Journée d’étude : « L’ethnologie en images : collecter, classer, publier » (Paris, 4 novembre 2016)

claude-levy-strauss-tristes-tropiques-photographies-1935-1936La journée d’étude « L’Ethnologie en images : collecter, classer, publier », est organisée par Camille Joseph (Univ. Paris VIII) et Anaïs Mauuarin (Univ. Paris 1/Mqb), avec le soutien du Département de la recherche du Musée du quai Branly-Jacques Chirac, dans le cadre du projet Photographie et dessin en anthropologie (1920-1950), et fait suite à celle qui s’est tenue le 8 avril dernier à l’INHA sur les pratiques de terrain.

Date : vendredi 4 novembre 2016 (9h30 – 17h)
Lieu : Musée du quai Branly-Jacques Chirac, salle cinéma

Alors que l’anthropologie visuelle tend à se constituer en champ de recherche depuis les années 1970, voire en discipline à part entière dans les pays anglo-saxons, l’histoire des pratiques visuelles dans l’anthropologie du XXe siècle reste largement à faire. Le chantier a déjà été activement lancé dans les pays anglo-saxons, notamment sous l’impulsion des travaux d’Elizabeth Edwards, qui prône une approche historique de l’image envisagée comme pratique sociale[1]. Cette recherche dynamique, encore timide en France[2], se focalise toutefois essentiellement sur la fin du XIXe siècle : les travaux menés sur la première moitié du siècle se sont pour l’essentiel intéressés au film, laissant de côté les pratiques du dessin et de la photographie, pourtant encore historiquement liées à l’expérience du terrain et constitutives de l’histoire culturelle de l’anthropologie.

Les deux journées d’étude qui ont lieu cette année cherchent à mieux cerner le rôle et la place de la photographie et du dessin des années 1920 aux années 1950, une période particlièrement délaissée par les études sur le sujet. Ces années sont ainsi trop souvent associées à l’émergence du film ethnographique, qui semble ainsi évacuer les images fixes des pratiques et méthodes de l’ethnographie. Or, il apparaît très nettement que les anthropologues continuent largement à pratiquer la photographie, et le dessin dans une moindre mesure sans doute, dans les années où le cinéma s’annonce comme la nouvelle technologie de terrain. La trame narrative est souvent énoncée de manière simple, partant du film Nanook of the North de Robert Flaherty (1922), pour tracer une ligne droite vers l’émergence d’une première anthropologie visuelle filmique dans les années 1960, en ne faisant qu’un seul détour par l’image fixe avec l’ouvrage de Margaret Mead et Gregory Bateson, Balinese Characters (1942).

En se situant dans la continuité des travaux entrepris sur les pratiques visuelles du XIXe siècle, ces deux journées ont pour objectif de mettre en question cette trame narrative et de scruter ce qu’il est réellement advenu des images fixes en anthropologie à partir des années 1920. C’est en effet le moment où apparaissent de nouvelles techniques photographiques et d’impression, dont l’anthropologie se saisit : le photoreportage moderne fait son apparition et les illustrations suscitent un incroyable engouement qu’incarne la création de multiples revues illustrées. Cet attrait pour le visuel, dont il s’agira de déterminer comment il est géré scientifiquement par une science soi-disant de plus en plus rétive à l’image[3], va façonner les pratiques et la culture de l’anthropologie jusqu’au début des années 1950, moment d’un changement de perspective caractérisé par un tournant théorique en anthropologie – qui se traduit en France par le déclin du Musée de l’Homme – et par les premières formulations d’une anthropologie visuelle avant tout filmique.

La première journée d’étude organisée en avril à l’Institut national d’histoire de l’art a notamment permis de montrer la présence parfois importante de ces images dans les carnets de terrain des ethnologues. Qu’il s’agisse des exemples français, russes, britanniques ou américains évoqués par les intervenants, il est apparu que la pratique de la photographie et du dessin faisait partie des méthodes encore habituelles de l’anthropologie et que, en dépit de tentatives de rationalisation de ces outils, les usages étaient largement adaptés par les ethnologues aux exigences pratiques de leur terrain, reflétaient leur formation (par exemple au dessin en sciences naturelles pour A. C. Haddon) et combinaient leurs orientations théoriques aux pressions institutionnelles qui continuaient de faire de la photographie, encore à cette époque, une garantie de scientificité et un vecteur de légitimité.

