvez aussi consulter nos pages personnelles : http://www.noemieetienne.com ; http://arthistory.as.nyu.edu/object/MeredithMartin.html ; http://www.history.qmul.ac.uk/staff/profile/dr-hannah-williams
* Noémie Etienne est Postdoctoral Fellow au Getty Research Institute à Los Angeles, Meredith Martin est Professeure associée à NYU/Institute of Fine Arts et Hannah Williams est Leverhulme Early Career Research Fellow à la Queen Mary University of London.
Propos recueillis par Sébastien Chauffour (Getty Research Institute, avril 2016)
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