La deuxième journée d’étude souhaite poursuivre l’enquête en interrogeant le devenir de ces images une fois rapportées du terrain. On s’intéressera à la façon dont les images sont regroupées, classées, et gérées par les chercheurs et les institutions, ainsi qu’aux processus qui mènent à la parution, dans des publications savantes ou non, de certaines d’entre-elles. Loin de marquer un déclin des collections photographiques, la période 1920-1950 est un moment où ces dernières tendent à se généraliser[4]. L’usage des images dans l’anthropologie américaine des premières décennies du XXe siècle est encore souvent synonyme d’une accumulation massive de photographies, dans la tradition des grandes explorations du XIXe siècle, encore une fois adossée à une politique fédérale puissante à partir des années 1930. Le cas de la France est lui aussi éclairant : la photothèque du Musée de l’Homme est créée dans les années 1930 avec une volonté centralisatrice, et se voit rapidement dotée d’un service commercial. Mais ces collections vont rarement sans poser la question de la diffusion et de la publication des images. Il s’agit donc de s’interroger sur ce point encore aveugle du devenir de ces images. La journée d’étude du 4 novembre entend soulever cette question pour la période 1920-1950 et permettre d’interroger le statut d’illustration de l’image en anthropologie. En s’attachant à suivre les réemplois et la circulation de ces images, par exemple d’un ouvrage savant à une revue grand public, on pourra voir émerger les tensions entre logiques scientifiques, économiques, politiques et esthétiques à l’œuvre dans l’histoire culturelle et visuelle de l’anthropologie.

Programme de la journée d’étude du 4 novembre :

9h30 | Accueil et introduction par Frédéric Keck (Musée du quai Branly-Jacques Chirac) et Anaïs Mauuarin (Hicsa-Université Paris I-Panthéon Sorbonne/Musée du quai Branly-Jacques Chirac)

Session 1
Président de séance : Frédéric Keck (Musée du quai Branly-Jacques Chirac)

9h45 | Vincent Debaene (Université de Genève – Columbia University) :
Cadrage cannibale. Les photographies de Tristes tropiques

10h30 | Christine Barthe (Musée du quai Branly-Jacques Chirac) :
Alfred Métraux, par la photographie

11h15 / Pause café

Session 2
Président de séance : Christos Lynteris (University of Cambridge)

11h30 | Thomas Beaufils (Université Lille 3) :
Dessins et photographies de l’entre-deux-guerres dans les collections des musées d’ethnographie néerlandais

12h15 | Alban von Stockhausen (Musée d’Histoire de Berne, Université de Vienne) :
Images, Impacts and Identities: The “archival” history of the Nagas of Northeast India

13h / Déjeuner

Session 3
Présidente de séance : Jessica de Largy Healy (Musée du quai Branly -Jacques Chirac)

14h30 | Camille Joseph (Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis) :
Des images archétypiques : postérités de la photographie anthropométrique aux Etats-Unis

15h15 | Teresa Castro (Université Paris III) :
Races (1930) – à propos d’un ouvrage oublié de Jean Brunhes

16h | Marie Durand (Université d’Aix-Marseille-CNRS-CREDO) :
Populariser les hommes et les territoires, diffusion scientifique et grand public des recherches d’Edgar Aubert de la Rüe dans les colonies françaises

Affiche de la journée d’étudeaff1

 

[1] On renvoie ici à son ouvrage fondateur, E. Edwards (ed.), Anthropology and Photography, 1860-1920, New Haven et Londres, Yale University Press, 1992.

[2] On citera notamment : les numéros spéciaux de L’Ethnographie, « Ethnographie et photographie », n°109, 1991, du Journal des anthropologues, « question d’optiques : aperçus sur les relations entre photographie et sciences de l’homme », n° 80-81, 2000, et de L’Ethnologie Française, n° 37, 2007 ; le mémoire de Pierre-Jérôme Jehel, Photographie et anthropologie en France au XIXe siècle, mémoire de DEA, université Paris 8, 1994-1995 ; et sur un cas d’étude très précis, Frédéric Bertrand, «  Les enjeux de l’image dans l’anthropologie soviétique des années 1920 et 1930 », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 1, 2006, p. 275-292.

[3] Sylvain Maresca parle de « re-platonisation » des sciences sociales, le triomphe de l’image documentaire dans les années 1930 s’étant alors accompagné d’une disparation simultanée de l’image dans les travaux des anthropologues notamment. Cf. S. Maresca, La Photographie. Un miroir des sciences sociales, Paris, L’Harmattan, 1996.

[4] (Lugon 2001 ; Edwards & Morton 2015)

 

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